lundi 23 mars 2015

Contre l’austérité : LUTTONS CLASSE CONTRE CLASSE


Par Robert Luxley
Journal Clarté

À peine élu, le gouvernement Couillard a donné le mandat à deux économistes bien connus pour leurs positions de droite, de faire une étude de l’état des finances publiques. Environ deux semaines plus tard, ces derniers rendaient public leur rapport : selon eux, les finances publiques étaient dans un état catastrophique et les déficits budgétaires trop importants étaient « structurels ». Par conséquent, il fallait remettre en question tous les programmes du gouvernement.

Beaucoup ont compris que ce n’était en réalité qu’une mise en scène cousue de fils blancs pour fournir le prétexte d’une offensive majeure contre les dépenses publiques d’intérêt social, un grand branle-bas de « rigueur » budgétaire, comme le gouvernement tient à tout prix à nommer ses politiques d’austérité ( la traduction anglaise de « rigueur économique » est « economic austerity »). Pire, le gouvernement, tant pour le déficit budgétaire provincial que dans le cas des déficits des régimes de retraites, a délibérément gonflé ses chiffres pour créer une situation plus alarmante.

Le premier ministre Couillard reprenait donc le programme néolibéral de Jean Charest où ce-dernier l’avait laissé, mais à un rythme accéléré. Lors de la dernière élection, il s’était rallié des radicaux de droite, comme Gaëtan Barette, transfuge de la CAQ, Martin Coiteux, proche du groupe d’extrême-droite Réseau-Liberté-Québec, et Carlos Leitão, issu des banques Royale et Laurentienne, et dont il a fait son état-major. Il a fait siennes des politiques très dures de la CAQ, cette dernière trop fière de clamer que le gouvernement lui vole ses idées.

On connait la suite : gel de la masse salariale des 500 000 employé(e)s des secteurs public et parapublic déjà sous-payés; adoption de la loi 3 s’attaquant aux régimes de retraite des employé(e)s municipaux; abolition d’organismes de concertation et de développement local et régional; hausse majeure des tarifs des services de garde et par la même occasion, mise au rancart du principe d’universalité; augmentations des tarifs d’électricité; coupes des prestations d’aide sociale pour les plus démunis; coupes en environnement, en logement, en culture, dans les services aux personnes ayant des limitations fonctionnelles, en transport; fusions et compressions budgétaires en santé, notamment avec l’adoption de la loi 10; compressions en éducation, qui se traduisent entre autres, par la suppression de l’aide aux devoirs et par la coupe des petits déjeuners pour les enfants pauvres, etc., etc.

Il s’agit d’une remise en question fondamentale du régime d’« état-providence » qui avait été établi au Québec depuis la révolution tranquille des années 1960. Et il est clair dans l’esprit du gouvernement libéral que non seulement ces compressions sont définitives, même après l’atteinte de l’équilibre budgétaire, mais qu’il va en venir d’autres.


L’ILLUSION RÉFORMISTE

On entend souvent le gouvernement se faire accuser de vouloir détruire le « modèle québécois ». Ce modèle se distinguerait de celui du reste du Canada par une implication accrue de l’État dans le développement économique et dans le soutien aux entreprises, ainsi que par une approche favorisant la concertation entre l’État et les divers agents économiques, incluant, bien sûr, les syndicats. On prétend que ce modèle serait presque le fait d’un choix démocratique, un choix de société résultant d’un consensus social. On laisse entendre que le gouvernement, parce qu’il est fédéraliste, chercherait plutôt à rabaisser le Québec au même niveau que le reste du Canada.

La plupart des dirigeantes et dirigeants syndicaux, par exemple, tout en admettant l’importance d’équilibrer les finances publiques, critiquent les politiques trop austères du gouvernement qu’ils accusent de nuire à la relance économique et même, de possiblement provoquer la récession. Des hausses de salaires et la création d’emplois, incluant dans les services publics, sont considérées comme des investissements qui, en stimulant la consommation, contribueraient à faire rouler l’économie, qui en retour, pourrait générer plus de revenus en taxes et en impôts pour l’État.

Telle est, grosso-modo, le discours qui domine dans les milieux syndicaux et progressistes qui contestent les politiques d’austérité du gouvernement actuel. Celui-ci, trop aveuglé par ses dogmes idéologiques néolibéraux, se tromperait, car, l’austérité serait « un mauvais calcul », ça ne marche pas comme le démontrerait la situation en Europe.

Bref, on n’est loin de remettre le système en question. Il suffirait d’élire un gouvernement de bons gestionnaires (et plusieurs trouvent que c’est le PQ, malgré tout, qui est le plus apte à faire ce travail), plus ouverts à la concertation et tout irait pour le mieux dans le système capitaliste.


UNE THÉRAPIE DE CHOC

Or c’est une grave erreur de croire que les Libéraux sont de dogmatiques fédéralistes et de mauvais gestionnaires parce qu’ils pratiquent l’austérité. En réalité, leur but n’est pas de relancer la consommation et faire « rouler » l’économie. Ils cherchent plutôt à mettre la classe ouvrière sur la défensive pour faire reculer les salaires dans le but de restaurer le taux des profits. Les gouvernements ne sont pas neutres, ils défendent toujours les intérêts d’une classe particulière. Ainsi, les choix économiques du gouvernement libéral visent justement à sauver le système capitaliste. Il fait à la fois d’excellents calculs pour la bourgeoisie, mais de bien mauvais pour la classe ouvrière et la population en général.

La crise économique de 2008, bien qu’elle se soit révélée à l’occasion de l’éclatement de la bulle financière des hypothèques à risque (subprimes), trouvait sa source dans les lois immanentes du système capitaliste lui-même, en particulier la loi de la baisse tendancielle du taux de profit mis en évidence par Karl Marx : « Le fait qu'elle ait démarré dans la sphère financière n'implique donc pas qu'il s'agisse d'une crise financière. Il s'agit d'une crise systémique de l'ensemble des dispositifs mis en place pour réussir à restaurer le taux de profit… » (Les limites du keynésianisme, Michel Husson, Alencontre, 15 janvier 2015).

Pendant plusieurs années depuis le milieu des années 80, la bourgeoisie avait réussi à contrer la tendance à la baisse du taux de profit en limitant les salaires. L’extension de l’accès au crédit avait en même temps servi de soupape au système, en permettant aux travailleuses et aux travailleurs de maintenir malgré tout un certain niveau de vie tout en soutenant la consommation. Mais, à partir du milieu des années 2000, la chute du taux de profit fut inexorable, engendrant la crise économique la plus grave depuis les années 30.

C’est dans ce contexte que se situe l’austérité : après avoir endetté les États pour sauver de la faillite les banques et les grandes entreprises, la bourgeoisie est maintenant à pied d’œuvre pour assainir les finances publiques et restaurer le taux des profits. « À travers la montée du chômage et l’austérité salariale, elles (les politiques d’austérité, ndlr.) permettent aussi de rétablir le taux de marge des entreprises, autrement dit la part du profit dans leur valeur ajoutée. Les pays qui ont subi l’austérité budgétaire (et salariale) la plus forte sont aussi ceux où les profits se sont le plus nettement rétablis. Et il est frappant de constater que les pays de la périphérie (Grèce, Espagne, Portugal et Irlande) ont vu le taux de marge se rétablir malgré l’effondrement de leur économie et l’explosion du chômage.

(…)

Les politiques menées en Europe ne doivent donc pas être analysées comme des politiques « absurdes » ou déficientes, mais comme une thérapie de choc, qui, au-delà de ses effets collatéraux négatifs, vise clairement trois objectifs combinés : rétablir la profitabilité, liquider autant que possible les acquis sociaux, et protéger les institutions financières et bancaires d'une dévalorisation de leurs actifs. C'est ce que ne comprennent pas les analyses keynésiennes qui, fascinées par la finance, négligent les fondements structurels de la crise. » (Les limites du keynésianisme…).

Ainsi, la politique d’austérité du gouvernement libéral est une nécessité essentielle pour la rentabilité des investissements. La faible rentabilité actuelle explique notamment que les entreprises préfèrent thésauriser plutôt que d’investir.

Selon une étude de l’IRIS, les liquidités que les entreprises ont pu engranger grâce aux réductions d’impôt dont elles bénéficient au Canada, correspondent à près du tiers de la taille de l'économie tant au Québec qu'au Canada. Le niveau des liquidités des entreprises qui s’élèvent à 630 milliards de dollars au Canada et à 110 milliards au Québec à la fin de 2014, place autant le Canada que le Québec parmi les territoires où l'épargne des entreprises est la plus élevée au monde.

Or, ces cadeaux fiscaux donnés aux entreprises expliquent non seulement le niveau des liquidités dont elles disposent mais aussi pour une grande part, le déficit budgétaire de l’État. Ainsi, alors qu’en 1963 les recettes du gouvernement fédéral provenaient à 45% du revenu des particuliers et à 55% du revenu des entreprises, en 2003, les particuliers contribuaient pour 80% et les entreprises seulement pour 20%. L’impôt combiné fédéral-provincial pour les entreprises au Québec est le plus bas en Amérique.

Comme le gouvernement doit s’endetter pour combler le manque à gagner qu’il s’impose, il choisit en retour de couper les dépenses sociales pour «assainir les finances publiques». Comme ces dépenses entrent justement dans le coût global des frais de reproduction de la force de travail de l’ensemble de la classe ouvrière, affectant le niveau de plus-value et de là, le taux de profit, la réduction de ces dépenses s’inscrit tout à fait dans la restauration d’un taux de profit général plus élevé.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que le gouvernement entend restreindre les salaires de ses employé(e)s du secteur public, d’une part, pour limiter ses dépenses, mais aussi pour servir d’exemple pour le secteur privé dont les travailleuses et les travailleurs, en tant que producteurs de la plus-value, sont la cible première des politiques d’austérité.


UNE LUTTE RÉSOLUE SERA NÉCESSAIRE

Dernièrement, alors qu’il prenait la parole devant la Chambre de commerce de Montréal, quelques militantes et des militants qui s’étaient introduits dans l’assemblée, ont chahuté le premier ministre Couillard en criant « Arrêtons Couillard! ». Ce dernier, chaudement applaudi par l’auditoire composé de gens d’affaires, a répliqué fermement : « Non! Je ne m’arrêterai pas.» La scène rappelait l’arrogant Jean Charest qui voulait envoyer les étudiantes et étudiants « dans le Nord ».

Il faudra donc bien plus que des pourparlers, des discours et des manifestations pour convaincre le gouvernement libéral de changer de cap. L’enjeu pour la bourgeoisie au Québec est fondamental et le gouvernement savait d’emblée que ses politiques susciteraient beaucoup de résistance et de désapprobation. Le gouvernement sera donc un adversaire extrêmement déterminé, comme le fut le gouvernement Charest avant lui contre le mouvement étudiant. Mais à la différence de Charest, Couillard n’est pas menacé par de prochaines élections.

Il y a donc peu de chance que l’issue de la lutte repose sur une éventuelle défaite électorale du gouvernement. Seule une mobilisation encore plus déterminée pourra forcer la bourgeoisie et son gouvernement à consentir à des compromis. Les négociations du secteur public sont dans ce contexte d’une importance stratégique car elles peuvent être au cœur de la riposte et d’un mouvement de grève générale et sociale.

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