jeudi 28 juin 2012

Appui des syndicats canadiens à la lutte étudiante, un autre rendez-vous raté

Mardi 26 juin 2012, par André Frappier


La correspondance entre le président de la FTQ Michel Arsenault et le président du CTC, datant du 28 mai dernier, a fait tache d’huile dans les médias sociaux ces derniers jours. Dans sa lettre à Ken Georgetti, Michel Arsenault s’étonnait que des syndicats du Canada anglais, affiliés au CTC, aient décidé de venir manifester au Québec en appui aux étudiant-e-s sans au préalable avoir communiqué avec la FTQ afin de mieux comprendre les enjeux. D’étonnement à indignation, les réactions ont été assez vives pour que la FTQ apporte des explications sur sa page Facebook. La lettre de Michel Arsenault reflète la position adoptée par le bureau de direction de la FTQ. Elle a été écrite le 28 mai, journée qui coïncidait avec le début des négociations entre les associations étudiantes et la ministre Courchesne. Cette lettre avait donc de toute évidence pour objet, dans l’esprit de la direction de la FTQ, de ne pas nuire à la négociation. C’était un appel aux syndicats du reste du canada, à ce moment-là, à respecter les stratégies du Québec.

Dans sa réponse adressée aux syndicats affiliés, bien qu’elle contienne copie de la lettre de Michel Arsenaut, Ken Georgetti ne mentionne que la demande de la FTQ de respecter le protocole CTC-FTQ à l’effet que cette dernière a juridiction au Québec. Elle n’explique pas la requête de la FTQ et sa crainte de nuire à la négociation qui allait débuter dans les prochains jours. On ne peut s’empêcher d’y voir un acte réfléchi de Ken Georgetti visant à régler ses comptes avec la FTQ. Certains syndicats canadiens ont interprété qu’il ne devait plus y avoir d’expression de solidarité ni d’appui financier.

On ne peut pour autant ignorer l’effet démobilisateur de la lettre de Michel Arsenault. Sa position relève plus d’une volonté de tout centrer sur la négociation et de régler au plus tôt que de mobiliser pour créer un rapport de force sans lequel aucun règlement n’est possible. Même si, selon la FTQ, le CTC a interprété à tort que cela signifiait un arrêt d’appui formel à la lutte étudiante, un tel appui devient inutile s’il ne peut s’exprimer dans la rue.

De surcroit cette lutte appartient au mouvement étudiant et c’est à eux de décider de quelle solidarité ils ont besoin, c’est leur négociation, pas celle d’aucune centrale. Il ne fait aucun doute qu’ils souhaitaient cet appui. Si les gestes de solidarité posés à travers le monde ont aidé à créer un rapport de force, l’appui des syndicats du reste du Canada peut à plus forte raison jouer un rôle majeur.

S’exprimant de façon ironique, le président de la FTQ indique dans sa lettre au CTC qu’il apprécie cette montée de la solidarité. Cependant il n’a pas pris la peine de souligner l’importance du soutien des syndicats canadiens dans cette lutte déterminante pour l’avenir des luttes sociales au Québec. Au lieu de tenter un rapprochement, il a contribué lui aussi à élargir le fossé.

Michel Arsenault devrait plutôt saisir l’occasion et appeler le mouvement syndical du reste du Canada à se mobiliser et à se joindre à nous à la rentrée. Il faut faire de la fête du travail, à laquelle participent largement les syndicats du reste du Canada, un rendez-vous d’appui à la lutte du Québec.

Un débat politique de fond

La FTQ est la seule centrale syndicale liée structurellement au reste du Canada. Même si on peut considérer que la réaction de Michel Arsenault relève d’une préoccupation de l’autonomie du Québec en termes de stratégie, préoccupation qui n’interpelle pas les autres centrales puisqu’elles ne sont pas liées aux syndicats canadiens, on ne peut que se questionner sur cette stratégie.

Cette vision stratégique est basée sur une volonté de régler la question du financement post secondaire en vase clos, c’est-à-dire à partir des propres ressources du milieu collégial et universitaire y incluant les étudiantes et étudiants eux-mêmes. Elle relègue la mobilisation au second rang parce que la négociation est vue comme une suite de propositions et concessions dans le cadre restreint du secteur de l’éducation qui ne remet pas en question la logique gouvernementale. Cette vision participe à isoler chaque lutte et empêche de créer une cohésion et un front uni, essentiels à une victoire contre l’offensive néolibérale. Par conséquent la mobilisation devient un accessoire à la négociation et les concessions le coeur de la solution. Mais plus profondément cette vision procède d’une politique de concertation où les centrales syndicales prétendent au rôle de partenaires dans la gestion de la société en agitant le spectre de la mobilisation.

Cette vision politique n’est pas unique à la FTQ, elle est largement partagée par la direction de la CSN et de la CSQ. Les directions des centrales ont refusé de se joindre au mouvement de mobilisation contre la tarification et la privation des services publics en 2010, au moment où le ministre Bachand déposait un budget dévastateur qui allait ouvrir la voie au principe utilisateur-payeur et s’inscrivait dans une perspective de détérioration des services publics, pavant la voie à la privatisation. Elles ont choisi de régler une convention collective qui allait subir dans les prochaines années, les contrecoups des augmentations de tarifs et du démantèlement des services publics introduits dans le budget, sans même livrer combat.

Le mouvement étudiant s’est donc retrouvé seul à remonter cette pente et à initier cette bataille qui a finalement fait boule de neige et attiré plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues.

L’absence de perspectives de front unitaire des centrales avec le mouvement étudiant et le refus de construire un mouvement social large allant vers une grève sociale dans un contexte de mobilisation historique contre une offensive néolibérale comportant un tel impact social tant sur le plan économique que répressif, correspond à cette étape-ci à un refus de livrer bataille qui pourrait s’avérer beaucoup plus lourd de conséquences que l’échec de la lutte sociale de 2010. La lutte contre l’augmentation des frais de scolarité s’est heurtée à la volonté du gouvernement Charest d’imposer le principe de l’utilisateur-payeur. Sa stratégie de dénigrement du mouvement étudiant n’a rien à voir avec une incapacité de payer du gouvernement, mais relève d’une bataille rangée du néolibéralisme pour écraser le mouvement et éliminer toute perspective de lutte des autres mouvements sociaux dont les syndicats, qui subiront les uns après les autres les mêmes assauts.Pour vaincre, la riposte ne peut qu’être que large et unitaire !

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