lundi 16 novembre 2015

Frais accessoires: Barrette n'a pas le droit de légaliser l'inacceptable!



C'est avec beaucoup de réticence que j'ai dû me résoudre à m'adresser à la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, pour empêcher ce qui constitue ni plus ni moins un permis de voler aux dépens des patients et patientes du Québec [voir ma lettre ci-dessous] !

C'est que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, ne semble pas comprendre que les frais accessoires sont déjà facturés à la RAMQ par les médecins qui pratiquent en cabinet privé. Ou est-ce parce que son chef, le Dr Couillard lui a dit d'arranger les choses pour que les cliniques privées, qu'il a aidées à répandre quand il s'occupait de la santé, ne soient plus embêtées par la RAMQ pour facturation illégale?

Mais le résultat est le même: légaliser les frais accessoires c'est faire payer deux fois pour la même facture, ce qui est du vol! Les patients du Québec n'ont pas à payer une fois avec leur impôt (via la RAMQ) et une autre fois avec leur carte de crédit pour une goutte dans les yeux, pour une injection d'anesthésique ou pour une copie du dossier. Tous ces frais sont déjà compensés largement par une majoration de 20 à 60 % de tous les actes médicaux que le médecin effectue dans son cabinet au coin de la rue.

Pourquoi la RAMQ paye pour ça? Parce que la Loi canadienne sur la santé dit que l'accès aux soins doit être équitable pour tous. Pour ne pas désavantager ceux qui ont de faibles moyens et pour que ce soit équitable, il faut donc que le service médicalement nécessaire soit gratuit.

La RAMQ paye donc tous les frais qui sont nécessaires pour donner les soins médicalement requis: l'honoraire du professionnel ainsi que les accessoires qu'il a besoin pour rendre son service (locaux, secrétaires, dossiers, photocopies, gouttes, pansements, aiguilles, etc.). C'est pour ça que la RAMQ paye 90 $ en cabinet privé, pour un acte payé 56 $ en clinique externe d'un hôpital ou en CLSC.

Le Dr Barrette fait semblant de ne pas comprendre. Il préfère agir en violation de la Loi canadienne sur la santé en adoptant une loi qui autorise les frais accessoires et légalise l'iniquité d'accès. Légaliser les frais accessoires c'est inacceptable et immoral parce que la double facturation c'est du vol.

Pendant ce temps là, les patientes et patients continuent d'attendre aussi longtemps à l'urgence, les infirmières manquent de temps pour traiter tout le monde, le coût des médicaments continue de dépasser l'entendement, l'organisation de la première ligne et la répartition des médecins de famille est toujours aussi déficiente, les hôpitaux dépérissent et la qualité des soins est à géométrie variable.
En agissant ainsi, le ministre donne le triste spectacle d'un médecin corporatiste qui semble utiliser son pouvoir politique malicieusement pour avantager une minorité de médecins agissant avec cupidité.

L'équité d'accès et la gratuité des soins sont en jeu. Tous les alliés potentiels sont les bienvenus. Je n'ai donc eu d'autre choix que d'écrire à la nouvelle ministre fédérale, Jane Philpott, pour qu'elle intervienne et rappelle à son homologue québécois qu'il est en contravention de la loi.

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Madame la Ministre, chère collègue,

Tout d'abord, je vous félicite en mon nom et au nom de ma formation politique Québec solidaire, pour votre nomination au Conseil des ministres du gouvernement du Canada. J'espère, Madame la Ministre, que vous aurez un peu de temps pour vous familiariser à la vie parlementaire après avoir passé une vie au service de la santé des populations de l'Ontario et de l'Afrique, car vous allez bientôt être plongée dans les problèmes qu'ont entrainés les dix ans de règne conservateur, dont la privatisation en douce du système public de santé.

Je vous écris aujourd'hui parce que je connais votre attachement au système de santé universel et public. J'ai eu l'occasion de lire votre texte « Is Canadian health care for sale? » et je partage entièrement vos préoccupations. Comme médecin et comme politicien, je juge tout comme vous, que les principes fondamentaux à la base de notre système de santé public devraient être inaltérables et je m'oppose à la privatisation des soins. Je me réjouis qu'une alliée comme vous soit maintenant à la tête du ministère canadien de la Santé. Vous avez maintenant le pouvoir de mettre en application les valeurs que vous défendez depuis longtemps. 

Depuis près de 15 ans, on assiste en effet au Québec à une érosion lente, mais importante, des principes d'universalité et de gratuité du système de santé. Une lettre parue cette semaine dans un quotidien montréalais et signée par des responsables, des praticiens et des experts de la santé, soulignait les manifestations de cette dérive qui «ont pris la forme de multiples petits changements législatifs, d'une grande tolérance du gouvernement quant aux zones grises concernant la facturation et de la créativité de certains médecins-entrepreneurs.» 

Aujourd'hui même, après plusieurs mois de débats, une loi adoptée par l'Assemblée nationale du Québec vient normaliser et légaliser la pratique d'une minorité de médecins qui ruinent la réputation de notre profession en imposant des frais accessoires illégaux à la population du Québec pour des services médicalement assurés. Ces frais accessoires, qui contreviennent à la Loi canadienne sur la santé, servent à financer graduellement toute une infrastructure de soins privés qui prend son essor, souvent aux dépens des ressources du secteur public. Il suffit de penser à l'importante majoration (en moyenne 40 %) déjà incluse par entente à la facturation des actes effectués en bureau privé depuis de nombreuses années, aux ententes conclues pour des opérations en installation privée comme Rockland MD ou encore aux centaines de millions engloutis depuis plus de 15 ans dans la mise en place des GMF. 

Selon les experts précités, la situation est devenue à tel point critique, que le « Québec pourrait être la première province à abandonner le principe d'un système de santé universel, intégral et accessible, et à sortir ainsi du modèle canadien »!

Nous en sommes rendus là, notamment parce que plusieurs de vos prédécesseurs sont malheureusement restés passifs devant la privatisation croissante de nos soins de santé. Je m'adresse donc à vous avec un sentiment d'urgence, en espérant comme bien des patients et patientes du Québec, qu'on puisse logiquement s'attendre de vous à une action énergique pour éviter que la situation se détériore.

Je fonde ma demande d'aide sur l'engagement du Québec et des provinces canadiennes à respecter la Loi canadienne sur la santé. Selon une entente entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, pour pouvoir bénéficier des transferts de fonds du gouvernement fédéral en matière de santé, le Québec s'est engagé à respecter cinq critères, dont celui de l'accessibilité. À ce sujet, l'article 12 de la Loi canadienne sur la santé stipule:

« 12 (1) La condition d'accessibilité suppose que le régime provincial d'assurance-santé :
a) Offre des services de santé assurés, selon des modalités uniformes, et ne fasse pas d'obstacles, directement ou indirectement, et notamment par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant par eux à ces services »

Avec l'adoption du projet de loi 20, le gouvernement du Québec transgresse cet article, pourtant clair, de la Loi canadienne sur la santé. En effet, la nouvelle Loi stipule que des frais pourront être facturés aux patients pour des services déjà assurés. Par règlement, le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux pourra déterminer ce que les médecins pourront facturer à leurs patients pour des traitements qui sont médicalement requis. À partir d'aujourd'hui, le gouvernement du Québec peut, à sa discrétion et sans débat public, modifier en tout temps les frais accessoires en fonction des pressions et demandes des fédérations de médecins.

Dorénavant, le gouvernement québécois aura tout le loisir de permettre et même d'élargir la facturation des frais accessoires aux frais de fonctionnement du cabinet privé, aux services, aux fournitures et équipements requis pour soigner ainsi qu'aux tests diagnostiques effectués en clinique hors établissement.

La situation des frais accessoires n'est pas nouvelle au Canada, ni au Québec. Le gouvernement fédéral est déjà intervenu à maintes reprises auprès de gouvernements provinciaux et a déjà même retenu des transferts de fonds à ces provinces qui permettaient la surfacturation, comme le stipule la Loi canadienne sur la santé. 

Or, à l'exception d'une action en 1995, le gouvernement fédéral est peu intervenu au Québec et ne s'est jamais rendu jusqu'au bout du dossier. Depuis longtemps déjà, le gouvernement du Québec fait preuve de laxisme à l'égard des médecins qui imposent des surfacturations aux patients. Les exemples sont nombreux et si tel était votre souhait, nous pourrions vous fournir une documentation détaillée. Il suffit de rappeler qu'il y a presque dix ans, le gouvernement du Québec a été condamné à payer 10 millions $ en dommages à des patients en raison du non-respect de la Loi sur l'assurance maladie du Québec. En ce moment, plus d'une centaine de cliniques médicales font l'objet d'un recours collectif. La partie demanderesse songe à y inclure la Régie de l'assurance maladie du Québec et le ministre actuel de la Santé et des Services sociaux.

La situation est assez grave pour vous demander d'intervenir auprès de votre homologue québécois afin que minimalement, le règlement d'application de la nouvelle loi n'entre pas en contradiction avec la Loi canadienne sur la santé. 

Il nous parait d'autant plus important que vous interveniez, Madame la Ministre, que le ministre de la Santé du Québec se plait à affirmer sans scrupule que la nouvelle loi québécoise n'entre pas en contradiction avec la loi fédérale. Ceci nous parait tout à fait erroné. Pour bon nombre de personnes à faible revenu, les frais accessoires font obstacle à l'accès aux services médicaux. Dans ces conditions, comme vous l'aviez remarqué dans votre texte de 2012, « l'accès équitable aux services essentiels ne peut plus être garanti. Les services de santé canadiens seront laissés au marché (open market). Ceci peut être souhaitable pour ceux qui peuvent se payer de tels services ou à ceux qui ont des services à vendre. Mais cela va assurément augmenter le fardeau de ceux qui sont pauvres ou autrement désavantagés. »

Aujourd'hui vous êtes la gardienne des grands principes qui guident notre système de santé; un système que la vaste majorité des Québécoises et des Québécois, tout comme des Canadiennes et Canadiens, souhaitent garder public, universel et accessible. 

Je vous écris avec l'espoir ferme que vous serez à la hauteur de cette responsabilité. Je vous demande d'agir pour contraindre le ministre Barrette à respecter l'engagement du Québec à garantir la gratuité des services médicalement assurés (article 12 de la Loi canadienne sur la santé). Nous sommes inquiets, car nous craignons que l'insistance de notre gouvernement provincial à vouloir légaliser la double facturation par les médecins et à renier ses engagements vous oblige à réduire les transferts fédéraux de fonds en santé auxquels le Québec a droit. Comme député et comme médecin, je veux tout faire pour éviter que les patients et les patientes du Québec soient doublement pénalisés à cause de l'aveuglement de notre gouvernement à soutenir la privatisation du système de santé québécois.
En espérant le tout conforme, sachez, Madame la Ministre, que je demeure disponible pour en discuter plus longuement et je vous prie d'accepter mes plus sincères salutations.

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