Il y a quarante-deux ans, le 25 avril, à minuit quinze, on pouvait entendre partout au Portugal, Grândola Vila Morena sur les ondes radiophoniques. Cette chanson populaire de l’Alentejo décrit un village, Grândola, comme une terre de fraternité. Le régime fasciste de l’Estado Novo en place depuis 1933 - la plus longue dictature fasciste en Europe - considérait ce chant comme subversif et l’avait donc interdit, car propagateur d’idéaux assimilés au communisme. Sa diffusion sur la radio publique annonçait clairement qu’un nouveau jour se lèverait sur le Portugal, comme si la «terre de fraternité» rêvée dans Grândola Vila Morena s’étendrait sur l’ensemble du pays.
Au-delà du symbolisme, cette chanson diffusée aux petites heures de la nuit se voulait avant tout un signal marquant le début des opérations militaires qui allaient enclencher la Révolution des Oeillets, début de la libération de tout un peuple d’une dictature fasciste et sanglante. Elle a également pavé la voie à la libération de quatre des dernières colonies africaines (Angola, Guinée Bissau, Mozambique et Cap-Vert).
La Révolution des Oeillets a été initiée par le Mouvement des forces armées, soit un groupe de militaires dissidents opposés au régime dictatorial qui s’enlisait un marasme économique et dans des guerres coloniales particulièrement meurtrières en Angola et au Mozambique. Elle aurait pu se traduire par un simple passage à une démocratie libérale bourgeoise. Or, grâce à la lutte clandestine du Parti communiste portugais, seule force politique organisée durant les années sombres de la dictature, cette Révolution a pris des allures beaucoup plus radicales et progressistes que ne l’auraient souhaité les chantres de la ploutocratie européenne. Durant les semaines qui ont suivi la destitution du dictateur Marcelo Caetano, nombreux ont été ceux qui ont décrié «l’assassinat» de la démocratie au Portugal à cause du rôle accru du Parti communiste portugais dans le processus de transition démocratique et surtout dans leur participation à la rédaction de la nouvelle Constitution.
Et pour cause, ce texte dont nous célébrons cette année le 40e anniversaire, produit d’un compromis entre les forces révolutionnaires, les socialistes et quelques libéraux, affirme tout de même dans son article premier que «le Portugal est une République souveraine, basée sur la dignité humaine et la volonté populaire, qui s’engage dans sa transformation vers une société sans classes». De nombreux autres articles s’attaquent au capitalisme monopoliste et en préconisent la liquidation; garantissent le droit de grève et interdisent les lock-outs; entérinent la réforme agraire, définie comme «un des instruments fondamentaux pour la construction d’une société socialiste», ainsi que la nationalisation et la socialisation des moyens de production; identifient comme priorité l’amélioration des conditions de vie du peuple; font du Portugal un pays anti-guerre qui reconnait le droit des peuples à l’auto-détermination, refuse l’ingérence dans les différents conflits et préconise le désarmement tout comme la dissolution des «blocs militaro-politiques» (sous-entendu l’OTAN et l’Union européenne).
Sans aucun doute, il s’agit de la Constitution la plus progressiste d’Europe . Il n’est donc pas étonnant que la bourgeoisie monopoliste revancharde et nostalgique de l’ancien régime ainsi que les capitalistes européens se soient et continuent de s’affairer à une application plus que laxiste de la Constitution. Malgré sept modifications visant à la rendre plus compatible aux intérêts des grandes entreprises portugaises, européennes et internationales, elle demeure une référence en termes de cadre pour une démocratie avancée. Les violations constitutionnelles sont donc monnaie courante au Portugal: tous les gouvernements qui se sont succédé depuis quarante deux ans en sont coupables, qu’il s’agisse du Parti socialiste ou des partis de droite.
Le seul Parti qui, aujourd’hui, fait de la défense de la Constitution et des valeurs de la Révolution d’avril une priorité est le Parti communiste portugais qui la considère comme un outil important afin d’implanter une politique «patriotique et de gauche» au Portugal.
Comme l’affirme la Jeunesse communiste portugaise: «Lutter pour Avril, c’est lutter pour l’éducation publique, gratuite et de qualité, et ce, à tous les niveaux d’enseignement; c’est lutter pour le droit au travail et pour les droits du travail; c’est lutter pour l’accès universel et gratuit à la santé, au logement, à la culture et au sport; c’est lutter pour la démocratie; c’est lutter pour l’égalité de droit et concrète entre hommes et femmes; c’est lutter pour la souveraineté et l’indépendance nationale, pour la Paix et l’amitié entre les peuples; c’est lutter pour un Portugal développé et progressiste où les jeunes peuvent vivre heureux et accéder à leurs aspirations.»
En outre, les jeunes communistes soulignent que : «ces valeurs sont toutes consignées dans la Constitution de la République portugaise qui célèbre ses 40 ans cette année. Elles continuent d’inspirer la lutte quotidienne des travailleurs, du peuple et de la jeunesse du Portugal.»
De notre côté de l’Atlantique, au Québec plus précisément, un important débat émerge des rangs de Québec Solidaire à l’occasion du Congrès annuel qui se tiendra à la fin mai. En effet, les membres du parti progressiste seront amenés à discuter des objectifs de l’Assemblée constituante, à savoir si celle-ci devra se prononcer clairement pour l’indépendance.
Malgré l’intérêt que peut susciter cette discussion, il reste qu’elle est sous-tendue par un calcul politicien moins louable susceptible de dévoyer tant le projet solidaire que le concept même d’Assemblée constituante, qui, comme nous l’indique l’exemple portugais, demeure avant tout lié à un rapport de forces à bâtir en faveur des forces populaires et contre le pouvoir des entreprises. Ainsi, Québec Solidaire, héritier de l’Union des forces progressistes, avait pour projet jusqu’à aujourd’hui d’unir les forces progressistes au-delà du clivage généré par la question nationale afin de poser les bases d’un Québec fondamentalement progressiste. En ce sens, la question de l’indépendance pouvait être vue comme un moyen, mais pas comme une fin en soi.
Or, lors du prochain congrès, la direction de QS soumet aux membres la possibilité de modifier l’objectif de l’Assemblée constituante afin que soit inscrite d’emblée la question d’indépendance. D’union des forces progressistes, QS deviendrait alors l’union des forces indépendantistes! Imposer l’indépendance à tout prix n’aide en rien le projet solidaire ni celui d’Assemblée constituante. Plutôt que de discuter de la forme dans laquelle les Québécois pourront exercer leur droit à l’auto-détermination, nous devrions nous affairer à mobiliser les forces vives et bâtir un rapport de force qui nous permettra d’imposer notre feuille de route, celle du peuple et construire une société québécoise à notre image, et pour ce faire, nous avons besoin du concours de tous les militants progressistes, qu’ils soient indépendantistes ou pas.
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mercredi 4 mai 2016
jeudi 21 avril 2016
CONGRÈS DE QUÉBEC SOLIDAIRE : DE L’UNITÉ DE LA GAUCHE À L’UNITÉ DES SOUVERAINISTES.
PARTI COMMUNISTE DU QUÉBEC, SECTION DU PCC

En vertu de son programme actuel, QS propose
l’élection d’une assemblée constituante impliquant la population dans la
rédaction d’une constitution. L’assemblée constituante aurait, entre
autres, « pour mandat d’élaborer une ou des propositions sur le statut
politique du Québec, … » et ces propositions seraient soumises au choix
de la population par référendum. QS entendait promouvoir sa position en
faveur de la souveraineté du Québec au cours de ce processus. Bref, on
ne présume pas du résultat du travail de l’assemblée constituante, lui
laissant toute la latitude démocratique pour que s’expriment plusieurs
points de vue et propositions.
QS propose maintenant à son
congrès de choisir entre deux options pour amender cet élément de son
programme. La première (option A) consisterait à donner à l’assemblée
constituante le mandat fermé d’élaborer exclusivement un projet de
constitution d’un Québec indépendant qui serait ensuite soumis par
référendum à la population. Celle-ci devra alors approuver ou rejeter la
proposition.
La deuxième (option B) consisterait à donner à la
constituante le mandat d’élaborer au moins deux projets de constitution
du statut politique du Québec, dont celui d’un État indépendant, et au
moins un autre qui le maintiendrait « dans le cadre constitutionnel
canadien ». L’ensemble serait aussi soumis dans un référendum pour
trancher entre les deux ou les divers projets.
QS admet sans
ambages qu’il veut enlever toute ambiguïté sur le mandat de l’assemblée
constituante avant les prochaines élections. Il est clair qu’il
s’agit-là d’une réaction aux pressions nationalistes, particulièrement
celles du PQ qui accuse continuellement QS de diviser les forces
souverainistes tout en mettant en doute sa foi souverainiste.
On
pourrait penser que QS cherche à mettre la table pour une alliance
souverainiste. D’ailleurs, il semble que le congrès suivant de 2017, à
la veille des prochaines élections provinciales, discutera (encore une
fois) de cette question de l’alliance des forces souverainistes.
L’option A proposée implique qu’un gouvernement de QS majoritaire à
l’Assemblée nationale, bien qu’il aura fort probablement été élu par une
minorité d’électrices et d’électeurs, va imposer sa position
constitutionnelle dans le processus d’assemblée constituante. L’option B
quant à elle, semble vouloir encadrer le choix du peuple pour le forcer
à trancher entre l’indépendance et un statu quo inacceptable. Elle
poursuit donc essentiellement le même objectif que l’option A. Son seul
avantage par rapport à l’option A est qu’elle semble maintenir une
certaine ouverture à la possibilité qu’il puisse y avoir d’autres
scénarios, tel que le permet l’actuelle formulation.
Objectivement, l’adoption de l’une ou l’autre des options risque de rapprocher QS de la stratégie péquiste.
UN PAS EN AVANT, DEUX PAS EN ARRIÈRE!
QS est né de la volonté de la gauche politique du Québec de s’émanciper
enfin de la tutelle du PQ et de s’unir au-delà de ses propres
différences à propos de la résolution de la question nationale, pour
affirmer au premier chef ses positions pro-socialistes et « solidaires
». Ces dernières avaient été mises en veilleuse pendant de nombreuses
années sous la bannière du PQ pour préserver l’unité du camp
souverainiste.
C’est ainsi qu’avait été fondée l’Union des
Forces Progressistes (UFP), un des deux ancêtres de QS, par
l’unification de trois organisations politiques de gauche, le Parti de
la Démocratie Socialiste (PDS) et le Regroupement pour une Alternative
Politique (RAP), toutes deux indépendantistes, et nous le Parti
communiste du Québec, section du Parti communiste du Canada (PCQ-PCC),
qui ne l’étions pas.
L’acte fondateur de l’UFP avait été de
reconnaître d’emblée que son soutien à la souveraineté du Québec n’était
pas unanime dans ses rangs et que celle-ci n’étant pas une fin en soi,
elle se devait d’être avant tout un instrument servant à l’émancipation
des classes populaires. Option Citoyenne avec qui l’UFP créera QS en
2006, avait une position semblable, affirmant que l’article 1 de son
programme devait porter sur son projet d’émancipation sociale et non pas
sur la question nationale pour laquelle elle n’avait d’ailleurs pas
encore de position déterminée.
Mais en 2009, QS va se positionner
clairement pour l’indépendance du Québec. Tout en continuant de vouer à
celle-ci une fonction instrumentale, considérant que « l’intégralité de
son projet de société ne pourra se réaliser que si le Québec dispose de
l’ensemble des pouvoirs aux plans politique, économique et culturel »,
QS pense désormais que l’indépendance devient aussi une nécessité
absolue pour la préservation et le « développement d’une nation unique
par son histoire et sa culture en constante évolution, autour d’une
langue commune qu’est le français. »
Depuis, la souveraineté
du Québec est souvent présentée comme le vrai projet de société de QS,
ou tout au moins, comme son aspect principal. On fait allègrement
l’amalgame entre souveraineté et progressisme. On parle de bien commun,
mais jamais on ne nomme le mode de production qui prévaudrait dans ce
projet de société, on ne parle jamais de socialisme. L’indépendance
et/ou la souveraineté semblent être devenues de plus en plus l’article 1
du programme de QS. La question de l’alliance des forces
souverainistes, une alliance gauche-droite, revient de façon récurrente
hanter les débats de ses congrès. On est en train de revenir à la case
départ.
L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC DEMEURE UN PROJET COLONIAL
Dans son programme actuel, il est dit qu’un gouvernement de QS invitera
les nations autochtones à se joindre à l’exercice de l’assemblée
constituante par les moyens qu’elles décideront et leur accordera une
place importante si elles le veulent. Cependant, l’adoption des
amendements proposés au programme limitant le mandat de l’assemblée
constituante exclusivement à un projet d’indépendance va certainement
leur laisser moins de place.
Du point de vue des nations
autochtones, le débat entre fédéralistes et souverainistes est un débat
entre Blancs dont elles sont exclues bien qu’elles soient concernées, un
débat qui se poursuit entre deux puissances coloniales qui se disputent
le contrôle de leurs territoires à elles. Tant le Canada qu’un éventuel
Québec indépendant sont des projets coloniaux qui leur nient leurs
droits nationaux.
Le projet d’indépendance du Québec implique de
séparer du Canada, non pas le territoire où la nation québécoise s’est
historiquement développée (la communauté de territoire étant l’un des
critères établissant l’existence d’une nation), mais plutôt d’en séparer
un État, une entité coloniale dont la juridiction a été étendue par le
gouvernement fédéral sur de vastes territoires appartenant à plusieurs
nations autochtones. Depuis la Confédération, on a ajouté à la
juridiction de la province notamment les territoires et les bassins de
la Baie James, de la Baie d’Hudson et d’Ungava ainsi qu’une partie de la
Côte-Nord. En fait, le territoire de la province a été plus que doublé
jusqu’en 1912 sans que les populations autochtones concernées ne soient
le moindrement consultées.
Certes, QS admet que « l’a priori de
l’intégrité territoriale du Québec » ne peut être défendu comme le font
le PQ et les autres nationalistes étroits. Néanmoins, QS n’envisage pas
moins de s’associer avec ces mêmes forces nationalistes et colonialistes
pour réaliser la souveraineté du Québec et, ce faisant, laisse penser
qu’au fond, il ne voit pas les choses bien différemment.
Or s’il
advenait que le Québec déclare son indépendance, la question de la
partition du territoire de la province va nécessairement se poser, les
nations autochtones ayant en principe le droit de décider librement avec
quel pays, le Québec ou le Canada, elles choisiront ou non de se lier,
avec les vastes territoires ancestraux qu’elles revendiquent pour y
établir des gouvernements autonomes.
Les partis communistes du
Québec et du Canada reconnaissent le droit à l’autodétermination du
Québec, incluant celui de se séparer. Cependant, le Parti communiste
préfère plutôt prôner l’adoption d’une nouvelle constitution qui
embrasserait l’ensemble des questions nationales à la grandeur du pays,
établissant ainsi un large front uni des nations opprimées pour un
changement fondamental plutôt que d’exacerber les contradictions entre
ces nations. À l’instar de QS, le PCQ-PCC propose aussi l’élection d’une
assemblée constituante pour réécrire la Constitution canadienne et qui
sera ensuite soumise pour approbation aux diverses composantes
nationales du Canada. Cette constitution devrait garantir à toutes les
nations de pleins droits égaux et affirmer clairement le caractère
volontaire de leur association.
La raison de cette politique est
de favoriser la nécessaire unité de la classe ouvrière dans sa lutte
pour le socialisme : « Cette lutte pour un changement constitutionnel
est cruciale dans le cadre de la lutte générale pour la démocratie, le
progrès social et le socialisme. L’unité de la classe ouvrière à travers
le pays sera impossible si l’on ne mène pas une lutte contre
l’oppression nationale et pour la réalisation d’un partenariat nouveau,
égal et volontaire des nations du Canada. »*
( * Extraits du
programme du Parti communiste du Canada et du Parti communiste du
Québec, Notre avenir au Canada : le socialisme!)
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