C'est avec beaucoup de réticence que j'ai dû me résoudre à m'adresser
à la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, pour empêcher ce qui
constitue ni plus ni moins un permis de voler aux dépens des patients
et patientes du Québec [voir ma lettre ci-dessous] !
C'est
que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, ne semble pas comprendre
que les frais accessoires sont déjà facturés à la RAMQ par les médecins
qui pratiquent en cabinet privé. Ou est-ce parce que son chef, le Dr
Couillard lui a dit d'arranger les choses pour que les cliniques
privées, qu'il a aidées à répandre quand il s'occupait de la santé, ne
soient plus embêtées par la RAMQ pour facturation illégale?
Mais
le résultat est le même: légaliser les frais accessoires c'est faire
payer deux fois pour la même facture, ce qui est du vol! Les patients du
Québec n'ont pas à payer une fois avec leur impôt (via la RAMQ) et une
autre fois avec leur carte de crédit pour une goutte dans les yeux, pour
une injection d'anesthésique ou pour une copie du dossier. Tous ces
frais sont déjà compensés largement par une majoration de 20 à 60 % de
tous les actes médicaux que le médecin effectue dans son cabinet au coin
de la rue.
Pourquoi la RAMQ paye pour ça? Parce que la Loi
canadienne sur la santé dit que l'accès aux soins doit être équitable
pour tous. Pour ne pas désavantager ceux qui ont de faibles moyens et
pour que ce soit équitable, il faut donc que le service médicalement
nécessaire soit gratuit.
La RAMQ paye donc tous les frais qui sont
nécessaires pour donner les soins médicalement requis: l'honoraire du
professionnel ainsi que les accessoires qu'il a besoin pour rendre son
service (locaux, secrétaires, dossiers, photocopies, gouttes,
pansements, aiguilles, etc.). C'est pour ça que la RAMQ paye 90 $ en
cabinet privé, pour un acte payé 56 $ en clinique externe d'un hôpital
ou en CLSC.
Le Dr Barrette fait semblant de ne pas comprendre. Il
préfère agir en violation de la Loi canadienne sur la santé en adoptant
une loi qui autorise les frais accessoires et légalise l'iniquité
d'accès. Légaliser les frais accessoires c'est inacceptable et immoral
parce que la double facturation c'est du vol.
Pendant ce temps là,
les patientes et patients continuent d'attendre aussi longtemps à
l'urgence, les infirmières manquent de temps pour traiter tout le monde,
le coût des médicaments continue de dépasser l'entendement,
l'organisation de la première ligne et la répartition des médecins de
famille est toujours aussi déficiente, les hôpitaux dépérissent et la
qualité des soins est à géométrie variable.
En agissant ainsi, le
ministre donne le triste spectacle d'un médecin corporatiste qui semble
utiliser son pouvoir politique malicieusement pour avantager une
minorité de médecins agissant avec cupidité.
L'équité d'accès et
la gratuité des soins sont en jeu. Tous les alliés potentiels sont les
bienvenus. Je n'ai donc eu d'autre choix que d'écrire à la nouvelle
ministre fédérale, Jane Philpott, pour qu'elle intervienne et rappelle à
son homologue québécois qu'il est en contravention de la loi.
*****
Madame la Ministre, chère collègue,
Tout d'abord, je vous félicite en mon nom et au nom de ma formation
politique Québec solidaire, pour votre nomination au Conseil des
ministres du gouvernement du Canada. J'espère, Madame la Ministre, que
vous aurez un peu de temps pour vous familiariser à la vie parlementaire
après avoir passé une vie au service de la santé des populations de
l'Ontario et de l'Afrique, car vous allez bientôt être plongée dans les
problèmes qu'ont entrainés les dix ans de règne conservateur, dont la
privatisation en douce du système public de santé.
Je vous écris
aujourd'hui parce que je connais votre attachement au système de santé
universel et public. J'ai eu l'occasion de lire votre texte « Is
Canadian health care for sale? » et je partage entièrement vos
préoccupations. Comme médecin et comme politicien, je juge tout comme
vous, que les principes fondamentaux à la base de notre système de santé
public devraient être inaltérables et je m'oppose à la privatisation
des soins. Je me réjouis qu'une alliée comme vous soit maintenant à la
tête du ministère canadien de la Santé. Vous avez maintenant le pouvoir
de mettre en application les valeurs que vous défendez depuis longtemps.
Depuis près de 15 ans, on assiste en effet au Québec à une
érosion lente, mais importante, des principes d'universalité et de
gratuité du système de santé. Une
lettre parue cette semaine dans un quotidien montréalais
et signée par des responsables, des praticiens et des experts de la
santé, soulignait les manifestations de cette dérive qui «ont pris la
forme de multiples petits changements législatifs, d'une grande
tolérance du gouvernement quant aux zones grises concernant la
facturation et de la créativité de certains médecins-entrepreneurs.»
Aujourd'hui
même, après plusieurs mois de débats, une loi adoptée par l'Assemblée
nationale du Québec vient normaliser et légaliser la pratique d'une
minorité de médecins qui ruinent la réputation de notre profession en
imposant des frais accessoires illégaux à la population du Québec pour
des services médicalement assurés. Ces frais accessoires, qui
contreviennent à la Loi canadienne sur la santé, servent à financer
graduellement toute une infrastructure de soins privés qui prend son
essor, souvent aux dépens des ressources du secteur public. Il suffit de
penser à l'importante majoration (en moyenne 40 %) déjà incluse par
entente à la facturation des actes effectués en bureau privé depuis de
nombreuses années, aux ententes conclues pour des opérations en
installation privée comme Rockland MD ou encore aux centaines de
millions engloutis depuis plus de 15 ans dans la mise en place des GMF.
Selon
les experts précités, la situation est devenue à tel point critique,
que le « Québec pourrait être la première province à abandonner le
principe d'un système de santé universel, intégral et accessible, et à
sortir ainsi du modèle canadien »!
Nous en sommes rendus là,
notamment parce que plusieurs de vos prédécesseurs sont malheureusement
restés passifs devant la privatisation croissante de nos soins de santé.
Je m'adresse donc à vous avec un sentiment d'urgence, en espérant comme
bien des patients et patientes du Québec, qu'on puisse logiquement
s'attendre de vous à une action énergique pour éviter que la situation
se détériore.
Je fonde ma demande d'aide sur l'engagement du
Québec et des provinces canadiennes à respecter la Loi canadienne sur la
santé. Selon une entente entre le gouvernement fédéral et les
gouvernements provinciaux, pour pouvoir bénéficier des transferts de
fonds du gouvernement fédéral en matière de santé, le Québec s'est
engagé à respecter cinq critères, dont celui de l'accessibilité. À ce
sujet, l'article 12 de la Loi canadienne sur la santé stipule:
« 12 (1) La condition d'accessibilité suppose que le régime provincial d'assurance-santé :
a) Offre des services de santé assurés, selon des modalités uniformes,
et ne fasse pas d'obstacles, directement ou indirectement, et notamment
par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant par eux à ces
services »
Avec l'adoption du projet de loi 20, le
gouvernement du Québec transgresse cet article, pourtant clair, de la
Loi canadienne sur la santé. En effet, la nouvelle Loi stipule que des
frais pourront être facturés aux patients pour des services déjà
assurés. Par règlement, le ministre québécois de la Santé et des
Services sociaux pourra déterminer ce que les médecins pourront facturer
à leurs patients pour des traitements qui sont médicalement requis. À
partir d'aujourd'hui, le gouvernement du Québec peut, à sa discrétion et
sans débat public, modifier en tout temps les frais accessoires en
fonction des pressions et demandes des fédérations de médecins.
Dorénavant,
le gouvernement québécois aura tout le loisir de permettre et même
d'élargir la facturation des frais accessoires aux frais de
fonctionnement du cabinet privé, aux services, aux fournitures et
équipements requis pour soigner ainsi qu'aux tests diagnostiques
effectués en clinique hors établissement.
La situation des frais
accessoires n'est pas nouvelle au Canada, ni au Québec. Le gouvernement
fédéral est déjà intervenu à maintes reprises auprès de gouvernements
provinciaux et a déjà même retenu des transferts de fonds à ces
provinces qui permettaient la surfacturation, comme le stipule la Loi
canadienne sur la santé.
Or, à l'exception d'une action en 1995,
le gouvernement fédéral est peu intervenu au Québec et ne s'est jamais
rendu jusqu'au bout du dossier. Depuis longtemps déjà, le gouvernement
du Québec fait preuve de laxisme à l'égard des médecins qui imposent des
surfacturations aux patients. Les exemples sont nombreux et si tel
était votre souhait, nous pourrions vous fournir une documentation
détaillée. Il suffit de rappeler qu'il y a presque dix ans, le
gouvernement du Québec a été condamné à payer 10 millions $ en dommages à
des patients en raison du non-respect de la Loi sur l'assurance maladie
du Québec. En ce moment, plus d'une centaine de cliniques médicales
font l'objet d'un recours collectif. La partie demanderesse songe à y
inclure la Régie de l'assurance maladie du Québec et le ministre actuel
de la Santé et des Services sociaux.
La situation est assez grave
pour vous demander d'intervenir auprès de votre homologue québécois afin
que minimalement, le règlement d'application de la nouvelle loi n'entre
pas en contradiction avec la Loi canadienne sur la santé.
Il
nous parait d'autant plus important que vous interveniez, Madame la
Ministre, que le ministre de la Santé du Québec se plait à affirmer sans
scrupule que la nouvelle loi québécoise n'entre pas en contradiction
avec la loi fédérale. Ceci nous parait tout à fait erroné. Pour bon
nombre de personnes à faible revenu, les frais accessoires font obstacle
à l'accès aux services médicaux. Dans ces conditions, comme vous
l'aviez remarqué dans votre texte de 2012, « l'accès équitable aux
services essentiels ne peut plus être garanti. Les services de santé
canadiens seront laissés au marché (open market). Ceci peut être
souhaitable pour ceux qui peuvent se payer de tels services ou à ceux
qui ont des services à vendre. Mais cela va assurément augmenter le
fardeau de ceux qui sont pauvres ou autrement désavantagés. »
Aujourd'hui
vous êtes la gardienne des grands principes qui guident notre système
de santé; un système que la vaste majorité des Québécoises et des
Québécois, tout comme des Canadiennes et Canadiens, souhaitent garder
public, universel et accessible.
Je vous écris avec l'espoir
ferme que vous serez à la hauteur de cette responsabilité. Je vous
demande d'agir pour contraindre le ministre Barrette à respecter
l'engagement du Québec à garantir la gratuité des services médicalement
assurés (article 12 de la Loi canadienne sur la santé). Nous sommes
inquiets, car nous craignons que l'insistance de notre gouvernement
provincial à vouloir légaliser la double facturation par les médecins et
à renier ses engagements vous oblige à réduire les transferts fédéraux
de fonds en santé auxquels le Québec a droit. Comme député et comme
médecin, je veux tout faire pour éviter que les patients et les
patientes du Québec soient doublement pénalisés à cause de l'aveuglement
de notre gouvernement à soutenir la privatisation du système de santé
québécois.
En espérant le tout conforme, sachez, Madame la
Ministre, que je demeure disponible pour en discuter plus longuement et
je vous prie d'accepter mes plus sincères salutations.