mardi 30 août 2011

500 000 étudiants, professeurs et travailleurs dans la rue au Chili pour défendre une éducation publique et gratuite bravant une répression policière


Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

500 000 manifestants dans tout le Chili, dont 150 000 dans la capitale Santiago ce mardi 9 août ont répondu à l'appel de la Confédération des étudiants chiliens (Confech) et du Syndicat des professeurs, et ont défilé au son du morceau « Latinoamérica » du groupe musical porto-ricain Calle 13, qui a affiché son soutien public au mouvement étudiant.


Non seulement le mouvement étudiant chilien ne faiblit pas, mais il élargit sa base de mobilisation avec le soutien de plus en plus massif non seulement des enseignants mais aussi des mineurs en lutte contre la privatisation du cuivre, des travailleurs mécontents de la politique générale du gouvernement.


Luttant depuis plusieurs mois contre les plans d'approfondissement de la privatisation de l'éducation héritée de l'ère Pinochet (la municipalisation) et d'autonomisation des universités, avec privatisation et hausse des frais de scolarité qui l'accompagne.

Chiffres édifiants, les familles doivent assurer 30% des coûts de l'éducation primaire et secondaire tandis que l'université – largement dominée par les instituts autonomes privés – est fermée de plus en plus aux étudiants des classes populaires avec des frais de scolarité s'élevant jusqu'à 1 800 euros par mois. En moyenne, chaque étudiant chilien doit payer 30 000 euros à la fin de sa scolarité en remboursement de prêts destinés à couvrir les frais de scolarité.


Une éducation privatisée qui n'est pas gage de qualité puisque selon les chiffres de l'ONU, le système éducatif le plus 'efficace' reste le système cubain public, universel et gratuit.



Après l'échec des manœuvres idéologiques, la répression policière

Le gouvernement avait jusqu'ici joué sur la division du mouvement et sur les manœuvres autour de son Grand accord national pour l'éducation (GANE) qui se proposait de ne rien changer au système au profit d'aménagements cosmétiques (augmentation des bourses, baisse des taux d'intérêts).

Les leaders du mouvement étudiant avaient répondu vigoureusement, tel Camila Vallejo, jeune communiste, secrétaire de la Fédération des étudiants de l'Université du Chili dénonçant « une série d'artifices et de trucs pour diviser et affaiblir le mouvement (…) un 'GANE' qui représente une politique continuiste d'approfondissement d'un modèle éducatif bien précis que nous voulons tout simplement transformer ».


Face à l'échec de ces manœuvres idéologiques, le gouvernement a tenté de répondre par la force. Les manifestations du jeudi 4 ont été violemment réprimés avec l'arrestation de près de 900 jeunes. La dirigeante étudiante communiste Camila Vallejo avait alors dénoncé des « méthodes qui rappellent celles de la dictature ».


Un mouvement soudé par la répression, largement soutenu par les travailleurs Chiliens


Ce jeudi 9 août, le bilan est moins lourd mais la police n'a pas hésité à user de la force : 398 arrestations et 78 blessés. Plusieurs témoignages font état d'agents provocateurs, sous capuches, descendant de cars de police en vue de faire dégénérer la manifestation à Santiago

Loin de diviser le mouvement, la répression le soude et l'aide à emporter l'adhésion la plus large de la population chilienne : 80% des Chiliens soutiennent le mouvement étudiant et seuls 25% se disent satisfaits du bilan du président de droite Pinera, un an après son élection.

Les syndicats des travailleurs du public et des mineurs ont annoncé d'ores et déjà leur intention de lancer un mouvement de grève pour soutenir le mouvement étudiant. Les mineurs luttent également contre la privatisation du cuivre, nationalisé sous Allende. Ils ont lancé le 11 juillet une grève historique paralysant l'extraction et impliquant les 30 000 mineurs du pays.


Les communistes toujours à l'avant-garde du mouvement

De plus en plus, les communistes sont perçus chez les étudiants comme chez les travailleurs comme une force politique de référence pour donner une direction politique aux luttes. Cela est évident au niveau étudiant avec le rôle de dirigeant naturel qu'a acquise Camila Vallejo, jeune communiste et secrétaire de première centrale syndicale chilienne.

Cela est également de plus en plus clair au niveau politique, avec le rôle de soutien et de point d'appui institutionnel du Parti communiste chilien (PCCh). Ce dernier a déjà déposé une plaine constitutionnelle pour demander la démission de Rodrigo Hinzpeter, ministre de l'Intérieur et responsable de la répression.



Guillermo Tellier, secrétaire du PCCh révèle même dans une interview à la Tercera dominical que le gouvernement a tenté, avant la manifestation du 9 aôut, de négocier directement avec le Parti communiste pour mettre un terme aux mobilisations.

Au-delà de cette reconnaissance implicite du rôle impulseur et dirigeant des communistes – que Tellier assume tout en refusant toute manipulation du mouvement à des fins partisanes – Tellier a profité de ces échanges avec le ministre de l'Education Lavin et le ministre de l'Intérieur Hinzpeter pour condamner leur politique et confirmer que le mouvement ne prendra fin qu'après satisfaction de ses revendications.

Au vu de l'absence de propositions nouvelles de la part du gouvernement Pinera après la manifestation du 9, l'annonce de mouvements de grève prochains dans le secteur du public et des mines et la déclaration de la leader étudiante Camila Vallejo sur un « calendrier de mobilisations » à venir, le mouvement n'est pas prêt de toucher à sa fin.

lundi 29 août 2011

4 septembre : Pique-nique solidaire à Montréal – Nous appuyons la lutte étudiante au Chili!

Vous êtes chaleureusement invité-e-s à un pique-nique solidaire avec les étudiant-e-s chilien-ne-s le 4 septembre prochain au Parc Lafontaine de 11h à 17h. Apportez des mets et boissons à partager, bien qu’il y aura de la nourriture sur place. Bonnes discussions et rencontre au menu!

Détails de l’événement: http://www.facebook.com/event.php?eid=140543279365794

La réforme du modèle économique cubain : Causes et perspectives (1/3)


Salim Lamrani


Confrontée à des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle, à la crise financière globale et à un problème récurrent de productivité, Cuba se trouve dans l’obligation de réformer en profondeur son système socio-économique afin de préserver ses acquis sociaux et son mode de vie. Si les facteurs externes expliquent en partie les difficultés auxquelles se trouve confrontée la société cubaine, il est impossible d’en éluder les responsabilités internes. Comme l’a souligné le président cubain Raúl Castro lors du IXe Congrès de l’Union des Jeunes Communistes le 4 avril 2010, « la bataille économique constitue aujourd’hui, plus que jamais, la tâche principale […] des cadres car d’elle dépend la durabilité et la préservation de notre système social[1] ». Quelques mois plus tard, le 18 décembre 2010, lors d’une intervention devant le Parlement cubain, Raúl Castro a tenu un discours plus alarmiste et a mis le gouvernement et les citoyens face à leurs responsabilités : « Soit nous rectifions [ce qui ne marche pas,] soit nous coulons après avoir trop longtemps bordé le précipice[2] ». Le leader historique de la Révolution cubaine, Fidel Castro, a approuvé cette analyse et a apporté son soutien au processus d’actualisation du système économique[3]. L’alternative est claire : le modèle économique cubain doit urgemment subir des changements structurels et conceptuels profonds sous peine d’effondrement.


Les facteurs externes

Le principal obstacle au développement économique du pays reste les sanctions économiques que Washington impose de façon unilatérale à La Havane depuis juillet 1960, lesquelles affectent les catégories les plus vulnérables de la population cubaine et tous les pans de la société. Unanimement condamnées pour la 19ème fois consécutive par 187 pays en octobre 2010, lors de la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies, les sanctions économiques, en plus de bloquer tout commerce substantiel entre les deux nations (sauf certaines matières premières alimentaires depuis 2000), revêtent également un caractère rétroactif et extraterritorial. En effet, depuis l’adoption de la loi Torricelli en 1992, de la loi Helms-Burton en 1996 ainsi que des nouvelles restrictions imposées par l’administration Bush en 2004 et 2006, le commerce avec les pays tiers s’en trouve fortement affecté[4].

Ainsi, depuis 1992, toute embarcation accostant à un port cubain se voit interdire l’entrée aux Etats-Unis pendant six mois, ce qui engendre un surcoût important pour Cuba, qui dépend essentiellement du transport maritime en raison de son insularité. De la même manière, depuis 1996, tout entrepreneur étranger investissant à Cuba sur des terres nationalisées en 1959 risque de voir ses avoirs gelés aux Etats-Unis. Par ailleurs, depuis 2004, tout constructeur automobile, quelle que soit sa nationalité, doit démontrer au Département du Trésor que ses produits ne contiennent pas un seul gramme de nickel cubain pour pouvoir les vendre sur le marché étasunien. Il en est de même pour toutes les entreprises agroalimentaires souhaitant investir le marché étasunien. Danone, par exemple, devra démontrer que ses produits ne contiennent aucune matière première cubaine. Ces mesures rétroactives et extraterritoriales privent ainsi l’économie cubaine de nombreux capitaux et les exportations cubaines de nombreux marchés à travers le monde[5].

D’un autre côté, les crises économique, financière, énergétique, alimentaire et environnementale ont eu un impact désastreux sur les pays en voie de développement en général et Cuba en particulier. L’envolée des prix des matières premières alimentaires, dont le prix a été multiplié par deux depuis 2007 et dont l’île dépend à 83%, ainsi que la baisse du cours des ressources minérales que Cuba exporte (tel que le nickel dont le cours a chuté de plus de 50%) ont déséquilibré la balance des paiements et fortement réduit les liquidités disponibles. Ainsi, entre 1997 et 2009, Cuba a subi une perte nette de plus de 10 milliards de dollars en raison de la dégradation des termes de l’échange et a vu son pouvoir d’achat se réduire de 15%. Par ailleurs, Cuba se voit interdire tout accès à des financements externes auprès du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, en raison des sanctions économiques. Les Cubains de l’étranger, des Etats-Unis en particulier, ont réduit le montant de leurs transferts d’argent vers l’île en raison de la récession économique. Les revenus du tourisme ont également chuté pour les mêmes motifs[6].

A cela s’ajoutent les catastrophes naturelles – seize cyclones au total – qui, entre 1998 et 2008, ont causé des dégâts d’un montant supérieur à 20 milliards de dollars[7]. Ainsi, l’ouragan Gustav qui a frappé les Caraïbes à la fin du mois d’août 2008 a eu un coût matériel dramatique. Les provinces de Pinar del Río, Matanzas et de l’île de Jeunesse ont offert un spectacle de ruine et de désolation. Des 25 000 logements que compte l’Île de la Jeunesse, 20 000 ont été partiellement ou totalement détruits. Près de 45% des habitations de Pinar del Río, soit 102 000 logements, ont été gravement endommagées. Fidel Castro avait comparé les dégâts causés par le cyclone à « une attaque nucléaire[8] ». Pour sa part, l’ouragan Ike de septembre 2008 a détruit, entre autres, 323 000 logements, 700 000 tonnes d’aliments, une grande partie de l’infrastructure électrique et les réserves d’eau potable.[9] Par ailleurs, les précipitations irrégulières entre novembre 2008 et juin 2010 ont affectés les cultures agricoles et réduit les possibilités d’exportations de certaines matières premières alimentaires (tabac, rhum, sucre)[10].

Ces aléas ont amenés les autorités cubaines à bloquer les transferts financiers vers l’extérieur à partir de 2008 afin d’éviter une fuite des capitaux étrangers. La Havane a également été contraint de renégocier sa dette face aux difficultés de paiement. Quant à la croissance, elle a été de 2,1% pour l’année 2010[11].


À suivre :

-« Les facteurs internes » 2/3

-« Les mesures économiques et sociales » 3/3

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011, avec un prologue de Wayne S. Smith et une préface de Paul Estrade.

Contacto: Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ; lamranisalim@yahoo.fr



[1] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, y Segundo Secretario del Comité Central del Partido Comunista de Cuba, en la clausura del IX Congreso de la Unión de Jóvenes Comunistas », República de Cuba, 4 avril 2010. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r030410e.html (site consulté le 26 mars 2011).

[2] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », República de Cuba, 18 décembre 2010. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r181210e.html (site consulté le 2 avril 2011).

[3] Agence France Presse, « Fidel Castro apoya cambios impulsados por su hermano Raúl », 18 novembre 2010.

[4] Salim Lamrani, État de siège, Paris, Éditions Estrella, 2011.

[5] Ibid.

[6] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », Prensa Latina 18 avril 2011. http://www.prensa-latina.cu/Dossiers/LineamientosVICongresoPCC.pdf (site consulté le 20 avril 2011). Voir également Andrea Rodriguez, « Alza de precio de alimentos afecta a Cuba », The Associated Press, 15 avril 2011.

[7] Ibid.

[8] Fidel Castro, « Un golpe nuclear », Granma, 3 septembre 2008 ; Ronald Suárez Rivas, « Housing, the Greatest Challenge », Granma, 2 septembre 2008.

[9] Marta Hernández, « Más de 320 000 casas dañadas », Granma, 11 septembre 2008. Orfilio Pelaez, « Pérdidas millonarias en la vivienda », Granma, 13 septembre 2008 ; Granma, « Cuba prioriza alimentación de damnificados por huracán Gustav », 5 septembre 2008, Prensa Latina, « Cuba prosigue evaluación de daños y recuperación tras huracán Ike », 11 septembre 2008 ; Freddy Pérez Cabrera, « Recuperar todo lo relacionado con la producción de alimentos », Granma, 11 septembre 2008 ; EFE, « Los supermercados de La Habana presentan problemas de abastecimiento », 16 septembre 2008 ; Wilfredo Cancio Isla, « Perdidas 700,000 toneladas de alimentos », El Nuevo Herald, 12 septembre 2008 ; The Associated Press, « Cuba Estimates Gustav, Ike Damages at US$5 Billion », 16 septembre 2008 ; Granma, « Información oficial de datos preliminares sobre los daños ocasionados por los huracanes Gustav e Ike », 16 septembre 2008.

[10] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[11] Ibid.

La réforme du modèle économique cubain : Causes et perspectives 2/3

Salim Lamrani

Les facteurs internes

D’un point de vue national, plusieurs facteurs – dont une partie substantielle sont en lien direct avec l’état de siège imposé par les Etats-Unis – sont à mettre en exergue tels que la bureaucratie, la corruption au niveau intermédiaire – et parfois au plus haut niveau – de la structure étatique entrainant le renforcement du marché parallèle, le manque de débat critique, la faible productivité, l’hypertrophie du secteur public, la production insuffisante de matières premières alimentaires, la décapitalisation de l’industrie et de l’infrastructure productive, ainsi que le vieillissement de la population.

La bureaucratie

La bureaucratie est un réel problème à Cuba et affecte des pans entiers de la société. La presse cubaine, qui a longtemps éludé le sujet, n’hésite désormais plus à en dénoncer l’indolence, l’inefficacité et les dérives. Le principal quotidien du pays, Granma, porte-parole du Parti communiste, a virulemment stigmatisé le poids de la bureaucratie et exhorte à « un changement de mentalité » dans une chronique intitulée « Bureaucratisme, de règle à exception ». Selon l’article, « il y en a encore qui ferment les yeux face au nouveau scénario qui se met en place pour l’économie et la société ». Certains ont « la bureaucratie dans les veines, inoculée comme un virus mortel », alors que d’autres ne souhaitent pas que change « le système d’obstacle, de dilation, d’impunité et l’amende ou le bakchich pour qu’une démarche quelconque arrive à son terme ». Nombre de fonctionnaires « profitent de leurs huit heures quotidiennes de bourreaux rendant la vie impossible » aux citoyens. Granma appelle le gouvernement à mettre un terme à ce « fléau parasitaire au sein de l’administration publique », notamment pour l’application des nouvelles mesures d’élargissement du secteur privé[1].

Le quotidien Juventud Rebelde a également dénoncé une bureaucratie « aux méthodes autocratiques et verticalistes », insensible aux problèmes de la population. Le journal fustige son comportement « impardonnable et paradoxal », notamment en cette période de grands changements à Cuba. Cette dernière ne daigne même pas répondre aux courriers de la population dans plus de 30% des cas et refuse « d’évaluer les problèmes à la racine ». « Un autre élément préoccupant est l’impunité avec laquelle les lois, les normes et même les droits des citoyens sont transgressés, devant les yeux de supérieurs[2] ».

Alfredo Guevara, père du cinéma cubain et ami personnel de Fidel Castro, a approuvé la volonté de réforme du gouvernement et a appelé à mettre fin à l’étatisation outrancière de la société cubaine. « Nous sommes en train de vivre un processus de destruction de l’étatisation de la société et j’espère que nous aurons un Etat qui s’autolimite dans ses fonctions et qui permette à la société de se développer[3] ». Cela permettra d’atteindre « un niveau d’indépendance et de maturité qui sera un grand apport » pour le pays. Guevara a souvent dénoncé la bureaucratie cubaine « absurde et inefficace[4] » ainsi que le paternalisme contre-productif de l’Etat. D’après lui, « la bureaucratie est représentée par des dirigeants inutiles qui pensent que leur tâche consiste uniquement à donner des ordres. L’Etat, ce n’est pas la bureaucratie, mais évidemment un Etat disproportionné crée un phénomène idéologique bureaucratique[5] ».

Le président de la République Raúl Castro a mis en garde les partisans du statu quo, qui refusent le changement : « Nous serons à la fois patients et persévérants face aux résistances au changement, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. J’avertis que toute résistance bureaucratique à l’accomplissement stricte des accords du Congrès, massivement soutenus par le peuple, sera inutile[6] ».

La corruption

La corruption est également un phénomène endémique à Cuba et gangrène les niveaux intermédiaires de la structure étatique, y compris les inspecteurs des impôts, et parfois la plus haute hiérarchie[7]. Le marché noir s’est substantiellement développé à Cuba depuis la chute de l’Union soviétique. Elle est principalement due à l’insuffisance du revenu mensuel. Raúl Castro l’a d’ailleurs reconnu sans ambages : « Le salaire est encore clairement insuffisant pour satisfaire tous les besoins, et il a pratiquement cessé de remplir son rôle d’assurer le principe socialiste selon lequel chacun apporte selon sa capacité et reçoit selon son travail. Cela a favorisé des manifestations d’indiscipline sociale[8] ». Or, toute augmentation du traitement mensuel ne peut survenir qu’en parallèle à une augmentation de la production, laquelle génèrera plus de revenus.

Une étude réalisée en 2005, à la demande expresse de Fidel Castro, avait révélé l’ampleur du vol de combustible dans les 2 000 stations à essence du pays. Durant quarante-cinq jours, les employés de ces points de vente avaient été remplacés par des travailleurs sociaux et renvoyés chez eux, avec le maintien intégral de leur salaire. Le premier rapport rendu public avait montré que plus de 50% de l’essence était détourné. En effet, les revenus quotidiens générés par les 2 000 points de ventes avaient augmenté de 100 000 dollars, soit une croissance de 115% par rapport à la situation antérieure. Dans la province de Santiago de Cuba, les revenus avaient explosé de 553%, illustrant ainsi le fait que plus de 80% du combustible était dérobé à l’Etat et revendu dans l’économie souterraine[9]. Un détournement d’une telle ampleur ne peut être effectué sans la complicité active de hauts-fonctionnaires occupant des postes à responsabilité. Par le passé, plusieurs ministres ont été destitués, traduits en justice et condamnées à de lourdes peines de prison pour corruption et détournements de fonds[10]. Récemment trois ministres ont été limogés pour diverses raisons[11]. Face à ce constat alarmant, Fidel Castro avait mis en garde contre un effondrement total du système : « Ce pays peut s’autodétruire lui-même ; cette Révolution peut s’autodétruire […], nous pouvons la détruire, et ce serait notre faute[12] ».

Raúl Castro, conscient que la corruption n’épargne pas les hauts-fonctionnaires, a envoyé un message clair aux responsables de tous les secteurs : « Il faut mettre un terme définitif au mensonge et à la tromperie dans la conduite des cadres, de tout niveau ». De manière plus insolite, il s’est appuyé sur deux des dix commandements bibliques pour illustrer son propos : « Tu ne voleras point » et « tu ne mentiras point ». De la même manière, il a évoqué les trois principes éthiques et moraux de la civilisation Inca : « ne pas mentir, ne pas voler, ne pas être paresseux », lesquels doivent guider la conduite de tous les responsables de la nation[13]. En effet, le marché noir est alimenté par le détournement massif de marchandises importées par l’Etat et implique forcément de hauts dirigeants. Raúl Castro a été explicite à ce sujet : « Face aux violations de la Constitution et de la légalité établie, il n’y a d’autres alternatives que de recourir au Procureur et aux Tribunaux, comme nous avons déjà commencé à le faire, pour exiger des responsabilités aux contrevenants, quels qu’ils soient, car tous les Cubains, sans exception, sommes égaux devant la loi[14] ».

Gladys Berejano, vice-présidente du Conseil d’Etat et responsable de la lutte anticorruption du gouvernement cubain, a reconnu que le combat contre les malversations restait un défi majeur et l’une des grandes priorités nationales. Selon un récent audit réalisé en 2011, à peine 46% des entités publiques évaluées à Cuba présentaient un bilan acceptable. Dans le reste des agences et entreprises d’Etat, les administrateurs ont falsifié les livres de comptes afin de détourner des articles vers le marché noir, avec la complicité des experts-comptables chargés d’évaluer la santé financière de la structure[15].

L’affaire Esteban Morales est édifiante dans la mesure où elle permet de faire la lumière sur la lutte entre les forces obscures et conservatrices toujours présentes au sein du Parti Communiste Cubain et ses secteurs plus critiques et progressistes. Dans un article publié sur le site Internet de l’Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC), Esteban Morales, économiste et membre du Parti communiste cubain à la réputation honorable, spécialiste de la question du racisme et des relations avec les Etats-Unis, avait mis en garde en avril 2011 contre le principal danger qui menaçait le processus révolutionnaire cubain : la corruption. Il avait dénoncé l’enrichissement illicite de certains haut-fonctionnaires et membres du gouvernement sans citer de noms, les accusant de préparer le transfert des biens publics entre des mains privées, en cas de chute du régime, dans un processus similaire à ce qui s’était passée dans l’ex Union Soviétique. « Il est indéniable que la contrerévolution prend peu à peu des positions à certains niveaux de l’Etat et du gouvernement ». Il avait cité en exemple la distribution récente de terres en usufruit et les nombreux cas de « fraudes, illégalités, favoritismes, lenteur bureaucratiques » qui se sont ensuivis, ainsi que d’autres cas de hauts-fonctionnaires qui se sont rendus coupables de détournements de fonds et ont ouvert des comptes bancaires à l’étranger[16].

Suite à la publication de cette réflexion sévère et implacable sur la forme mais fondamentalement avérée, Morales a été exclu du Parti Communiste Cubain et son article retiré du site de l’UNEAC. Néanmoins, face au large soutien dont il a bénéficié parmi les membres du Parti – y compris celui de Raúl Castro –, la Commission d’Appel du Comité Central a désavoué la décision prise en première instance et a réintégré Morales dans ses fonctions[17].

La culture du débat

L’absence d’une véritable culture du débat critique à Cuba constitue un frein au développement de la nation. Les plus hauts dirigeants sont conscients cette réalité. Ainsi, Fidel Castro regrette l’unanimité de façade trop souvent présentée, notamment dans la presse cubaine :

Pendant longtemps on a eu tendance ici à supposer que les remarques critiques, la dénonciation de ce qui n’allait pas faisaient le jeu de l’ennemi, aidaient la contre-révolution. Certains ont peur parfois d’informer sur quelque chose en pensant que cela pourrait servir à l’ennemi. Or nous savons pertinemment que le travail des médias est très important dans la lutte contre les faits négatifs. C’est pourquoi nous avons encouragé à l’esprit critique. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire de développer bien davantage l’esprit critique[18].

Raúl Castro a également fustigé les non-dits, la complaisance et la médiocrité. Il a appelé à plus de franchise. « Il ne faut pas craindre les divergences de critères […], les différences d’opinions […], qui seront toujours préférables à la fausse unanimité basée sur la simulation et l’opportunisme. Il s’agit de surcroit d’un droit dont personne ne doit être privé ». Castro a dénoncé l’excès de la « culture du secret à laquelle nous nous sommes habitués durant plus de cinquante ans » pour occulter les erreurs, les défaillances et les manquements. « Il est nécessaire de changer la mentalité des cadres et de tous nos compatriotes[19] », a-t-il ajouté, en proposant de limiter à 10 ans les mandats politiques « afin d’assurer un rajeunissement systématique de toute la chaîne de responsabilité[20] ». A destination des médias, il a tenu les propos suivants :

Notre presse parle assez de cela, des conquêtes de la Révolution, et nous en faisons autant dans les discours. Mais il faut aller au cœur des problèmes […]. Je suis un défenseur à outrance de la fin de la culture du secret car derrière ce tapis doré se cachent nos manquements et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change. Je me souviens de quelques critiques apparues dans la presse il y quelques années avec mon soutien [...]. Immédiatement, la grande bureaucratie s’est mise en branle et a commencé à protester : « Ces choses n’aident pas et démoralisent les travailleurs ». Quels travailleurs vont être démoralisés ? De même, dans une grande entreprise laitière de l’Etat de Camagüey, Le Triangle, pendant des semaines, on donnait le lait produit à des cochons du coin car le camion citerne était en panne. J’ai alors demandé à un secrétaire du Comité Central de dénoncer cela dans Granma. Certains sont venus me voir pour me dire que ce genre de critiques était contreproductif car cela démoralisait les travailleurs, etc. Mais, ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’en étais à l’origine[21].

Le 1er août 2011, lors de son discours de clôture de la VIIe Législature du Parlement Cubain, Raúl Casto a réitéré la nécessité du débat critique et contradictoire au sein d’une société : « Toutes les opinions doivent être analysées, et quand il n’y a pas consensus, les divergences seront portées auprès des instances supérieures habilitées à prendre une décision ; de plus, personne ne dispose des prérogatives pour l’empêcher[22] ». Il a appelé à mettre fin « à l’habitude du triomphalisme, de l’autosatisfaction et du formalisme dans le traitement de l’actualité nationale et à générer des matériaux écrits et des programmes de télévision et de radio qui par leur contenu et leur style captent l’attention et stimulent le débat au sein de l’opinion publique », afin d’éviter les matériaux « ennuyeux, improvisés et superficiels » au sein des médias[23].

Granma a également fustigé la culture du secret de la part des fonctionnaires qui empêchent la presse cubaine d’informer correctement la population. Ainsi, la collecte d’information devient un véritable parcours du combattant dans un labyrinthe bureaucratique où les autorisations pour tout reportage sont nécessaires. Le quotidien dénonce « l’incompréhension de nombreux fonctionnaires administratifs qui semblent vivre insensibles au droit des citoyens et à l’irritation que cause à la population le fait de ne pas expliquer à temps les raisons d’un phénomène ou d’une mesure ». Les obstacles sciemment érigés dans l’accès à l’information violent « les principes démocratiques » établies par la Constitution de la République. « Offrir une information systématique, véritable, diverse, qui permette d’aborder la réalité dans toute sa complexité, ne constitue pas une faveur mais un droit du peuple », conclut le journal[24].

Le sectarisme

A Cuba, certaines pratiques discriminatoires sont toujours persistantes au plus haut niveau de l’appareil étatique, malgré les efforts déployés par le président de la République lui-même pour y mettre un terme. Raúl Castro a ainsi publiquement dénoncé à la télévision certaines atteintes à la liberté religieuse dues à l’intolérance « encore enracinée dans la mentalité de nombreux dirigeants à tous les niveaux ». Il a évoqué le cas d’une femme, cadre du Parti communiste, au parcours exemplaire, qui a été écartée de ses fonctions, en février 2011, en raison de sa foi chrétienne et dont le salaire a été réduit de 40%, en violation de l’article 43 de la Constitution de 1976 qui interdit tout type de discrimination. Le président de la République a ainsi dénoncé « le mal occasionné à une famille cubaine par des attitudes basées sur une mentalité archaïque, alimentée par la simulation et l’opportunisme ». Rappelant que la personne victime de cette discrimination était née en 1953, date de l’attaque de la caserne Moncada par les partisans de Fidel Castro contre la dictature de Fulgencio Batista, Raúl Castro a tenu les propos suivants :

Je ne suis pas allé au Moncada pour ça […]. J’ai évoqué cette affaire lors de la réunion du 30 juillet, qui marquait également le 54ème anniversaire de l’assassinat de Frank País et de son fidèle compagnon Raúl Pujol. J’ai connu Frank au Mexique, je l’ai revu dans la Sierra, et je ne me souviens pas avoir connu une âme aussi pure que la sienne, aussi courageuse, aussi révolutionnaire, aussi noble et modeste, et m’adressant à l’un des responsables de cette injustice qui a été commise, je lui ai dit : Frank croyait en Dieu et pratiquait sa religion, que je sache il n’avait jamais cessé de la pratiquer, qu’auriez-vous fait de Frank País[25] ?

Pourtant, les relations avec l’Eglise catholique romaine n’ont jamais été aussi bonnes depuis le triomphe de la révolution en 1959. Le scénario de confrontation avec les institutions religieuses a peu à peu laissé place au dialogue, limant ainsi les aspérités du passé où « les deux parties ont fait preuve d’excès ». Raúl Castro a ainsi virulemment condamné ces pratiques « qui portent atteinte à notre principal arme pour préserver l’indépendance et la souveraineté nationale, c’est-à-dire, l’Unité de la Nation ». Selon lui, il est urgent de briser « la barrière psychologique formée par l’inertie, l’immobilisme, la simulation ou la double morale et l’insensibilité » qui conduit à tout type d’abus. « Notre pire ennemi n’est pas l’impérialisme et encore moins ses salariés présents sur notre sol, mais nos propres erreurs. Si elles sont analysées en profondeur et avec honnêteté, elles se transformeront en leçons[26] ».

Une productivité faible

La productivité est également un problème endémique dans une société habituée à recevoir la même rémunération quelle que soit la qualité et la quantité du travail fourni. Les employés du secteur public ne s’intéressent guère aux problématiques de productivité et d’efficience. Il y en en effet « une absence de culture économique chez la population ». Par ailleurs, la soviétisation de l’économie cubaine à partir de 1968, avec la nationalisation de tous les petits commerces, a eu des conséquences désastreuses pour le pays en termes de rendement. Au lieu d’adapter la politique économique aux particularités nationales, Cuba avait suivi par mimétisme le modèle russe. Raúl Castro admet désormais l’erreur dictée à la fois par l’inexpérience de la direction de la nation et par le contexte géopolitique de l’époque : « Nous ne pensons pas copier de nouveau quelqu’un, car cela nous a causé de nombreux problèmes par le passé et, par-dessus le marché, nous avions mal copié[27] ». Le gouvernement cubain est lucide au sujet de ses manquements en matière économique. Il reconnaît que « la spontanéité, l’improvisation, la superficialité, le non-accomplissement des objectifs, le manque de profondeur dans les études de faisabilité et le manque de vision intégrale pour entreprendre un investissement » portent un grave préjudice à la nation[28].

Cuba dispose de terres extraordinairement fertiles et pourrait être un exportateur de matières premières alimentaires. Au lieu de cela, Cuba importe 83% des produits alimentaires qu’elle consomme. Par exemple, Cuba importe chaque année 47 millions de dollars de café alors qu’il serait parfaitement possible d’en produire à Cuba d’une excellente qualité. En 1975, le Vietnam, au sortir de la guerre, avait sollicité l’aide cubaine pour produire du café. Le Vietnam est désormais le second exportateur de café au monde…grâce à l’expérience et au savoir-faire cubains. Un diplomate vietnamien a fait part de sa surprise à son homologue cubain face à cette contradiction : « Comment est-il possible que vous nous achetiez du café alors que vous nous avez appris à le semer[29] ? ». Il y a une raison à cela : Sur les 6,6 millions d’hectares de surface agricole, 3,6 millions restaient en jachère ou sous-exploités en 2008[30].

La politique agricole du gouvernement révolutionnaire a ainsi été l’un de ses plus graves échecs. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette dépendance stratégiquement dangereuse. Tout d’abord, le métier de la terre est par définition un travail difficile et ingrat, surtout dans une société qui a atteint un niveau de développement humain sans précédant dans l’histoire de l’Amérique latine et du Tiers-monde. Il est en effet difficile de convaincre des citoyens ayant obtenu des diplômes universitaires d’aller produire du café ou du blé pour obtenir, de toute façon, le même salaire qu’un employé de bureau. Pour cela, il est indispensable « que les agriculteurs obtiennent des revenus justes et raisonnables pour leur dur labeur[31] », comme l’a rappelé le président cubain. Ainsi, depuis 2008, sur un fonds disponible de 1,8 millions d’hectares de terres non cultivées, plus d’un million a été concédé – pour des surfaces allant de 13 à 40 hectares – en usufruit gratuit pour une période de 10 ans pour les particuliers et de 25 ans pour les coopératives. De la même manière, le gouvernement a décidé de baisser de 60% le prix du matériel et des produits agricoles afin d’inciter la population à investir ce domaine[32].

L’hypertrophie du secteur public et la faiblesse de l’infrastructure productive

L’hypertrophie du secteur public est une réalité indéniable. En effet, l’Etat emploie près de 84% de la population active, qui s’élève à 5,2 millions de personnes. La fonction publique se charge de fournir un emploi aux Cubains, même si certains secteurs sont saturés. Le suremploi permet d’obtenir une certaine stabilité sociale mais près d’un million d’emplois sont considérés comme peu ou pas productifs[33].

La décapitalisation de l’industrie et de l’infrastructure productive constitue un sérieux obstacle économique. Cuba a un besoin urgent de nouveaux investissements, notamment en capitaux étrangers. Néanmoins, les menaces de sanctions en provenance des Etats-Unis freinent les potentiels investisseurs[34].

Une transition démographique avancée

Cuba se trouve enfin à stade de transition démographique avancée, tout comme des pays tels que l’Argentine, l’Uruguay ou le Chili, en raison de son indice de développement humain élevée. Le pays est donc confrontée au vieillissement de sa population, dont l’espérance de vie est de près de 80 ans. Selon le Bureau national des statistiques (ONE), près de deux millions de personnes ont plus de 60 ans, soit 17,8% de la population du pays. Dans vingt ans, le chiffre passera à 30%[35]. Cuba compte actuellement 1 551 centenaires et doit faire face non seulement au problème du financement des retraites – l’âge de départ est passé de 55 ans à 60 ans pour les femmes et de 60 ans à 65 ans pour les hommes en 2009 –, mais également au danger de non-renouvellement générationnel qui affecte l’économie et la société. En effet, le nombre d’habitants a diminué en 2010 en raison du faible taux de natalité[36].

A suivre :

-« Les mesures économiques et sociales ».

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011, avec un prologue de Wayne S. Smith et une préface de Paul Estrade.

Contacto: Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ; lamranisalim@yahoo.fr



[1] Félix López, « Burocratismo, de regla a excepción », Granma, 29 janvier 2011 ; EFE, « Diario oficial arremete contra burócratas », 29 janvier 2011

[2] José Alejandro Rodríguez, « Menos respuestas cuando más se necesitan », Juventud Rebelde, 6 juillet 2011.

[3] Agence France Presse, « Figura histórica del castrismo aplaude la ‘desestatización », 23 novembre 2010.

[4] Agence France Presse, « Transición del ‘disparate’ al socialismo, dice Guevara », 24 juin 2011

[5] Agence France Presse, « Figura histórica del castrismo aplaude la ‘desestatización », op. cit.

[6] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[7] Agence France Presse, « Fisco cubano combatirá corrupción de inspectores », 26 juillet 2011.

[8] Raúl Castro Ruz, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op. cit.

[9] Andrea Rodriguez, « Castro revela cifras de robo de combustible en Cuba », Associated Press, 7 décembre 2005.

[10] Esteban Morales, « Corrupción: ¿La verdadera contrarrevolución? », Progreso Semanal, 20 avril 2010 ; Mauricio Vicent, « Corrupción al modo cubano », El País, 16 mai 2010 ; Agence France Presse, « Cuba condena a veinte años de cárcel a empresario chileno Max Marambio », 5 mai 2011.

[11] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit., Granma, « Electa Teresita Romero vicepresidenta de la Asamblea Provincial del Poder Popular en Sancti Spíritu », 2 avril 2011 ; EFE, « Destituciones por corrupción en gobierno de Sancti Spíritu », 2 avril 2011.

[12] Fidel Castro Ruz, « Discurso pronunciado por Fidel Castro Ruz, Presidente de la República de Cuba, en el acto por el aniversario 60 de su ingreso a la universidad, efectuado en el Aula Magna de la Universidad de La Habana », 17 novembre 2005. http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/2005/esp/f171105e.html (site consulté le 2 avril 2011).

[13] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[14] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[15] Juan O. Tamayo, « Régimen cubano reconoce aumento de corrupción », 22 juin 2011.

[16]Esteban Morales, « Corrupción : ¿la verdadera contrarrevolución », Unión Nacional de Escritores y Artistas de Cuba, 8 avril 2011. http://www.uneac.org.cu/index.php?module=noticias&act=detalle&tipo=noticia&id=3123 (site consulté le 11 août 2011).

[17] Andrea Rodriguez, « Cuba : comunistas reincorporan a académico expulsado por críticas », The Associated Press, 8 juillet 2011.

[18] Ignacio Ramonet, Fidel Castro. Biographie à deux voix, Paris, Fayard/Galilée, 2007, p. 516.

[19] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[20] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 avril 2011. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2011/esp/r160411e.html (site consulté le 3 juin 2011).

[21] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[22] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[23] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 de abril de 2011. http://www.cubadebate.cu/opinion/2011/04/16/texto-integro-del-informe-central-al-vi-congreso-del-pcc/ (site consulté le 20 avril 2011).

[24] Anneris Ivette Leyva, « El derecho a la información », Granma, 8 juillet 2011.

[25] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[26] Ibid.

[27] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[28] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[29] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[30] Andrea Rodriguez, « Rebajan precios de insumos agrícolas en Cuba », The Associated Press, 5 août 2011. Voir également le témoignage d’un agriculteur : Ventura de Jesús, « Un buen agricultor suburbano », Granma, 21 mai 2011.

La réforme du modèle économique cubain : Causes et perspectives (3/3)

Salim Lamrani

Les mesures économiques et sociales

Du 1er décembre 2010 au 28 février 2011, un projet de réforme de la politique économique et sociale, élaboré par la Commission de Politique économique du Parti communiste cubain, a été soumis à un vaste débat public avec l’aide de la centrale syndicale du pays[1]. Au total, près de 9 millions de Cubains ont assisté à l’une des 163 000 réunions organisées pour débattre du projet avec un total de 3 millions d’interventions. Le document original comprenait 291 points, desquels 16 ont été intégrés à d’autres, 94 ont été maintenus intacts, 181 ont été modifiés et 36 ajoutés pour un total comprenant au final 311 points[2]. Le projet de départ a ainsi été modifié à 68% par les citoyens et a été adopté le 18 avril 2011 lors de la tenue du VIIème Congrès du Parti communiste cubain par les mille délégués représentant les 800 000 militants[3]. Il a ensuite été soumis au Parlement cubain, qui l’a approuvé en session plénière le 1er août 2011[4].

L’Etat cubain, qui doit apporter des solutions pour éviter la banqueroute, a ainsi décidé, sur une base quinquennale, d’adapter les dépenses aux ressources disponibles et deréduire au maximum le recours à la dette[5]. Raúl Castro a insisté sur l’urgence de la situation : « Nous sommes convaincus que la seule chose qui puisse faire échouer la Révolution et le socialisme à Cuba, mettant en danger le futur de la nation, est notre incapacité à dépasser les erreurs que nous avons commises durant plus de 50 ans[6] ».

Deux mesures spectaculaires sont à souligner. La première constitue une révolution structurelle de la force du travail. Ainsi, les autorités ont décidé de procéder à la suppression à moyen terme de près d’un demi-million de postes de fonctionnaires, soit 10% du total des employés du secteur public, et d’un million d’ici cinq ans[7]. Les fonctionnaires concernés auront trois possibilités : une réaffectation dans un service déficitaire, le travail privé ou l’obtention de terres en usufruit. Auparavant, les employés licenciés percevaient l’intégralité de leur revenu jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi. Désormais, l’allocation chômage ne durera que cinq mois au maximum et sera à taux plein que le premier mois (passant ensuite à 60% du salaire). Tous les secteurs disposant d’un excédent de capital humain seront réduits au strict nécessaire avec une restructuration du monde du travail. Le gouvernement précise néanmoins que « l’Etat socialiste ne laissera aucun citoyen dans le désarroi et s’assurera, par le biais du système d’assistance sociale, que les personnes ne pouvant travailler recevront un minimum de protection. A l’avenir, les subventions seront destinées non pas aux produits mais à celles et ceux qui pour une raison ou pour une autre les nécessitent vraiment[8] ».

La seconde mesure est également sans précédent par son envergure. Il s’agit d’une ouverture de l’économie étatique au secteur privé, destinée, entre autres, à légaliser une économie informelle croissante, et à récolter des impôts dans un pays peu habitué à la culture fiscale. Ainsi, l’Etat, qui contrôle près de 90% de l’économie, a décidé de déléguer une partie de ses activités économiques à des personnes privées, et se limitera à la gestion et l’exploitation des ressources stratégiques de la nation, avec une décentralisation progressive afin de stimuler le développement. Près de 250 000 nouvelles licences ont été octroyées dans divers secteurs. Près de 178 nouvelles activités ont ainsi été ouvertes au domaine privé et concernent différents champs tels que la restauration (le nombre de sièges dans les restaurant passant de 12 à 50[9]), la vente au détail ou la location de chambre. Dans 83 secteurs, les nouveaux entrepreneurs pourront désormais embaucher du personnel, prérogative qui a été jusque là une exclusivité de l’Etat, des sociétés mixtes et des entreprises étrangères, moyennant des charges à hauteur de 25% du salaire de l’employé[10]. Le succès a été immédiat[11]. En l’espace de six mois, le nombre de petits entrepreneurs est passé de 157 000 à plus de 320 000, et devrait se stabiliser autour d’un demi-million[12]. Les premiers effets positifs sont apparus avec une augmentation des recettes fiscales de l’Etat au bout de six mois[13].

Les commerces privés sont soumis à un impôt progressif pouvant atteindre 50% des revenus et à des cotisations sociales à hauteur de 25%[14]. Les revenus jusqu’à 5 000 pesos annuels sont exemptés d’impôts alors que ceux qui dépassent les 50 000 pesos seront taxés à hauteur de 50%. Le nouveau code fiscal stipule que les entrepreneurs pourront désormais déduire jusqu’à 40% de leurs revenus au titre de frais professionnels contre 10% auparavant[15]. Ainsi, les travailleurs indépendants devront s’acquitter de quatre impôts au total : l’impôt sur le revenu de 25% (revenus supérieurs à 5 000 pesos) à 50% (revenus supérieurs à 50 000 pesos), les charges patronales à hauteur de 25% du salaire de l’employé, la TVA de 10% (5% pour le secteur alimentaire), et les cotisations sociales de 25%[16].

Pour faire face à la pénurie de matières premières, le gouvernement a décidé d’allouer d’importantes ressources à l’achat de matériel exclusivement réservées au secteur privé. Les nouveaux entrepreneurs devront faire face à trois principaux défis : se constituer une clientèle, obtenir des crédits et vaincre les obstacles bureaucratiques[17]. Les plus hautes autorités de l’Etat ont garanti le caractère irréversible des réformes et ont apporté leur soutien aux travailleurs indépendants en annonçant une nouvelle politique bancaire de crédits destinés aux micro-entrepreneurs[18], en particulier dans le domaine agricole[19]. Ces nouvelles mesures devraient générer des revenus à hauteur d’un milliard de dollars en impôts, selon les estimations gouvernementales[20].

De la même manière, les cantines d’entreprise et le transport ouvrier ne seront plus à la charge de l’Etat, tout comme les salons de coiffure et les taxis, entre autres, qui vont être dorénavant gérés par les employés. Les entreprises disposeront désormais de facultés d’initiative plus amples[21].

L’objectif est d’augmenter la productivité, de renforcer la discipline et d’offrir un éventail de salaires plus large qui permette de satisfaire les nécessités des citoyens. La politique égalitariste dans les mécanismes de distribution du revenu sera ainsi éliminée, tout comme la gratuité de certaines prestations[22]. Raúl Castro reconnaît que « l’excessive approche paternaliste, idéaliste et égalitariste instituée par la Révolution au nom de la justice sociale » a été une erreur. « Nous avons confondu le socialisme avec les gratuités et les subventions, l’égalité avec l’égalitarisme », a-t-il précisé. Désormais, les salaires seront indexés sur la productivité[23]. « L’égalité des droits et des opportunités pour tous les citoyens » prévaudra, avec une politique axée sur le travail considéré comme « à la fois un droit et un devoir ». Il sera désormais « rémunéré en fonction de sa quantité et de sa qualité[24] ».

Par ailleurs, de nombreuses interdictions outrancières, qui favorisaient le marché noir, sont en passe d’être éliminées. Raúl Castro a ainsi appelé à

éliminer les nombreuses prohibitions irrationnelles qui ont perduré pendant des années, sans tenir compte des circonstances existantes, créant ainsi le ferment pour de multiples agissements en marge de la loi, qui débouchent fréquemment sur la corruption à des niveaux variés. On peut arriver à une conclusion évidente : les prohibitions irrationnelles favorisent les violations, lesquelles conduisent à leur tour à la corruption et à l’impunité.

Il a ainsi dénoncé les démarches administratives inutiles concernant le changement de logement ou la vente de voiture entre particuliers[25]. Désormais, les logements pourront être achetés et vendus par les Cubains ainsi que les étrangers ayant le statut de résident permanent. Auparavant, seuls l’échange et le legs étaient autorisés, entrainant de nombreuses opérations illégales. Néanmoins, il ne sera pas possible d’être propriétaire de plus d’un logement et ces mesures excluent à la fois les Cubains non résidents ainsi que les étrangers. La loi sur la confiscation des biens pour les émigrants est ainsi abrogée, lesquels pourront, en cas de départ, léguer leurs biens à leur famille jusqu’au quatrième degré de consanguinité, à condition de pouvoir justifier de cinq ans de vie commune avec la personne concernée[26].

Enfin, l’île se trouve également dans l’obligation de mettre un terme à la dualité monétaire – le peso avec lequel la plupart des Cubains reçoivent leur salaire et le peso convertible, réservé au secteur touristique – afin de réduire les inégalités. En effet, un peso convertible (environ 1 dollar) vaut 26 pesos[27].

Si le changement de la structure économique semble indispensable, Cuba ne compte pas adopter le modèle économique de marché. Selon le gouvernement cubain, le principe de base reste le même : « Seul le socialisme est capable de vaincre les difficultés et préserver les conquêtes de la Révolution ». Ainsi, la planification de l’économie prévaudra sur les règles mercatiques, tout en modernisant la méthodologie, l’organisation et la gestion[28].

Au niveau macroéconomique, Cuba aspire à une meilleure efficience afin de limiter l’intervention financière de l’Etat dans les secteurs déficitaires. Deux types de solutions sont envisagés. La première, à court terme, permettra d’éliminer le déficit de la balance des paiements en substituant les importations et en augmentant les revenus externes. L’objectif d’améliorer la croissance et le niveau de vie de la population passe par une meilleure efficacité économique, une stimulation du travail et une redistribution plus équitable du revenu national[29].

A long terme, Cuba doit trouver des solutions de développement durable qui permettent notamment d’atteindre une autosuffisance alimentaire et énergétique, une utilisation efficace du capital humain, une bonne compétitivité dans les productions traditionnelles et le développement de nouvelles productions de biens et de services à haute valeur ajoutée[30].

Les entreprises étatiques et les coopératives

Une autonomie plus grande sera octroyée aux entreprises étatiques, aux entreprises aux capitaux mixtes, aux coopératives, aux usufruitiers de terres, ainsi qu’aux petits entrepreneurs privés, sans pour autant permettre une concentration de propriété trop importante. Le pouvoir décisionnel sera décentralisé au profit du secteur entrepreneurial, afin d’obtenir une meilleure efficacité. Les entreprises disposeront de plus de facultés ainsi que d’une responsabilité plus importante dans la gestion de leurs ressources humaines, matérielles et financières, supprimant ainsi une partie des contrôles bureaucratiques. Des marchés d’approvisionnement non subventionnés seront à la disposition des entreprises[31].

Les entreprises étatiques dont le bilan financier est structurellement déficitaire, dont le capital de travail est insuffisant et qui se montrent incapables de respecter leurs obligations, passeront systématiquement par un processus de liquidation. Les entreprises ne recevront plus de financement budgétaire pour la production de biens et de services. En revanche, elles pourront créer des fonds propres pour le développement ou l’augmentation de salaires, en cas de bénéfices, après avoir satisfait leur contrat de production et s’être acquittées de leurs obligations fiscales. De la même manière, les salaires des employés du secteur public évolueront en fonction des résultats de l’entreprise. Les subventions pour pertes seront désormais éliminées[32].

Les coopératives, basées sur « libre disposition des travailleurs à s’y associer », restent propriétaires des moyens de production et peuvent en disposer à leur guise (location, usufruit…). Elles peuvent s’associer à d’autres entités similaires (pour l’achat et la vente par exemple afin de réduire les coûts). Néanmoins, la propriété coopérative ne peut être vendue ou louée à d’autres coopératives ou à des entreprises non étatiques. Elles se chargent également de fixer les salaires de leurs employés[33].

La politique sociale

Au niveau de la politique sociale, la priorité est de préserver « les conquêtes de la Révolution, tels que l’accès aux soins médicaux, à l’éducation, à la culture, au sport, aux loisirs, à la sécurité sociale et à la protection au moyen de l’assistance sociale pour les personnes dans le besoin », tout en éliminant les « dépenses excessives[34] ».

Au niveau de l’éducation, les cursus universitaires seront en adéquation avec le développement de l’économie et de la société, avec une augmentation des places dans les filières technologiques et scientifiques. Au niveau de la santé, une réorganisation territoriale des centres de soin est prévue, tout comme le développement de la médecine naturelle et traditionnelle, ainsi que la promotion de la médecine préventive. Enfin, pour faire face au vieillissement de la population et au problème de la dépendance, la contribution des salariés sera accrue et de nouveaux financements devront être trouvés[35].

Le salaire retrouvera un rôle principal au sein de la société afin de « réduire les gratuités non nécessaires et les subventions personnelles excessives, en établissant des compensations pour les personnes dans le besoin ». Ainsi, le carnet de rationnement, instauré en 1963 pour faire face aux sanctions économiques, à la spéculation sur les matières premières et éviter une crise alimentaire, « qui favorise autant le citoyen dans le besoin que celui qui en est à l’abri », dispose de nombreux inconvénients car il profite indistinctement aux travailleurs consciencieux qui apportent de la richesse à la société et à ceux qui préfèrent vivre aux crochets de l’aide sociale sans rien produire[36].

Comme le note Raúl Castro, le carnet « est devenu, au fil des ans, une charge insupportable pour l’économie, n’incite pas au travail, et est source d’illégalités diverses[37] ». Il est ainsi graduellement réduit et sera à terme supprimé pour éviter les pratiques de trocs et de revente qui alimentent le marché noir[38]. Par exemple, les cigarettes ont disparu du carnet depuis septembre 2010[39]. Le riz et le sucre (exceptée la partie mensuelle subventionnée) sont désormais en vente libre sur le marché[40], alors que le prix de l’huile a augmenté d’environ 10%[41]. La suppression du carnet de rationnement sera compensée par des augmentations salariales.

Néanmoins, l’alimentation sociale dans la sphère des services de santé et d’éducation est préservée « pour protéger la population vulnérable ». Les cantines ouvrières resteront ouvertes mais elles seront désormais payantes et non subventionnées. De la même manière, l’Etat s’engage à « garantir que les personnes dans le besoin reçoivent la protection de l’assistance sociale[42] ».

La politique industrielle et énergétique

L’industrie pharmaceutique et biotechnologique est l’un des fleurons économiques de la nation cubaine. Elle représente la quatrième source de revenus pour l’île après les prestations de services, le tourisme et le nickel[43]. L’objectif affiché est d’atteindre une souveraineté technologique dans ce domaine et de renforcer la politique de dépôt de brevet et de propriété industrielle sur les principaux marchés internationaux.

Au niveau énergétique, Cuba doit réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur et élever la production de pétrole et de gaz en exploitant les gisements sous-marins récemment découverts dans le Golfe du Mexique, et augmenter sa capacité de raffinement afin de réduire l’importation de produits dérivés. Néanmoins, de lourds investissements sont nécessaires et l’île ne dispose pas des ressources pour les financer. De la même manière, l’énergie utilisée pour des activités productives de biens ou de services ne sera plus subventionnée[44].

Afin de procéder à des économies d’énergie en raison de la hausse du prix du pétrole, le gouvernement a ainsi annoncé en octobre 2010 une augmentation des tarifs électriques pour les grands consommateurs, c’est-à-dire ceux qui utilisent plus de 300 kilowatts/heure par mois. L’augmentation sera graduelle et oscillera entre 15% et 285% du prix, selon le surplus de consommation. Cette catégorie d’usagers, qui représente 5,6% de la population, devra payer entre 1,5 et 5 pesos le kilowatts/heure supplémentaire au lieu du prix normal de 1,3 pesos. Pour les ménages consommant moins de 100 kilowatts/heure, le prix restera à 0,09 peso le kilowatt/heure. L’Etat a donné l’exemple en réduisant sa consommation de 10% en 2010 par rapport à l’année antérieure. Le prix de l’essence a également augmenté de 10% et celui du diesel de 18%, étant donné que plus de 50% du combustible consommé dans l’île est destiné à produire de l’électricité[45].

Le tourisme

Dans le secteur touristique, qui constitue la seconde source de revenus de la nation, la priorité est donnée à l’amélioration de la qualité des services fournis – lesquels sont bien en deçà des standards internationaux –, ainsi qu’à la diversification des destinations touristiques à l’intérieur du pays pour éviter des concentrations trop importantes de vacanciers. De la même manière, pour augmenter la capacité d’hébergement du pays, les particuliers pourront désormais louer plus facilement une partie de leur logement[46].

Le transport et le logement

Le transport reste l’un des graves problèmes à Cuba et a un impact aussi bien sur la vie économique que sur le bien-être de la population. Le réseau doit être modernisé, réorganisé et surtout développé. Les réseaux ferroviaire et maritime constituent une priorité notamment pour des raisons économiques et environnementales. Les ports nationaux doivent notamment être agrandis pour des raisons commerciales[47].

L’autre grand problème national reste le logement qui est insuffisant et souvent dans un état précaire. L’île nécessite la construction de 100 000 logements par an car il existe depuis des décennies un déficit structurel du fond immobilier de la nation, en raison notamment des sanctions économiques. La construction de logements ne sera plus une tâche exclusive de l’Etat : le secteur privé pourra désormais s’acquitter de cette activité. En novembre 2010, l’Etat a décidé de mettre un terme aux subventions du matériel de construction en raison du manque de liquidités[48].

Conclusion

Le défi qui attend les Cubains est de taille. S’ils ne peuvent agir contre le principal obstacle au développement de la nation que sont les sanctions économiques, dont la levée –unanimement réclamée – dépend du bon vouloir de la Maison-Blanche et du Congrès étasunien, ils peuvent se targuer d’avoir créé la société la moins injuste de la planète et d’afficher le meilleur indice de développement humain du Tiers-monde. Néanmoins, la lutte contre la bureaucratie, la corruption, le marché noir, la faible productivité, l’amateurisme en termes de politique économique, la forte dépendance alimentaire et énergétique, les interdictions outrancières, l’insuffisance de débat critique, le rapport nonchalant au travail, restent leur principale priorité. Les Cubains – plus précisément les plus jeunes générations – devront se montrer à la hauteur de la situation et s’adapter aux nouvelles réalités, tout en restant fidèles à leur histoire et leur tradition de lutte et de résistance. Car, pour reprendre les enseignements lucides de l’Apôtre cubain et héros national José Martí, « le premier devoir de tout homme […] est d’être un homme de son temps ».

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011, avec un prologue de Wayne S. Smith et une préface de Paul Estrade.

Contacto: Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ; lamranisalim@yahoo.fr



[1] Andrea Rodriguez, « Raúl Castro pide apoyo a central sindical cubana », Associated Press, 1er noviembre 2010.

[2] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 de abril de 2011. http://www.cubadebate.cu/opinion/2011/04/16/texto-integro-del-informe-central-al-vi-congreso-del-pcc/ (site consulté le 20 avril 2011).

[3] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[4] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[5] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[6] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 de abril de 2011, op. cit.

[7] Agence France Presse, « Gobierno cubano anuncia reglas para apertura de negocios y despidos », 25 octobre 2010.

[8] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[9] Agence France Presse, « Cuba baja los impuestos y amplia ‘paladares’ para estimular negocios », 27 mai 2011.

[10] Juan Carlos Chávez, « Impuestos en Cuba llegarán hasta el 50 por ciento para trabajadores privados », El Nuevo Herald, 26 octobre 2010.

[11] Paul Haven, « Cuba : Pequeños empresarios, factor clave de reformas económicas », op. cit

[12] Agence France Presse, « Otorgan en Cuba 171,000 nuevas licencias », 21 mars 2011 ; Ivette Fernández Sosa, « Trabajadores por cuenta propia sobrepasan las 300 000 personas », Granma, 21 mai 2011.

[13] Andrea Rodriguez, « Erario cubano comienza a ver resultados de reforma », The Associated Press, 16 mai 2011.

[14] EFE, « Cubanos se preparan para nueva cultura tributaria », 22 octobre 2010.

[15] Mark Frank & Eric Faye, « Cuba dévoile un nouveau code fiscal pour les petites entreprises », Reuters, 22 octobre 2010.

[16] Paul Haven, « Cuba Males Self-Employement Rules Official », Associated Press, 25 octobre 2010 ; Agence France Presse, « Cuba: jusqu’à 50% des revenus des commerces privés soumis à impôt », 25 octobre 2010.

[17] Paul Haven, « Cuba : Pequeños empresarios, factor clave de reformas económicas », op. cit

[18] EFE, « Anuncian nueva política bancaria de créditos », 1er avril 2011 ; Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[19] EFE, « Gobierno cubano da créditos a campesinos », 11 juillet 2011.

[20] Juan Carlos Chávez, « Impuestos en Cuba llegarán hasta el 50 por ciento para trabajadores privados », op. cit.

[21] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[22] Ibid.

[23] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[24] Partido Comunista de Cuba, « Proyecto de lineamientos de la política económica y social », op. cit.

[25] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[26] Agence France Presse, « Cubanos de la isla podrán comprar casas y autos », 1er juillet 2011.

[27] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[28] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] Ibid.

[36] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[37] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 de abril de 2011, op. cit.

[38] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[39] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[40] EFE, « Cuba libera venta de azúcar y sube precio del arroz », 12 février 2011.

[41] Agence France Presse, « Cuba sube precio de aceite comestible », 2 avril 2011.

[42] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[43] EFE, « La isla recibe al primer millón de turistas en 2011 », 11 avril 2011.

[44] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[45] EFE, « Cuba sube tarifas eléctricas para grandes consumidores domésticos », 29 octobre 2010.

[46] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[47] Ibid.

[48] Agence France Presse, « Raúl Castro elimina subsidios a materiales para reparar y construir casas », 18 novembre 2010.