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LA GUERRE QU’ON NOUS FAIT
Manifeste de profs contre tout ce qui vient avec l’austérité
Nous refusons l’appauvrissement humain, social, politique et
intellectuel que l’offensive antisociale appelée austérité fait subir au
monde, lui donnant ce visage patibulaire, cynique, servile, tout juste
navré, médiocre, un brin sadique.
Cette offensive menée pour satisfaire les intérêts des élites
économiques vise à soumettre, secteur par secteur, les personnes et les
choses au règne contraignant de la marchandisation et du profit
tout-puissant.
Depuis longtemps mise en œuvre, cette révolution conservatrice est
avant tout une guerre menée contre les mécanismes collectifs de
redistribution des richesses, de mise en commun des ressources pour
faire face aux aléas de la vie. Même imparfaits, même incomplets, les
services publics sont les arrangements minimaux de solidarité qui
témoignent d’un souci collectif pour une vie juste. Et pour défendre
cela nous sommes prêts à nous battre.
Dans notre domaine, celui de l’éducation, une telle révolution
procède par l’instrumentalisation des savoirs, de l’enseignement et de
la recherche, arrimés de plus en plus entièrement aux seules exigences
toxiques, mortifères, de l’accumulation et de l’optimisation.
L’introduction, en force et partout, de techniques et mesures
managériales, adossées au grand calcul néolibéral, ratatine l’éducation
comme système et comme geste. Loin de cet appauvrissement, l’éducation
que nous défendons consiste à soutenir l’aventure des esprits en train
d’apprendre et d’interroger les réalités, et à assumer avec eux toute
l’intensité affective et intellectuelle qu’elle engage.
Cette offensive généralisée s’attaque aux ressources et aux pouvoirs
qui constituent nos milieux. Comme acteurs et actrices du monde de
l’éducation (et nos camarades de la santé et des services sociaux en
savent aussi quelque chose), nous ne cessons de constater les multiples
atteintes aux temps et espaces où s’exercent notre autonomie
professionnelle et notre collégialité. L’exercice de notre
responsabilité se rétrécit à mesure que croît une bureaucratie
managériale et ses instances de contrôle infantilisantes sous couvert de
reddition de comptes débiles.
Dans la société tout entière, c’est l’ensemble des formes de l’action
collective que l’austérité prend pour cible. L’action syndicale,
autonome ou directe, la grève, les pratiques politiques
contre-hégémoniques, hors de la scène parlementaire, sont de plus en
plus marginalisées, criminalisées, suspectées (de radicalité notamment),
méprisées, réprimées au nom de la protection d’un ordre des choses
naturalisé, scellé, poli et policier, placé hors d’atteinte derrière des
vitrines qu’on ne pourrait que lécher.
Cette neutralisation de notre capacité d’action participe d’un
dispositif de dépolitisation qui tente de nous faire prendre pour des
nécessités des décisions politiques. Cette affaire-là n’est pas banale.
Elle fait violence, symboliquement et effectivement, aux conditions
mêmes du commun et de toute communauté : la politique, et son cœur, la
conflictualité. La révolution dont l’austérité est le visage confine la
politique à un terrain neutralisé, procéduralisé. Reste la forme
aseptisée et infiniment appauvrie d’un système incarné par ses
politiques professionnel-le-s.
Cette violence a ceci d’insidieux qu’elle impose les termes mêmes du
débat par lequel nous essayons de la déplier pour nous en défendre.
Elle soumet le sens des mots à sa seule autorité et nous tire par la
langue sur son terrain marketing où seule prévaut la relation de
l’approvisionnement commercial. Même quand on prétend le protéger, le
citoyen n’est qu’un « client ». S’efface dès lors la portée politique de
ses exigences. Si le mot chien n’a jamais mordu personne, la langue du
pouvoir, au contraire, performe directement une guerre contre cette
autre richesse mise à mal : les idées et les langages servant à dire la
complexité du monde.
L’austérité est donc un appauvrissement intérieur, où dominent la
crainte des sanctions et la faim des récompenses, le stress et
l’insécurité sociale, la peur de l’avenir et la peur de l’autre, peur
bleue – peur rouge – peur blanche. État d’esprit assiégé, redoutable
producteur d’impuissance et de docilité. Les êtres par lui créés seront
faits sur mesure pour un système libéral-paternaliste. Un système où les
formes mêmes de notre présence au monde sont captives, où l’audace, la
création et l’invention voient détournées leurs forces éruptives au
profit de la rengaine plate de l’innovation.
Ne reste alors qu’à devenir un bon entrepreneur de soi, à mesurer la
valeur de sa vie à l’aune de ses biens, de ses placements et de ses
investissements, à voir en l’autre au mieux un partenaire, au pire un
compétiteur dans l’infernale roue de fortune néolibérale.
Également compromise avec la violence faite aux territoires et à
leurs composantes naturelles, l’austérité est la face coupante d’un
abandon de la richesse commune de notre géographie à des projets de
transport et d’extraction (de pétrole notamment) écocidaires, autant de
désastres toujours déjà là et que rien ne pourra réparer. Pour le
néolibéral austère comme pour l’homme blanc dont parlait le chef Seattle
il y a plus d’un siècle et demi, la terre est un ennemi à piller ;
lorsqu’il l’a conquise et exploitée, il va plus loin ; il l’enlève à ses
enfants et cela ne le tracasse pas ; son appétit la dévore et ne laisse
derrière lui qu’un désert.
En fait, c’est l’ensemble du territoire humain et social, et tout ce
qui fait la valeur de la vie, sa véritable richesse, c’est tout cela qui
est ainsi traité comme un corps malade à assainir, un budget à
compresser. Et puis des ruines, d’où l’on tire les diamants noirs des
millionnaires s’adonnant à l’évasion et l’évitement fiscaux.
La charge dont austérité est le nom euphémisé, c’est la capture de
nos existences par le travail, toujours plus de travail, qui consume le
cœur de nos vies et le temps de nos meilleures années. Elle vole les
jours que nous ne passerons pas à vivre, à bien vivre ensemble, à
prendre soin les uns des autres, à aimer, à discuter, à mettre bout à
bout nos solitudes, à inventer des manières nouvelles de faire, de dire,
de fabriquer, de penser.
La guerre qu’on nous fait se réfracte dans tous les espaces de nos
vies. Elle plie nos rythmes et notre quotidien, ses gestes et ses
heures, à ses obligations. Elle nous frappe toutes et tous, nous sépare
des territoires communs que nous essayons d’habiter pour les ouvrir aux
dispositifs de l’extraction pour le profit privatisé.
Nous refusons les névroses du tout-marchandise et son angoisse sociale.
Nous refusons le peu où on nous réduit.
Nous refusons notre réification triple de contribuable-consommateur-majorité silencieuse.
Nous refusons la grande honte de vouloir la vie bonne pour toutes et tous.
Nous nous organisons.
Nous refusons le peu où on nous réduit.
Nous refusons notre réification triple de contribuable-consommateur-majorité silencieuse.
Nous refusons la grande honte de vouloir la vie bonne pour toutes et tous.
Nous nous organisons.
C’est ici que croît la rose, c’est ici que nous dansons !
1 commentaire:
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