vendredi 25 novembre 2011

Déclaration conjointe des 17 militant-e-s accusé-e-s de complot au G20

Le 22 novembre 2011 - Alors qu’aux quatre coins de l'Île-Tortue nos communautés se tournent vers le courant planétaire d'opposition aux diktats d'austérité, le souvenir des manifestations anti-G20 de juin 2010 à Toronto nous sert autant d’inspiration que de mise en garde.

Nous sommes dix-sept. Dix-sept personnes accusées par l'État canadien d'avoir «conspiré» pour perturber le sommet des «leaders» du G20. Les procureurs de la couronne nous ont attribué l'étrange étiquette de «Principal groupe de comploteurs du G20», ou "G20 Main Conspiracy Group".

Ces accusations de complot ne sont rien d'autre qu'une sinistre farce. Nous n'avons jamais tous et toutes participé à un seul et même groupe, nous n'avons jamais organisé tous et toutes ensemble et, en réalité, nous sommes tous et toutes issuEs d'horizons politiques variés. En fait, certainEs d’entre nous se sont rencontréEs pour la première fois entre les murs de la prison ! Ce que nous partageons par contre, et ce, avec un nombre incalculable de camarades, c'est une passion pour la création de communautés de résistance.

Séparément ou ensemble, nous œuvrons au sein de mouvements opposés au colonialisme, au capitalisme, aux frontières, au patriarcat, à la suprématie blanche, à la discrimination fondée sur les capacités, à l'hétéronormativité et à la destruction de l'environnement et des milieux de vie. Nos mouvements militent en faveur du changement radical et représentent d'authentiques alternatives aux structures de pouvoir actuelles. C'est principalement pour cette raison que nous avons été cibléEs.

Ces accusations, aussi ridicules soient-elles, ont occupé le plus clair de notre temps au cours des dix-huit derniers mois. Malgré cela, il nous aura fallu tous ce temps pour enfin nous exprimer d’une seule et même voix. Ce silence est en partie attribuable aux conditions sévères qui pesaient sur nous, y compris la non association avec nos co-accuséEs et plusieurs de nos alliéEs les plus proches. De plus, ceux et celles d'entre nous qui se sont expriméEs publiquement ont fait l'objet de campagnes d'intimidation de la part de la police et des procureurs. Nous écrivons aujourd'hui parce que nous avons négocié une entente visant à mettre un terme aux poursuites entamées contre nous et hâter la conclusion de cette ridicule comédie.

La stratégie de l'État à l’égard du G20 a été de jeter des filets aussi larges que possible sur tous ceux et toutes celles qui s'étaient mobiliséEs contre le sommet (plus de 1 000 manifestants et manifestantes détenuEs et plus de 300 accuséEs) pour ensuite déterminer celles et ceux qui faisaient, aux yeux de la couronne, figure de leaders. Être accuséE de complot est un cauchemar bureaucratique surréaliste que bien peu de militants et militantes ont eu l’infortune de connaître au Canada jusqu’à présent. Malheureusement, ce cauchemar tend à se répéter. Il nous est impossible d'affirmer avec certitude si ce que nous avons fait constitue ou non un complot ou une «conspiration». Mais en fin de compte, il importe peu que nos actions répondent ou non aux définitions oppressives et hypocrites de la loi. Car il nous semble évident que ces poursuites sont, avant tout, de nature politique. Le gouvernement a sciemment choisi de dépenser des centaines de millions de dollars pour surveiller et infiltrer les milieux anarchistes, les réseaux de solidarité avec les autochtones et les mouvements de justice pour les migrants et migrantes. Après l'aveu d'un investissement aussi démesuré, quelle justice pouvons-nous encore espérer?

Malgré tout, nous n'étions pas complètement impuissantEs dans ce processus. Le peu de prise que nous avons eu sur les négociations est dû à notre rigoureux processus de prise de décision collective. Particulièrement au cours des derniers mois, au fur et à mesure que l'enquête préliminaire laissait place aux transactions visant à en finir au plus vite, cette recherche de consensus est restée pour nous une constante priorité. Cette conversation a été une expérience tour à tour déchirante, épuisante, décevante et inspirante. Mais au final, nous en sommes sortiEs uniEs.

Des dix-sept, six plaideront coupable et les onze autres verront leurs accusations retirées. Alex Hundert et Mandy Hiscocks plaident chacunE coupable à deux accusations d'avoir «conseillé la commission d'une infraction», et Leah Henderson, Peter Hopperton, Erik Lankin et Adam Lewis plaideront chacunE coupable à un chef d’accusation similaire. Nous nous attendons à des peines d'emprisonnement variant entre six et 24 mois, et on nous créditera le temps déjà passé en détention ou en assignation à domicile.

Trois accuséEs impliquéEs dans la même affaire ont déjà vu leurs accusations tomber et un quatrième avait déjà négocié sa sortie sans peine d'emprisonnement supplémentaire. Cela signifie que des 21 personnes initialement comprises dans le «Principal groupe de comploteurs du G20», seulement sept ont été condamnées et aucune n'a été trouvée coupable de complot. Cette proportion de retraits est saisissante et démontre clairement l'absurdité des accusations!

L'ordre dominant opprime de nombreux segments de la population, et en particulier les communautés racisées, défavorisées ou autochtones ainsi que les personnes au statut d'immigration précaire et celles et ceux qui vivent avec des problèmes de dépendance ou de santé mentale. La violence que nous avons subie, y compris les rafles de police au petit matin, les fouilles à nuE, la surveillance et l'incarcération avant procès, s’abat quotidiennement sur ces personnes et ces communautés. Nous avons eu la chance et le privilège d'être soutenuEs tout au long de notre traversée du système judiciaire. Cela inclut l'accès à des garantEs de caution jugéEs «acceptables» et à des moyens financiers pour assurer notre survie quotidienne et notre défense juridique. Même s'il est remarquable que, dans ce cas-ci, l'État ait eu recours à des accusations de complot contre un aussi grand nombre de militants et militantes, il convient de noter également que ces tactiques répressives sont employées quotidiennement contre d'autres communautés persécutées.

Au tribunal, aucune victoire n’est vraiment possible. Le système judiciaire est et a toujours été un instrument politique employé contre les groupes considérés indésirables ou réfractaires à l'État. Ce système existe pour protéger la structure sociale coloniale et capitaliste du Canada. C’est une machine infernale et ruineuse qui brise les accuséEs et les pousse à adopter des solutions égoïstes. Ce système est conçu pour détruire des communautés et transformer des camarades en adversaires.

Dans ce contexte où toute victoire paraît impossible, nous avons déterminé ensemble que la meilleure voie à suivre serait de cerner clairement nos besoins et objectifs et d'explorer nos options en conséquence. La gravité des impacts auxquels nous étions confrontéEs variait d'une personne à l'autre. La première condition sur laquelle nous nous sommes entenduEs à été d'éviter toute déportation. Parmi les autres objectifs que nous poursuivions, nous avons également réussi à minimiser le nombre des condamnations, à respecter le plus possible les besoins individuels de chacunE et à tenir compte de l'impact qu'auraient nos décisions sur les mouvements auxquels nous appartenons. Même si nous renonçons à d’importantes batailles politiques en mettant ainsi fin au procès, cette entente répond à certains des objectifs que nous n'étions pas disposéEs à sacrifier.

Au cours de nos discussions, nous avons toujours pris en considération les conséquences politiques de nos choix. Un des résultats notables est le fait qu'aucune condamnation pour complot ne découle de cette poursuite. Nous évitons ainsi la création d'un précédent juridique qui aurait contribué à criminaliser des tâches aussi importantes que routinières, comme la rédaction de tracts ou l'animation d'assemblées. Cette entente permet également de libérer d’importantes ressources qui ont été trop longtemps accaparées par le processus de défense.

Nous sortons de ce processus uniEs et solidaires.

À celles et ceux qui nous ont accuelliEs dans leurs foyers lorsque nous étions assignéEs à résidence, aux autres qui ont amassé de l’argent pour nos dépenses quotidiennes et nos frais juridiques, à celles et ceux qui ont cuisiné pour nous, nous ont écrit, nous ont offert des lifts et nous ont soutenuEs politiquement et émotionnellement, merci.

À ceux et celles qui sont en prison ou toujours accuséEs suites aux actions anti-G20, aux prisonniers et prisonnières politiques, aux rebelles en lutte, nous sommes toujours avec vous.

Aux communautés et aux quartiers en résistance, du Caire à Londres, de la Grèce au Chili, depuis l'Île-Tortue occupée, et jusqu'à ce que la victoire soit nôtre, on se reverra dans la rue.

(photos prise lors du G20. Elle ne montre pas les signataires de cette lettre)

Aucun commentaire: