Salim Lamrani
Sur Michel Collon.info
L’annonce faite par la Maison-Blanche de décréter
un état d’urgence nationale, dans le but de briser l’ordre
constitutionnel au Venezuela, a unanimement été rejeté par la communauté
internationale.
Le 9 mars 2015, Barack Obama a signé un ordre exécutif et a décrété un
« état d’urgence » aux Etats-Unis en raison de la « menace inhabituelle
et extraordinaire » que représenterait le Venezuela pour la sécurité
nationale. Cette décision, hostile à l’égard d’une autre nation
souveraine, est d’une extrême gravité et s’est accompagnée de nouvelles
sanctions contre plusieurs fonctionnaires du gouvernement de la
République latino-américaine.(1)
Pour justifier une telle décision, la Maison-Blanche évoque
« l’intimidation des opposants politiques » au Venezuela, exige « le
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » et demande
« la libération de tous les prisonniers politiques, y compris des
dizaines d’étudiants, le leader de l’opposition Leopoldo López ainsi que
les maires Daniel Ceballos et Antonio Ledezma »,… mais n’évoque aucune
menace concrète contre les Etats-Unis.(2)
En effet, Washington ne fait allusion à aucune menace précise portée
contre sa sécurité, ni à d’éventuelles armes stratégiques d’un pays –
qui n’en possède aucune – qui se trouve à plusieurs milliers de
kilomètres de ses côtes et qui, de son histoire, n’a jamais été en
guerre contre les Etats-Unis, ni n’a agressé une autre nation. Au
contraire, le Président vénézuélien Nicolás Maduro, démocratiquement élu
en 2013 lors d’un scrutin reconnu pour sa transparence par tous les
organismes internationaux, de l’Organisation des Etats américains à
l’Union européenne, a toujours fait part de sa volonté d’établir des
relations pacifiques et d’égal à égal avec le Voisin du Nord. Pour
justifier sa décision, Obama fait uniquement référence à des faits qui
relèvent de la situation interne du Venezuela et qui sont de la
compétence unique et exclusive du peuple bolivarien, faisant ainsi
preuve d’un acte d’ingérence – donc contraire au Droit international –
dans les affaires internes d’une nation souveraine .(3)
Cette nouvelle mesure marque une recrudescence de l’hostilité des
Etats-Unis vis-à-vis de la démocratie vénézuélienne. En effet, depuis
l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999 et l’avènement de la
Révolution bolivarienne, Washington n’a eu de cesse de déstabiliser le
Venezuela. Le 11 avril 2002, l’administration Bush avait orchestré un
coup d’Etat contre le Président Chávez et brisé l’ordre constitutionnel.
L’intervention massive du peuple avait permis de mettre un terme à la
dictature militaire la plus courte de l’histoire de l’Amérique latine
(48 heures). En décembre 2002, Washington avait soutenu le sabotage
pétrolier qui avait coûté plus de 10 milliards de dollars à l’économie
vénézuélienne. Depuis, les Etats-Unis n’ont eu de cesse de soutenir
l’opposition antidémocratique et putschiste, qui n’a pas hésité à
recourir à la violence, comme le montre la vague meurtrière qui a frappé
le pays en février 2014, pour obtenir par la force ce qu’elle a été
incapable de remporter par les urnes. En effet, depuis 1998, la droite
vénézuélienne a perdu 19 des 20 processus électoraux – reconnus comme
transparents par toutes les instances internationales – qui se sont
tenus sous la Révolution bolivarienne.
Caracas a immédiatement dénoncé une tentative de coup d’Etat à son
encontre. L’annonce de Washington survient quelques semaines après que
le Venezuela a révélé l’existence d’une conspiration, planifiée par
l’opposition, destinée à renverser l’ordre constitutionnel, qui a
conduit en prison le maire de Caracas Antonio Ledezma et plusieurs
membres des forces armées, entre autres (4) . Nicolás Maduro a ainsi
déclaré que Barack Obama avait « assumé personnellement la tâche de
renverser [s]on gouvernement, d’intervenir au Venezuela, et d’en prendre
le contrôle (5) ». « Il s’agit de la plus grave menace contre la nation
de toute son histoire », a-t-il ajouté, rappelant que « personne ne
peut croire que le Venezuela soit une menace pour les Etats-Unis (6) ».
L’objectif de Washington est évident, selon Maduro : avec les premières
réserves en hydrocarbures au monde, le Venezuela est en effet une
priorité stratégique pour les Etats-Unis, qui souhaitent contrôler ces
ressources.
La mesure prise par les Etats-Unis à l’encontre du Venezuela a suscité
le rejet unanime de la communauté internationale, y compris de ses plus
fidèles alliés. L’Union européenne a déclaré qu’il était hors de
question de s’aligner sur la politique de Washington et qu’elle
« n’envisage[ait] pas [d’imposer] des mesures restrictives » contre
Caracas. « L’Union européenne n’a pas à prendre de décision » concernant
le Venezuela, a souligné José Manuel García-Margallo, Ministre espagnol
des Affaires étrangères (7).
Mais les condamnations les plus fermes sont venues du Nouveau Monde.
Cuba a été la première nation à fustiger le décret présidentiel le jour
même de sa divulgation. La Havane a utilisé un langage diplomatique fort
et a réaffirmé « son soutien inconditionnel […] au gouvernement
légitime du Président Nicolás Maduro », montrant ainsi que le
rapprochement avec les Etats-Unis n’interférait en aucune manière dans
sa politique étrangère. La déclaration émise le 9 mars 2015 est
édifiante :
« Le Gouvernement révolutionnaire de la République de Cuba a pris
connaissance du Décret Présidentiel arbitraire et agressif émis par le
Président des Etats-Unis contre le Gouvernement de la République
Bolivarienne du Venezuela, qui qualifie ce pays comme une menace pour sa
sécurité nationale […]
De quelle manière le Venezuela menace-t-il les Etats-Unis ? A des
milliers de kilomètres de distance, sans armes stratégiques et sans
employer de ressources ou de fonctionnaires pour conspirer contre
l’ordre constitutionnel étasunien, la déclaration est peu crédible et
met à nu les objectifs de ses auteurs. […]
Personne n’a le droit d’intervenir dans les affaires internes d’un Etat
souverain ni de le déclarer, sans fondement aucun, comme étant une
menace à sa sécurité nationale.
Tout comme Cuba n’a jamais été seule, le Venezuela ne le sera pas non
plus (8) ».
Lors du Sommet extraordinaire des chefs d’Etat de l’Alliance
bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA), tenu le 17 mars
2015, le Président cubain Raúl Castro a réaffirmé son soutien au
Venezuela et a lancé un message explicite à Washington :
« Les Etats-Unis devraient comprendre une fois pour toutes qu’il est
impossible de séduire ou d’acheter Cuba, ni d’intimider le Venezuela.
Notre unité est indestructible.
Nous ne cèderons pas non plus d’un pouce dans la défense de la
souveraineté et de l’indépendance, et ne nous tolèrerons aucun type
d’ingérence, ni de conditionnement dans nos affaires internes.
Nous ne renoncerons pas à la défense des causes justes de Notre Amérique
et du monde, et nous n’abandonnerons jamais nos frères de lutte. Nous
sommes venus serrer les rangs avec le Venezuela et l’ALBA et ratifier
que les principes ne sont pas négociables […].
Nous ne permettrons que l’on porte atteinte à la souveraineté ou que
l’on brise la paix en Amérique latine (9) ».
Pour sa part, l’Argentine a publié une longue déclaration rejetant les
mesures hostiles adoptées par Washington et apportant son soutien à la
démocratie vénézuélienne :
« Le Gouvernement argentin a pris connaissance avec inquiétude du
contenu du Décret exécutif émis par le Gouvernement des Etats-Unis […].
La gravité d’une telle dénonciation cause non seulement de la
consternation en raison de la dureté inhabituelle de ses termes, presque
menaçants, mais elle provoque également de la stupeur et de la
surprise.
Il est absolument invraisemblable pour toute personne moyennement
informée que le Venezuela, ou n’importe quel autre pays sud-américain ou
latino-américain, puisse constituer une menace pour la sécurité
nationale des Etats-Unis d’Amérique du Nord.
Le caractère absurde et injuste de l’accusation est source de
consternation […]. L’Argentine, tout comme les autres pays de la région
[…], rejette toute ingérence dans les affaires internes des autres
Etats. En ce sens, l’Argentine lance un appel au Gouvernement des
Etats-Unis pour qu’il évite l’usage d’un langage impropre pour un pays
de son importance et de sa responsabilité en tant que puissance
mondiale, ou de sanctions qui ont déjà démontré, dans d’autres cas,
qu’elles conduisent uniquement à l’échec et à l’inimitié entre les
peuples et leurs gouvernements (10) ».
De son côté, le Président bolivien Evo Morales a exigé des Etats-Unis
qu’ils « demandent pardon à l’Amérique latine, et en particulier au
Venezuela ». L’Amérique latine refuse « toute intervention militaire
[ou] menace contre la démocratie et contre nos révolutions », a-t-il
ajouté (11).
L’Equateur a qualifié la décision de Washington de « grotesque » et de
« grave risque pour la paix et la démocratie dans la région ». « Il ne
manque plus que l’on sanctionne les électeurs vénézuéliens », a annoncé
sur un ton sarcastique son président Rafael Correa. Pour sa part, le
Nicaragua a exprimé « son profond rejet et indignation face à cette
déclaration inacceptable de facture impériale (12) ».
L’ancien président de l’Uruguay, Pepe Mujica, considéré comme étant la
conscience morale du continent latino-américain, a condamné l’attitude
agressive des Etats-Unis : « Je n’ai pas besoin de preuves pour savoir
que les Etats-Unis s’immiscent dans les affaires internes du Venezuela.
Il faut être fou pour oser dire que le Venezuela peut être une menace.
Ils [les Vénézuéliens] ont une Constitution merveilleuse, la plus
audacieuse d’Amérique latine. Nous avons besoin d’une Venezuela
indépendante (13) ».
Les organismes latino-américains ont également stigmatisé le décret
présidentiel d’Obama. L’Union des nations sud-américaines (UNASUR), qui
regroupe les 12 pays d’Amérique du Sud, a unanimement rejeté l’ingérence
étasunienne. Dans une déclaration commune, l’UNASUR a dénoncé un acte
hostile :
« Les Etats membres de l’Union des nations sud-américaines font part de
leur rejet du Décret exécutif du Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique,
approuvé le 9 mars 2015, car il constitue une menace d’ingérence contre
la souveraineté et le principe de non-intervention dans les affaires
internes des autres Etats.
Les Etats membres de l’UNASUR réaffirment leur engagement en faveur de
la pleine application du Droit International, de la Solution pacifique
des controverses et du principe de Non-intervention, et réitèrent leur
appel aux gouvernements afin qu’ils s’abstiennent d’appliquer des
mesures coercitives unilatérales qui contreviennent au Droit
International.
L’UNASUR réitère son appel au gouvernement des Etats-Unis d’Amérique
afin qu’il évalue et mette en pratique des alternatives de dialogue avec
le gouvernement du Venezuela, sous les principes de respect de la
souveraineté et de l’autodétermination des peuples. En conséquence, elle
sollicite la dérogation dudit Décret Exécutif (14) ».
Le Parlement du Marché commun du Sud (Mercosur), qui regroupe 10 pays
sud-américains (5 membres permanents et 5 membres associés), a fait part
de son « rejet le plus énergique et le plus catégorique » des sanctions
annoncées par les Etats-Unis, dénonçant une « menace réelle d’agression
contre la souveraineté, la paix et la stabilité démocratique de ce pays
sud-américain et donc contre le Mercosur ». Ces mesures « constituent
en elles-mêmes un danger d’intervention armée contre le Venezuela, et
cela doit déclencher une alerte nationale et internationale (15) ».
L’Association latino-américaine d’intégration (ALADI) a exprimé sa
solidarité « avec le peuple vénézuélien » et « son gouvernement légitime
et rejette cette déclaration qui est inexplicable et arbitraire. Le
monde sait qu’aucun pays d’Amérique latine ne représente une menace pour
la paix ». Le secrétariat général de l’entité a rejeté l’intromission
de Washington : « L’Amérique latine et la Caraïbe ont été proclamées par
le Second sommet de la CELAC (Communauté des Etats latino-américains et
caribéens) comme zone de paix et c’est pourquoi cette attitude
constitue une agression inacceptable pour la Région (16) ».
Le Parlatino, Parlement latino-américain intégré par 23 pays, a
également condamné l’action hostile de Barack Obama et a exigé le
retrait du décret présidentiel étasunien contre le Venezuela. « Ce qui
est en jeu, c’est la défense de notre souveraineté, le contrôle de nos
ressources naturelles et la liberté de décider de notre propre destin »,
a souligné Angel Rodríguez, le représentant vénézuélien (17) .
L’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA) a
exprimé « son rejet le plus énergique du Décret exécutif ». « Cette
agression viole toute norme internationale qui régit la vie des Etats
égaux et souverains, ignore la tradition antiimpérialiste qui nos
peuples ont historiquement revendiqué, et constitue une menace pour la
paix et la tranquillité de nos pays (18) ».
La politique agressive de Washington a également été dénoncée aux
Nations unies, au sein du Conseil des droits de l’homme de Genève. La
Communauté des Etats latino-américains et caribéens – qui regroupe les
33 pays–, la Russie et la Chine, entre autres, ont dénoncé
« l’imposition de mesures coercitives unilatérales comme mécanisme de
pression politique et économique, fait qui viole les principes de la
Charte des Nations unies (19) ».
Face au rejet unanime de la communauté internationale, les Etats-Unis
ont été contraints d’effectuer une déclaration affirmant que leur
objectif n’était pas de renverser le gouvernement démocratique de
Nicolás Maduro. Le Département d’Etat a ainsi assuré que les
« Etats-Unis ne cherchent pas à obtenir la chute du gouvernement
vénézuélien et ne tentent pas non plus de saboter l’économie
vénézuélienne ». Mais l’Amérique latine n’a pas été convaincue par ces
propos, tant Washington a multiplié les actes hostiles envers le
Venezuela depuis l’avènement de la Révolution bolivarienne (20) .
A moins d’un mois du Sommet des Amériques qui se tiendra les 10 et 11
avril 2015 au Panama, le Président des Etats-Unis vient de s’aliéner
toute l’Amérique latine en imposant une politique hostile et agressive
au Venezuela, violant le principe de non-ingérence dans les affaires
internes d’une nation souveraine. Alors qu’il avait l’opportunité de se
présenter face à la communauté latino-américaine paré du prestige que
lui a conféré sa décision de rétablir un dialogue historique avec Cuba,
Barack Obama sera accueilli par les pays du Sud avec suspicion et rejet,
tout comme son prédécesseur à la Maison-Blanche… un certain George W.
Bush.
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université
Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de
l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface
d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9di...
Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamra...
Source :
Al Mayadeen
Notes
1. Antonio María Delgado, « Obama aplica sanciones y declara emergencia
nacional por amenaza de Venezuela », El Nuevo Herald, 10 mars 2015.
2. The White House, “Statement by the Press Secretary on Venezuela”, 9 mars 2015.
https://www.whitehouse.gov/the-pres... (site consulté le 13 mars 2015).
3. Ultimas Noticias, « Maduro : Le tiendo la mano al gobierno de EEUU”, 13 mars 2015.
4. Ignacio Ramonet, “La tentative du coup d’Etat contre le Venezuela”, Medelu, 10 mars 2015.
5. Fabiola Sánchez, “Maduro : EEUU asumió la tarea de derrocar a mi gobierno”, The Associated Press, 10 mars 2015
6. Agencia Venezolana de Noticias, “Presidente llama a la unidad para
vencer la amenaza más grave en la historia de Venezuela”, 11 mars 2015.
7. Agence France Presse, « La Unión Europea ‘no está considerando’ sanciones contra Venezuela », 10 mars 2015.
8. Gobierno Revolucionario de la República de Cuba, “Declaración”, Cubadebate, 9 mars 2015.
9. La Iguana TV, “Raúl Castro : Es imposible comprar a Cuba, ni
intimidar a Venezuela. Nuestra unidad es indestructible”, 17 mars 2015.
10. Presidencia de Argentina, “Declaración sobre las medidas adoptadas por Estados Unidos contra Venezuela”, 11 mars 2015.
http://www.presidencia.gob.ar/event... (site consulté le 18 mars 2015)
11. Página 12, Suma apoyos el gobierno de Venezuela”, 14 mars 2015.
12. El Nuevo Herald, “Latinoamérica defiende a Venezuela y EEUU niega promover inestabilidad”, 10 mars 2015.
13. El Observador, “Mujica no duda de que “los gringos se meten en Venezuela”, 12 mars 2015.
14. UNASUR, « Comunicado de la Unión de Naciones Suramericanas sobre el
Decreto Ejecutivo del Gobierno de los Estados Unidos sobre Venezuela »,
14 mars 2015.
http://www.unasursg.org/node/169 (site consulté le 17 mars 2015).
15. EFE, « Presidencia de Parlasur dicta su ‘enérgico y categórico’ rechazo a medidas EEUU », 11 mars 2015.
16. EFE, « Aladi y Parlasur rechazan sanciones de EEUU a funcionarios de Venezuela », 11 mars 2015.
17. Parlatino, « Parlamento Latinoamericano en Panamá exhorta a EEUU a derogar decreto contra Venezuela », 17 mars 2015.
http://www.parlatino.org.ve/index.p... (site consulté le 18 mars 2015).
18. Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América, “Alba
rechaza toda agresión de Estados Unidos que busque vulnerar la soberanía
de Venezuela”, 9 mars 2015.
19. PSUV, « Venezuela recibe apoyo en ONU ante sanciones de EEUU », 13 mars 2015.