Par Robert Luxley
Journal Clarté
Désireuse de profiter de l’avance que sa charte des valeurs
avait procurée à son parti dans les sondages, la première ministre Pauline
Marois a déclenché des élections générales qui se tiendront le 7 avril
prochain. Ce faisant le Parti Québécois transgressait sa propre loi qu’il
venait pourtant de faire adopter quelques mois plus tôt pour que les élections
soient désormais tenues à tous les quatre ans à date fixe, afin de soustraire,
disait le ministre responsable, Bernard Drainville, le moment de déclencher une
élection aux « petits calculs » opportunistes et électoralistes et ainsi «
réparer le lien de confiance » entre la population et les politiciens.
De toute façon, il semble bien que ce « lien » exigeait des
réparations plus laborieuses, puisque depuis qu’il est au pouvoir, le PQ n’a
pas cessé de l’éprouver en trahissant une derrière l’autre les promesses qu’il
avait faites au peuple pour se faire élire 18 mois plus tôt. Notamment, il a
reculé sur l’abolition de la taxe-santé et sur sa promesse d’établir une
fiscalité plus progressive et plus équitable; il a trompé les étudiantes et les
étudiants en augmentant les droits de scolarité et en réduisant le crédit
d’impôt auquel ils donnent droit; il a non seulement reculé sur le gel des
tarifs d’électricité mais les a fortement augmentés; il s’est attaqué aux
prestations d’aide sociale des personnes parmi les plus démunies.
Obsédé par l’atteinte du déficit zéro dans les finances
publiques, le gouvernement péquiste a accru encore plus les coupes budgétaires que
faisaient les Libéraux avant lui dans les services publics, notamment en santé
et en éducation. Pourtant, malgré ces mesures d’austérité, le gouvernement
s’est refusé de mettre un terme aux onéreux contrats en PPP des deux
super-hôpitaux de Montréal où sont inutilement gaspillés des centaines de
millions de dollars au profit d’entrepreneurs, et ce, en dépit des preuves de
corruption et de collusion entourant l’attribution des contrats. Pire, le
gouvernement a même favorisé la privatisation de services publics, par exemple
ceux d’approvisionnement des médicaments et des fournitures médicales au
bénéfice de la multinationale américaine Cardinal Health, pourtant
officiellement accusée et convaincue de corruption et de collusion au
États-Unis.
Sur le plan de l’environnement et des ressources naturelles,
le bilan du PQ est pitoyable. Il a reculé sur la question des redevances
minières qu’il devait augmenter et a appuyé le renversement du flux de pétrole
dans l’oléoduc d’Embridge. Pire, il a permis l’exploration pétrolière sur l’île
d’Anticosti, un joyau de la nature, à grand renfort de subventions de fonds
publics (115 millions $) pour les pétrolières.
Bref, depuis qu’il est au pouvoir, le PQ pratique résolument
une politique néolibérale et de droite. Cela s’est d’ailleurs confirmé avec le
dépôt quelques jours avant le déclenchement des élections d’un budget très
austère impliquant des coupes dans tous les ministères. Entre autres, le
gouvernement a décidé de faire passer les frais de garderie de 7 à 9 dollars
par jour par enfant.
Finalement, la preuve ultime des cette orientation droitière
est apparue lorsque Pauline Marois a présenté son candidat dans la
circonscription de Saint-Jérôme, le propriétaire milliardaire de l’empire
Québécor, Pierre-Karl Péladeau (PKP). Ce dernier, considéré comme un des pires
employeurs au Québec, s’est rendu coupable de 14 lockout ces dernières années
durant lesquels il avait utilisé allègrement des briseurs de grève pour écraser
les syndicats. Or quelques jours plus tôt, le PQ venait de retirer de sa
plate-forme électorale une proposition de modernisation de la loi anti-briseurs
de grève qui visait justement à empêcher les tactiques que Péladeau avait
utilisées pour contourner l’esprit de la loi.
BOUSCULADE DU CÔTÉ DROIT
Avec ce virage à droite, le PQ laisse tomber son masque
soi-disant social-démocrate et montre sa nature profonde et sa volonté de
récupérer les électrices et les électeurs plus à droite de la Coalition Avenir
Québec (CAQ).
En même temps durant les derniers mois, le PQ a pu voiler
quelque peu son virage grâce à sa charte des valeurs soi-disant québécoises. En
s’appuyant sur des préjugés et en moussant la crainte d’une « menace étrangère
» imaginaire qui pèserait sur la culture occidentale (et catholique) de la majorité
des Québécoises et des Québécois, le PQ a réussi ainsi à diviser profondément
la population et à polariser le débat politique.
Une majorité des francophones soutenant sa charte, le PQ
pouvait envisager gagner une majorité parlementaire. La charte vise clairement
à s’emparer du vote de l’ex-ADQ fondue au sein de la CAQ et qui avait fait de
ces questions identitaires son fonds de commerce. La table est mise et c’est la
CAQ qui est au menu. Libéraux et péquistes s’apprêtent à se disputer férocement
la carcasse.
Le PLQ et la CAQ soutiennent que les politiques du
gouvernement ne sont pas suffisamment austères. Les Libéraux entendent pour
leur part faire d’importantes compressions dans les dépenses publiques et des
coupes dans le personnel administratif dans le but d’atteindre l’équilibre
budgétaire et réduire la dette et tout en diminuant les impôts. Leur plan
s’appuie sur une croissance économique très hypothétique pour augmenter les
revenus de l’État, croissance qu’ils stimuleraient entre autres, par une
relance du « plan Nord ».
Dans le même ordre d’idée, la CAQ tente une fuite « à droite
toute » pour éviter de se faire dévorer tout rond. Non seulement réitère-t-elle
son programme de 2012 avec des mesures telles que l’abolition des commissions
scolaires et des agences de santé, ainsi que la réduction du personnel des
services publics, mais elle prend carrément à son compte le programme
anti-syndical de Stephen Harper, tel que
d'obliger la tenue d’un vote secret pour reconnaître une accréditation syndicale
ou limiter l'utilisation des cotisations syndicales aux strictes relations de
travail, etc.
Contrairement à 2012, Québec Solidaire se retrouve donc seul
parmi les partis présents à l’Assemblée Nationale à briguer les suffrages du
côté gauche.
LA QUESTION NATIONALE S’INVITE
Tant le PLQ que la CAQ accuse le PQ de ne pas se préoccuper
des soucis quotidiens des ménages (qu’ils appellent les « vraies affaires ») et
d’avoir plutôt un agenda caché pour tenir un référendum sur la souveraineté du
Québec s’il parvenait à obtenir une majorité parlementaire. Puisque que plus de
60% des électrices et des électeurs sont présentement opposés à la souveraineté
du Québec, ils agitent la tenue d’un référendum comme un épouvantail pour
rameuter le vote fédéraliste. Évidemment, le PQ se défend bien de pareille
chose, jurant la main sur le cœur que l’élection n’a rien à voir avec un tel
référendum et qu’il souhaite uniquement former un « bon gouvernement »
majoritaire.
Au contraire, Québec Solidaire a affirmé très fortement sa
position souverainiste dès le départ de la campagne électorale dans le but très
clair de rallier les souverainiste déçus des tergiversations du PQ.
Cependant, l’arrivée dans la campagne électorale d’un grand
capitaliste comme PKP faisant sa profession de foi pour la souveraineté du
Québec a conféré un caractère référendaire à la campagne, la polarisant entre
le PLQ fédéraliste et le PQ souverainiste. Jusqu’à présent les sondages
révèlent que la CAQ fait les frais de cette polarisation au profit du PLQ qui a
pris les devants.
En même temps, l’arrivée de PKP clarifie une fois pour toute
pour plusieurs souverainistes progressistes la véritable nature de classe du
PQ. Plusieurs ont été scandalisés que le PQ puisse s’accoquiner avec pareil
individu, capable de symboliser à lui seul toute la laideur du capitalisme. On
a alors vu plusieurs interventions de ténors de la gauche péquiste et
souverainiste, dont plusieurs anciennes dirigeantes et dirigeants syndicaux
qui, afin de soutenir la candidature de Péladeau, ont par la même occasion
clarifié leur approche de la question nationale.
L’ancien président de la CSN, Marc Laviolette, a bien résumé
leur vision commune lorsqu’il a déclaré que la souveraineté du Québec ne
pouvait « se faire qu’à droite ». En fait, selon elles et eux, la souveraineté
est une première étape dont la réalisation exige un front uni des classes de la
société québécoise, front uni qui ne peut donc se réaliser qu’en assurant le
statu quo des rapports que ces classes ont entre elles. Le progrès social,
selon elles et eux, ne peut survenir que par la suite, dans un deuxième temps,
une fois la souveraineté réalisée, et résultant de la lutte des classes alors
rendue possible.
Selon ces gens, le seul véhicule valable pour accomplir
cette démarche est le PQ, même s’ils peuvent à l’occasion déplorer ses
positions trop à droite. C’est aussi pour cela qu’ils attaquent avec hargne QS
qui refuse de « collaborer » en dépit de sa position souverainiste. Selon eux,
à ne vouloir trop représenter que les intérêts des travailleuses et des
travailleurs et des couches populaires, QS divise les forces souverainistes et
joue le jeu des fédéralistes. En réalité, QS est tout simplement convaincu que
les travailleuses et les travailleurs qui composent la majorité du peuple ne
soutiendront jamais la souveraineté si elles et ils n’y retrouvent pas leurs
intérêts, et pour cette raison ne dissocie pas le progrès social de la
souveraineté.
QS, SEUL CHOIX POSSIBLE POUR LES PROGRESSISTES
La plateforme électorale de QS vise à établir une plus
grande justice sociale et à sauvegarder l’environnement. Soulignons entre
autres que:
QS propose une réforme de la fiscalité en ajoutant des
paliers d’imposition de façon à faire payer davantage les mieux nantis et les
profits des entreprises. Il restaurerait la taxe sur le capital des sociétés
financières.
QS créerait une assurance-médicament publique et
universelle.
Contrairement aux autres partis, QS se propose de renforcer
les droits syndicaux, notamment en permettant l’accréditation multipatronale,
en interdisant les lockout et tout recours même indirect aux briseurs de grève,
ainsi que le recours aux injonctions contre le piquetage.
QS veut lutter contre la précarité en améliorant les normes
du travail en haussant le salaire minimum au niveau de faible revenu, en
accordant pour toutes et tous des congés, des journées-maladie payées et des
vacances améliorées, en créant un régime de retraite public et universel, et en
instituant un revenu minimum garanti pour toute personne adulte de 12 600$ par
année.
QS créerait des dizaines de milliers d’emplois en créant 50
000 logements sociaux durant 5 ans, et en investissant 23 milliards $ dans le
développement de transports collectifs et la rénovation éco-énergétique de
façon à restreindre au maximum l’utilisation d’énergie fossile.
En ce qui concerne la Charte des valeurs du PQ, QS se
prononce pour une société inclusive et est donc opposé à l’interdiction de
signes religieux pour les employé(e)s du secteur public, sauf pour les
personnes en autorité comme les juges, les policières et policiers, etc.
Par rapport à la question nationale québécoise, QS propose
dès son arrivée au pouvoir de lancer une démarche d’assemblée constituante,
représentative, indépendante et élue au suffrage universel, qui mènera une vaste
consultation populaire pour élaborer un projet de constitution qui sera soumis
au peuple par référendum. Le projet de constitution proposera un statut
politique pour le Québec. Durant la démarche de consultation, QS quant à lui
défendra l’idée de faire du Québec un pays indépendant. En même temps, QS admet
que les peuples autochtones n’ont jamais renoncé à leur souveraineté et entend
faire adopter et mettre en application la Déclaration de l’ONU pour les droits
des peuples autochtones, et négocier une entente pour tout projet de
développement sur les territoires autochtones. L’Assemblée des Premières
Nations du Québec et du Labrador quant à elle a tenu a rappelé tous les partis
à l’ordre en cas de mouvement vers la souveraineté du Québec, soulignant que les
peuples autochtones ne sont pas québécois et disposent de leur plein droit à
l’autodétermination sur leurs territoires.
Le Parti communiste du Québec (section du PC du Canada),
bien qu’il ait contribué à la création de QS dans le but d’unifier les forces
de gauche au Québec face à la droite néolibérale, a toujours réservé son
opinion concernant la question de la souveraineté du Québec, et, tout en
reconnaissant son droit à l’autodétermination, place les intérêts de la classe
ouvrière et la lutte pour le socialisme au premier plan, et il défend par
conséquent l’unité nécessaire de la classe ouvrière à travers tout le Canada
pour atteindre cet objectif. Durant la démarche de consultation de l’assemblée
constituante, le PCQ défendra quant à lui cette idée.
En 2012, les circonstances avaient forcé le PQ à faire
campagne à gauche et il a pu gagner l’élection grâce à la division du vote de
droite entre le PLQ et la CAQ. En essayant de prendre la place de la CAQ cette
fois-ci, le PQ contribue à polariser le débat sur l’axe
souveraineté-fédéralisme, abandonnant la gauche totalement à QS qui bien sûr a
peu de chance de l’emporter. Si le PQ est élu, il ne lui sera plus nécessaire
de trahir ses promesses, puisqu’il gouvernera sur l’essentiel à peu près comme
le PLQ le ferait si c’était plutôt lui qui l’emportait. Seul le vote
qu’obtiendra QS permettra de mesurer les avancées politiques de la classe
ouvrière.
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