Marianne Breton Fontaine
Culture du viol, discrimination, pauvreté, violence, etc. la
liste des maux du patriarcat est longue. On pourrait tout de même croire que
d’année en année, la situation des femmes s’améliore au Canada. Mais il n’en
est rien. Et ce n’est pas seulement les groupes de gauche qui l’affirment. En
effet, le Canada n’a cessé de reculer dans les index internationaux d’égalité,
passant du 7e rang en 2004 au 25e rang en 2009 selon l’indice d’inégalité entre
les sexes établi par le Forum économique mondial. Ceci n’est pas le fruit du
hasard, c’est le fait d’orientations claires contre l’avancement des femmes
vers l’égalité. Oui, Harper est contre les femmes!
Le financement des
groupes de femmes
Depuis que Stephen Harper a pris le pouvoir en 2006, le
gouvernement conservateur élimine peu à peu le financement fédéral des groupes
qui font la promotion des droits des femmes. Il a fermé 12 des 16 bureaux
régionaux de Condition féminine Canada et réduit de 38 % son budget de
fonctionnement. Condition féminine Canada avant Harper était un organisme
gouvernemental qui surveillait la mise en œuvre au Canada de la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et qui faisait la
promotion des droits des femmes par l’intermédiaire de son support à d’autres
groupes. Mais les Conservateurs ont apporté des changements significatifs aux
critères de financement des organisations de femmes, ne finançant maintenant
que les groupes qui « interviennent directement » auprès des femmes.
En d’autres mots, les groupes qui faisaient des recherches sur des questions
touchant les femmes, qui défendaient des positions féministes ou faisaient du
lobbying ne sont plus considérés éligibles à du financement. Faire la promotion
de la planification familiale ou de la prévention contre la violence, ça ne
marche plus dorénavant. Harper ne pouvait en rester là, il a aussi éliminé le
mot « égalité » des objectifs du ministère. C’est ainsi que des
groupes comme le Victoria Status of Women
Action Group (SWAG), l’Association
nationale Femmes et Droit (ANFD), l’Institut
canadien de recherches sur les femmes (ICREF) et la Coalition pour l’équité salariale du Nouveau-Brunswick ont vu leur
financement drastiquement coupé, et même dans certains cas, ont dû fermer leurs
portes définitivement.
Comme la recherche sur la situation des femmes n’est plus un
enjeu pour Harper, il a aussi, dans sa longue liste de coupes budgétaires,
éliminé le Programme de contribution pour la santé des femmes vieux de 16 ans,
qui finançait six programmes de recherche en santé des femmes.
En 2010, 12 groupes de femmes dont le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)
et le Réseau des tables régionales de
groupes de femmes du Québec ont vu leur subvention abolie du jour au
lendemain. Plusieurs y ont vu une punition puisque ces groupes s’opposaient à
la nouvelle politique conservatrice d’aide à l’international qui refuse
maintenant de financer des projets humanitaires qui supporteraient l’avortement
à l’étranger. Dans la presque totalité des cas, les groupes ont été pris par
surprise par le non-renouvellement de leur financement, les fonctionnaires
n’ayant fourni aucun indice préalable.
Le financement actuel des groupes de femmes privilégiés par
les Conservateurs se dirige vers des groupes faisant la promotion des femmes
dans l’entrepreneuriat ou la direction des affaires. C’est ce que les
Conservateurs nomment faire la promotion du « leadership féminin ».
De plus, la direction du financement des groupes de femmes se fait de plus en
plus vers des groupes qui ont aussi des vocations religieuses. Tout pour nous
rassurer!
Programmes sociaux et
pauvretés des femmes
Nous savons que les politiques économiques et sociales des
Conservateurs sont dévastatrices pour la majorité du peuple. Les services
publics sont coupés, des emplois sont perdus, les syndicats sont attaqués,
l’environnement est mis en péril, la bourgeoisie s’en met plein les poches...
en d’autres mots, l’agenda néolibéral va bon train.
Mais on oublie souvent que ces mesures privilégiées par la
droite économique, mais aussi implantées au nom du marché mondial par des
gouvernements sociaux-démocrates partout dans le monde, affectent
disproportionnellement les femmes. Les femmes sont plus pauvres en raison du
système patriarcal dans lequel nous vivons et dépendent plus que leurs
homologues masculins des services publics et du « filet social » que
les longues luttes populaires ont réussi à mettre en place. Les femmes du
Canada gagnent en moyenne 71 cents pour chaque dollar fait par un homme. C’est
encore pire pour les femmes autochtones du Canada qui gagnaient en moyenne en
2006, 46 cents pour chaque dollar que gagnaient les autres travailleurs et
travailleuses.
Les coupes dans les services sociaux ont d’ailleurs visé
spécifiquement les femmes autochtones puisque Santé-Canada vient de procédé à
de larges coupes en matière de soins de santé aux autochtones. En conséquence,
un groupe comme Femmes autochtones du
Québec s’est vue couper son financement, des programmes de santé élaborés
par et pour les autochtones ont été abolis et plusieurs femmes autochtones
hors-réserve ne reçoivent plus de soins adaptés à leurs besoins.
Les
Conservateurs s’attaquent aussi aux femmes âgées en imposant d’importants reculs
aux régimes de retraite publics. Comme le dit le Syndicat
canadien de la fonction publique (SCFP) :
« En haussant
l’âge de l’admissibilité aux prestations de la Sécurité de la vieillesse (SV)
et du Supplément de revenu garanti (SRG), le gouvernement conservateur de
Stephen Harper s’en est pris directement aux femmes âgées. Les femmes forment
la majorité des prestataires du SRG parce qu’elles sont désavantagées pendant
leur vie professionnelle active. Les faibles salaires et le travail précaire
empêchent bon nombre d’entre elles d’épargner ou de se constituer des retraites
acceptables pendant leur vie active. »
Ces coupes auront donc des conséquences majeures sur les
femmes du troisième âge. Rappelons que ces femmes reçoivent 64 cents pour
chaque dollar reçu par leur homologue masculin en raison de la permanence de
l’iniquité salariale entre homme et femmes.
Les coupes dans les services publics élimineront aussi de
bons emplois syndiqués pour les travailleuses. Rappelons-nous qu’il y a plus de
travailleuses que de travailleurs dans le secteur public. À titre d’exemple,
l’AFPC signalait qu’au 31 mai 2013, plus de 21 000 de ses membres répartis
dans 58 ministères avaient reçu un avis les informant que leur poste
pourrait être supprimé.
Contre les travailleuses
Possible abolition de la formule Rand, divulgation
obligatoire des états financiers des syndicats pour s’assurer que ceux-ci ne
financent pas trop de groupes faisant de la politique militante, loi spéciale
de retour au travail, vote obligatoire pour la syndicalisation, Harper déteste
les syndicats et les récentes mesures le prouvent hors de tout doute. Ceux-ci
ont depuis longtemps été un outil de lutte majeur pour les revendications
féministes. Ils ont aussi permis d’avancer concrètement les conditions de vie
de leurs membres. Les femmes syndiquées au Canada gagnent 39 % de plus que
les femmes non syndiquées. Elles ont aussi deux fois plus de chance de toucher
une pension et ont de meilleurs avantages sociaux et de meilleures protections
en matière de droits de la personne et de sécurité d’emploi.
La réforme de l’assurance-emploi est une autre attaque des
Conservateurs contre les travailleurs et les travailleuses, mais
particulièrement pour ces dernières. D’abord, les femmes travaillent davantage
à temps partiel que les hommes souvent en raison du fardeau familial et/ou de
la discrimination systémique sur le marché du travail qui prédispose les femmes
à des emplois plus précaires et moins bien payés. Les femmes auront donc moins
accès à l’assurance-chômage et seront plus sujettes aux enquêtes alors qu’avec
leurs salaires inférieurs à ceux des hommes, elles étaient déjà désavantagées
par le système en place. Le système de l’assurance- emploi était déjà
discriminatoire, il l’est aujourd’hui encore plus avec les réformes
conservatrices.
Pourquoi s’arrêter là? Le gouvernement conservateur a remis
en question le droit à l’équité salariale des travailleuses de la fonction
publique. C’est-à-dire qu’il a retiré le droit des femmes occupant des postes
dans la fonction publique fédérale de se tourner vers les tribunaux pour exiger
un salaire égal pour un travail de valeur égale. Il a aussi cessé de
reconnaître le travail invisible des femmes en supprimant des questions sur le
travail gratuit dans le recensement. Merci Harper!
L’agenda anti-choix
des conservateurs
Harper a multiplié les projets de loi remettant en question
le libre choix en matière d’avortement et a cessé de financer ces services au
niveau de l’aide internationale. Il y a eu notamment le projet de loi C-484
intitulés Loi sur les enfants non encore
nés victimes d’actes criminels qui a été présenté en 2008. Un autre projet
de loi prétendait vouloir protéger le droit de conscience des professionnels de
la santé en leur évitant d’être forcés de participer à des actes médicaux
contraires à leur conscience, comme des avortements. Plus récemment il y a eu
le député conservateur Stephen Woodworth qui a déposé un projet de loi
d’initiative parlementaire, la Motion 312, visant à réexaminer la
définition d’« être humain » dans le Code criminel, et ce dans le but
de recriminaliser l’avortement. Nous avons aussi eu droit à la motion du député
Mark Warawa qui demandait à la Chambre de condamner la discrimination exercée
contre les femmes au moyen d’avortements sexo-sélectifs qui était en fait une
autre tentative pour entraver le droit à l’avortement.
Heureusement, aucun de ces projets de loi n’a été adopté,
mais nous ne sommes pas dupes. Selon une liste des députés anti-choix compilée
par la Coalition pour le droit à l’avortement du Canada, les deux tiers du
caucus conservateur actuel sont anti-choix, comme l’est 17 % du caucus
libéral. Et pendant que le gouvernement Harper pense à recriminaliser
l’avortement, beaucoup oublie que déjà, la lutte des pro-choix était loin
d’être achevée. Ce n’est pas toutes les femmes au Canada qui ont accès aux
services d’avortement. Par exemple, sur l’île du Prince-Édouard, il n’existe
absolument aucun service de ce genre.
Harper complice de la
violence envers les femmes
Vous avez un doute? Et pourtant Harper a mis en place des
restrictions au système de réfugiés pénalisant ainsi les femmes victimes de
violence sexuelle et homophobe.
Il a travaillé d’arrache-pied pour abolir le registre des
armes à feu. Rappelons-nous que les femmes sont minoritaires parmi les
propriétaires d’armes à feu, la vaste majorité étant des hommes. Mais au même
moment, les femmes sont 3 fois plus susceptibles d’être victimes d’un homicide
commis par leur conjoint, et les armes à feu n’y sont pas étrangères. La coalition
pour le contrôle des armes à feu soulignait que : « Des études ont montré que la peur qui règne
à la suite de menaces par armes à feu est une raison suffisante pour que des
femmes souffrant de violence conjugale hésitent à partir ou à chercher de l’aide. »
Il refuse toujours de faire une enquête nationale sur les
500 femmes autochtones disparues ou assassinées malgré les appels
internationaux, les demandes de la vérificatrice générale, les critiques qui
fusent de toutes parts et les cris des familles autochtones. Pour ajouter à
l’insulte, en 2010, il a éliminé le financement du projet de base de données de
Sisters in Spirit, un groupe
autochtone qui recensait ces femmes.
L’abolition du
Programme de contestation judiciaire
On ne peut pas dire que le système de justice canadien est
« juste ». Nous le savons, les lois en place dans le cadre d’un État
bourgeois défendent une classe sociale bien spécifique. Le système lui-même
n’est pas accessible pour la majorité de la population en raison du fardeau financier
que représente le droit. Mais notre système de justice a tout de même été un
lieu de bataille privilégié par les mouvements sociaux puisqu’il codifie la
société entière. Résultat, notre droit défend à la fois la sacro-sainte
propriété privée, mais nous avons aussi à notre disposition la charte des
droits et libertés. Que cela ne tienne, en 2006, le gouvernement conservateur a
aboli le Programme de contestation judiciaire qui, pendant des années, a
apporté un soutien financier à des femmes, à des organisations féministes et à
d’autres groupes pour s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir l’égalité en
évoquant l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui
existait depuis 1985. Pourquoi financer le recours aux tribunaux par des
groupes de défense des droits et libertés? Une dépense évidemment superflue
pour notre cher Harper.
Femmes, restez chez
vous!
Notons d’abord qu’il y a moins de femmes en politiques chez
Harper. Les femmes ne représentent que 17 % du caucus conservateur.
Seulement 30 % des personnes qu’Harper a nommées au Sénat sont des femmes.
Le pourcentage des femmes nommées aux quelque 200 tribunaux, conseils, agences
et sociétés d’État du Canada est passé de 37 % à 32,5 % depuis l’arrivée au pouvoir d’Harper en 2006. Beau
bilan!
Cela n’est pas le fruit du hasard. Dans l’idéologie
véhiculée par Harper, la place d’une femme est au foyer.
Par exemple, il a autorisé le fractionnement fiscal des
revenus dans le couple dans ses nouvelles mesures fiscales. Non seulement cette
mesure ne favorise-t-elle que les riches, mais en plus elle constitue une forte
incitation chez les familles aisées pour que les femmes restent au foyer.
Il a aussi abandonné le programme national de garderies pour
le remplacer par une allocation imposable de 100 $ par mois par enfant
d’âge préscolaire. Un autre incitatif pour que les femmes à restent à la maison
puisque les moyens de faire autrement — les garderies — sont de moins en moins
accessibles. En décembre 2008, l’UNICEF a classé le Canada dernier sur 25 pays
industrialisés en matière d’apprentissage et de garde de jeunes enfants.
L’Organisation de coopération et de développement économiques et le Comité des
droits de l’enfant des Nations Unies ont également déploré le manque de
services de garde d’enfants abordables au Canada.
En contrepartie des garderies, Harper à favorisé le recours
à des « aides familiales » pour les familles aisées. Ces milliers
d’aides familiales sous-payées, des femmes venant surtout des Philippines et
des Caraïbes, sont particulièrement vulnérables parce que la réglementation sur
l’immigration exige qu’elles travaillent pour l’employeur nommé sur leur permis
de travail et qu’elles habitent chez cet employeur.
Les femmes ayant un
handicap... de quessé?
On a vu toutes les mesures des Conservateurs contre les
femmes, mais cette violence s’exprime aussi par l’inaction, l’inaction dans ce
cas envers les femmes handicapées.
Le gouvernement Harper ignore les demandes répétées pour
l’élaboration d’une stratégie nationale pour les personnes ayant un handicap
qui répondrait à leurs problèmes de pauvreté, d’exclusion et de
marginalisation. Selon certaines études, les taux généraux de mauvais
traitements, de violence et de négligence chez les femmes ayant un handicap
atteignent 90 %. D’ailleurs, l’élimination du long questionnaire
obligatoire du recensement et de l’Enquête sur la participation et les
limitations d’activités a ruiné le profil statistique que les experts avaient
commencé à élaborer sur les personnes handicapées. De plus, encore une fois, le
financement des groupes de défense des personnes handicapées a été mis en
danger par les Conservateurs.
REAL Women, groupes
religieux et influences idéologiques
Mais de qui Harper prend t-il ses charmants conseils en
terme de politique pour les femmes? Il s’appuie beaucoup sur un groupe du nom
de « REAL Women ». Pour vous donner une idée de ce que défend ce
groupe, il s’est déclaré très satisfait des coupures de 5 millions de dollars à
Condition féminine Canada :
« This is a good start, and we hope that the
Status of Women will eventually be eliminated entirely since it does not
represent ‘women’, but only represents the ideology of feminists. » (C’est
un bon début, et nous espérons que Condition féminine Canada sera
éventuellement éliminé puisque celui-ci ne représente pas les femmes; il
représente plutôt l’idéologie féministe.)
Ce groupe estime que la
famille nucléaire est
l’unité la
plus importante
dans la
société canadienne, et que la fragmentation de la famille
canadienne est une
des principales causes de désordre social. Il fait pression sur le
gouvernement
en faveur
d’une législation pour
promouvoir ce
qu’il croit
être le modèle
judéo-chrétien
de la vie
familiale, et
pour le
soutien des femmes au foyer. Il s’oppose également au féminisme,
à l’avortement,
aux droits des
LGBT et au mariage des
conjoints de même sexe. REAL Women s’est d’ailleurs dit outrager
par les propos du ministre John Baird qui accusait la loi anti-gaie russe
d’être haineuse.
Voilà un des
groupes conseillant Harper. Mais il y en a plusieurs autres. Par exemple, les
lobbys anti-choix ont un accès privilégié aux bureaux du premier ministre. Les
groupes de lobby religieux tel que Defend Marriage Coalition (Coalition
pour la défense du mariage) se
vantent de leur nombre sans précédent à avoir accès au parlement d’Ottawa.
Comme s'est rassurant!