Christian Bolduc
Publier dans le Huffington Post de Québec
Peut-être que le vœu du dramaturge et metteur en scène québécois Dominique Champagne se réalisera plus vite que prévu. Pour le récipiendaire du prix Artiste pour la paix 2011 et grand pourfendeur de l'industrie du gaz de schiste, un printemps québécois est en gestation et culminera le 22 avril par une gigantesque manifestation à Montréal.
Malheureusement pour lui, les étudiants québécois ont décidé de le prendre de court et de déclencher ce qui ressemble de plus en plus à une mobilisation générale contre la hausse des frais de scolarité. Un printemps étudiant en gestation, pourrions-nous dire.
Mais pourquoi, direz-vous, faire tout un boucan pour 325$ d'augmentation annuelle pendant cinq années consécutives? Entre payer 2 415$ par année et 3 793$ en 2016-2017, c'est quoi la différence si tu as accès aux prêts et bourses ainsi qu'au marché du travail?
En fait, les étudiants portent, en s'inscrivant en faux contre le gouvernement libéral de Jean Charest, trois revendications sociétales fondamentales: l'accès à l'éducation sans égard aux conditions socio-économiques, un refus d'endettement et une responsabilité partagée de cette charge collective qu'est l'éducation de sa jeunesse.
Autrement dit, ils veulent que l'éducation post-secondaire redevienne un service public dont tout le monde peut bénéficier. Soit comme étudiant, soit comme bénéficiaire de services sociaux, médicaux, etc. Tu profites lorsque tu vas aux études, et tu payes lorsque tu travailles. Un projet de société, finalement, qui met hors d'état de nuire la généralisation des rapports marchands dans l'espace public.
Parce que...Dans une société de plus en plus portée vers des « valeurs » néolibérales - l'atomisation doctrinaire et intéressée de nos rapports sociaux, la recherche de son intérêt pécuniaire égoïste, la valorisation du culte égotiste et la marchandisation de ses compétences - le mouvement étudiant considère, contrairement à la droite narcissique, que l'éducation est une valeur qui profite à tout le monde, pas seulement aux étudiants.
Alors pourquoi faire supporter le fardeau de l'endettement à ceux dont les revenus annuels sont largement et globalement sous le seuil de la pauvreté? Un diplômé en enseignement, un travailleur social, une infirmière, un gestionnaire, un intellectuel formé en sciences sociales et humaines, une avocate, un médecin et tous les autres vont faire profiter la collectivité de leurs savoirs et leurs compétences.
Réduire l'université aux rapports marchands ainsi qu'au principe de l'utilisateur-payeur est une fraude intellectuelle et civilisationnelle qu'il faut dénoncer. «La preuve a été faite, notamment en Ontario et en Angleterre, que l'augmentation du fardeau financier réduisait l'accessibilité des classes socio-économiques plus défavorisées au système d'éducation post-secondaire, augmente le niveau d'endettement des classes moyennes et hypothèque l'avenir d'un pan important de la jeunesse, disent les chercheurs Simon Tremblay-Pepin et Éric Martin dans leurs capsules sur le site Internet de l'Institut de recherche et d'informations socio-économique.
Si on accepte le constat irréfutable que la hausse des frais de scolarité entrainera plus d'inégalités, moins d'accessibilité, davantage de problèmes sociaux et plus d'endettement pour ceux et celles qui profitent des prêts et bourses (les plus pauvres), comment se fait-il que le gouvernement libéral provincial persévère, surtout qu'il lui en coûterait très cher de le faire, selon la Fédération étudiante collégiale du Québec qui a commandé une étude et dont le Canal Argent a rendu compte en novembre 2011?
La réponse est d'abord idéologique, disent le deux chercheurs précédemment cités. L'éducation est devenue un marché du savoir et qu'il faut s'y intégrer afin de pouvoir survivre et prospérer. La mise en concurrence, chère aux néolibéraux, devient donc la matrice par laquelle tout se négocie.
Parce qu'il est précisément là le nœud du problème. Voulons-nous que nos forces vives soient évacuées en masse de la possibilité de profiter du transfert de connaissances universelles et de la capacité de jouer un rôle civique notable ou, au contraire, avoir une jeunesse largement éduquée qui viendra ensuite contribuer à la richesse collective par un engagement professionnel, social, politique, culturel et économique fécond?
Si on peut faire comprendre cette réalité aux décideurs politiques, il sera ensuite plus facile de faire le lien entre pauvreté, exclusion, problèmes sociaux et limite d'accès à l'éducation. Et de dénoncer vigoureusement cette mesure gouvernementale régressive qui pourrait aisément être remplacée par la gratuité scolaire, celle qui donne un accès à l'éducation sans considération aucune pour l'épaisseur du portefeuille. Une mesure qui ne coûterait, termine M. Tremblay-Pepin, que 700$ millions à la collectivité.
Il s'agit en fait d'un choix de société. On réduit les impôts, on laisse les gens se débrouiller eux-mêmes ou on se serre les coudes afin de maximiser nos forces. La Révolution tranquille, qui a permis au Québec d'inclure ses forces vives afin de s'enrichir collectivement comme jamais dans son histoire, semble en voie d'être évacuée par un gouvernement doctrinaire et idéologique dont l'objectif est de satisfaire une minorité qui, seule, profite du système capitaliste (banques, financiers, industriels, etc.)
Mais en attendant, le printemps québécois commence à fourbir ses armes et espère provoquer, au final, un débat de société qui transcendera peut-être les discussions de salon sur le sens à donner aux confrontations mineures avec la police...
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