jeudi 10 avril 2008

Article francophone parue dans le Rebel Youth (2007)

Afghanistan : Le Canada est en guerre
Alors que la résistance s’accentue, les États-Unis quittent et le Canada s’implique.

Par Marianne Breton-Fontaine


Le 17 mai dernier, le gouvernement de Stephen Harper, non seulement reconduisait la mission canadienne en Afghanistan pour deux années supplémentaire, soit, jusqu’an février 2009, mais acceptait que le Canada y prenne le commandement des opérations. Cela permet aux États-Unis de se dégager d’Afghanistan et de concentrer leurs forces en Irak, où la résistance à l’occupation devient de plus en plus forte.


Aux dires de notre gouvernement

Selon les autorités canadiennes, la mission en Afghanistan n’est pas une mission d’agression mais plutôt une mission d’aide pour le peuple afghan. Les soldats canadiens ont soi-disant pour mandat de sécuriser la région, de soutenir le gouvernement afghan dans ses efforts pour rebâtir le pays, de «promouvoir les politiques et les priorités du gouvernement afghan auprès des autorités locales et à faciliter les réformes dans le domaine de la sécurité.»

Cette mission est dans lignée de la lutte contre le terrorisme menée bien sûr, par le gouvernement étatsunien depuis les tristement célèbres attentats du 11 septembre 2001. Et la participation canadienne n’est pas mineure : «Dans le cadre de la Force opérationnelle Afghanistan (FOA), environ 2 300 membres des Forces canadiennes sont déployés en Afghanistan au sein de la rotation un (ROTO 1) de l’engagement canadien renouvelé envers la campagne internationale contre le terrorisme, Opération ARCHER». Pour fin de comparaison, notons qu’il y a en ce moment seulement 59 militaires canadiens engagés dans diverses missions de l’ONU.

Le gouvernement canadien se donne beaucoup de mal pour présenter cette opération militaire comme légitime et pacifique. Il s’appuie notamment sur cette image, que le Canada tend malheureusement à perdre avec sa politique étrangère proche des États-Unis, de pays pacifiste ne faisant que des missions de paix avec les casques Bleus de l’ONU. Les ONGs travaillent d’ailleurs en étroite collaboration avec les forces armées pour maintenir cette impression : «L’engagement militaire du Canada en Afghanistan s'appuie sur la réussite de nos opérations de soutien de la paix et vise à renforcer la sécurité dans ce pays.»(1)

Mais la réalité est bien différente. Il s’agit bel et bien de l’invasion d’un pays étranger, d’une déclaration de guerre. Loin d’être une force de paix, le Canada est devenu belliqueux, comme le prouve d’ailleurs son récent refus de réclamer un cesser-le-feu dans le cas de l’agression israélienne contre le Liban. Le Canada est en guerre et c’est lui l’agresseur! Et comme dans toute guerre, il y a une résistance, des blessés et des morts. Les troupes canadiennes font véritablement partie d’une force d’occupation militaire sous l’égide de l’OTAN.


Triste réalité afghane

Loin d’être la soi-disant mission d’aide, les troupes de la coalition n’arrivent pas ramener cette sécurité tant évoquée dans leurs discours de propagande. Ce sont encore les armes qui mènent et on semble être plus proche d’une «fusilocartie»* que d’une démocratie. Les seigneurs de la guerre gouvernent presque le pays entier. Ils imposent leurs lois, leurs taxes et leurs vue grâce à leurs nombreuses milices, beaucoup plus puissantes que les faibles autorités locales. Même les soldats étrangers n’en arrivent pas à bout. Mais de toute manière, ce ne sont pas ces potentats locaux que chassent le Canada ou les États-Unis, mais les Talibans et tous ceux qui résistent à l’invasion. On tente donc plutôt de calmer leur ardeur guerrière. Ces seigneurs faisant aussi la guerre entre eux, le peuple lui, ne ressent pas beaucoup la tranquillité et la paix que promettaient d’apporter les étrangers. Le gouvernement d’Hamid Karzaï essaie tant bien que mal d’affaiblir ces souverains régionaux avec des nominations par-ci par-là, mais l’autorité lui échappe toujours.

De plus, l’économie se nourrit actuellement de la culture illégale du pavot dont on tire l’opium et l’héroïne. Avec le régime Taliban, cette culture avait presque été éradiquée. Elle était passée de 3 276 tonnes à 185 tonnes, soit une diminution de 94%. Mais depuis leur chute, cette culture est en expansion phénoménale. De ces 185 tonnes elle a atteint, seulement en 2002, c’est-à-dire un an après le début de la guerre, 3 400 tonnes (2) par an ! L’Afghanistan est donc redevenu avec l’invasion des alliés le leader mondial dans la culture de cette drogue. Et pourtant, le gouvernement de Tony Blair disait en 2001 pour justifier sa collaboration avec les États-Unis que «Les armes que les Talibans achètent aujourd'hui sont payées avec les vies de jeunes Britanniques qui achètent leur drogue dans les rues britanniques. C'est une autre partie de leur régime que nous devons tenter de détruire.»(3) Belle réussite !

Que dire aussi des droits des femmes ? Ils n’ont guerre progressé sauf peut-être un peu sur papier. À cause du pouvoir des seigneurs de la guerre qui contrôlent une bonne partie du pays, les directives du nouveau gouvernement afghan ne se concrétisent pas. Selon un rapport de l’ONU, trois ans après la fin des Talibans, on constatait que les femmes, qui forment 48,2% de la population, avaient une espérance de vie de 44 ans, soit un an de mois que leurs homologues masculins et que les taux de mortalité infantile et maternelle restaient très élevés.(4) On les traite aussi toujours comme des citoyens de seconde zone et il y a encore un million de femmes qui n’ont pas accès à l’éducation. Les mauvais traitements sont toujours monnaie-courante tout comme le viol, la servitude, les mariages forcés, l’analphabétisme, la malnutrition, la pauvreté et l’exclusion. En bout de ligne, si cette invasion devait servir la cause des femmes, elle a encore échoué à ce niveau.


«Le Canada d’abord»

Si on ce fie à ce qui a été dit durant le débat exploratoire d’avant le vote du 17 mai, ce ne serait non pas la sécurité des afghans qui préoccupent notre gouvernement, mais bien celle du Canada. «Notre conception de cette opération en Afghanistan peut se résumer en trois mots : "Le Canada d'abord". La première stratégie de défense du Canada vise à protéger notre pays des menaces intérieurs et étrangères. Cela signifie qu'il faut aller en Afghanistan pour contrer les terroristes qui sont formés là-bas, car ces terroristes n'hésiteront pas à franchir les frontières et même les océans.»(5) C’est du moins ce qu’affirme Gordon O’Connor, ministre de la défense canadienne.

Or, les agissements du Canada font tout sauf canaliser les risques potentiels. Alors qu’on affirmait avoir une approche différente de celle des États-Unis, une approche plus humaine et pacifique, on a plutôt tendance à croire le contraire en voyant dans les média des militaires faire des menaces a un vieil homme ou encore en payer d’autres pour obtenir des informations.(6) Les forces armées canadiennes semblent plutôt se couper de la population qui les voit de plus en plus non comme des libérateurs, mais comme des envahisseurs à renvoyer chez eux.

De plus, l’arrivé de nombreux occidentaux et le retour de la diaspora afghane perturbent grandement les choses. L’inflation est grande et le pauvre peuple afghan voit ses moyens pour vivre diminuer de jour en jour. Alors que les «envahis» vivent dans la misère, les riches étrangers viennent s’installer chez eux, dictant la conduite du pays. Dans les conversations, on entend souvent des propos qui expriment le malaise à l’effet que… « sous les talibans, au moins, tous étaient pauvres et que le pouvoir n’était pas dominé par des gens parachutés d’un autre monde.» (7) Cette frustration est cultivée par les groupes fondamentalistes contre ces «infidèles» et sert à rallier une couche de la population qui, auparavant, n’aurait pas adhéré aussi facilement aux extrémistes. Cette dynamique cultive la haine et la violence à l’encontre des troupes occidentales.

Au moment où les violences montent en Afghanistan, une violence semblable à celle qui gronde en Irak, le Canada réitère son engagement dans ce pays et les États-Unis en profitent pour quitter. Les récents attentats-suicides non rien pour rassurer. Le Canada ne risque-t-il pas de s’enliser dans un conflit à long terme?

C’est peut-être cette question qui a perturbé les Pays-Bas, un autre grand joueur de la coalition. Ce pays hésite à envoyer les troupes supplémentaires requises à cause de l’insécurité grandissante et de ces attentats qui semblent être copiés sur le modèle irakien. (8) Rien pour rassurer sur l’avenir de cette occupation.

Évidemment, cet engagement est une façon pour le gouvernement Harper de racheter le Canada auprès de l’administration Bush après son refus officiel de l’appuyer en Irak. Rien pour nous rassurer pour notre avenir non plus.

En plus du coût énorme en vies humaines, de telles opérations ont aussi un coût financier. De 2002 à aujourd’hui, le Canada a dépensé pas moins de 4,1 milliards de dollars et compte augmenter sa participation dans ce pays. Et le résultat ? Où en sont les avancements pour la liberté et la démocratie dans ce pays alors que la résistance s’organise, que les seigneurs de la guerre font la loi et que les «dommages collatéraux», des vies humaines, sont énormes ?

Il faut impérativement nous opposer à la guerre en Afghanistan et faire reculer le gouvernement Harper sur ses positions. Si dans le cas de la guerre en Irak, la population mobilisée en masse à réussi à imposer sa position aux autorités, il est aussi possible de le faire pour l’Afghanistan. De toute manière c’est la poursuite de la même lutte, puisque si on laisse le Canada prendre les choses en main dans ce pays pour laisser les mains libres à Bush en Irak, l’opposition populaire n’aura réussit finalement qu’à leur faire faire un petit détour sans les empêcher d’arriver à leurs fins.
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1) Site des forces armées canadiennes, http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=1703

2) Afghanistan Opium Puppy Survey 2002, Octobre 2002, www.unodc.org

3) Citation de Tony Blair, www.biogs.com/controversy/blairspeech.html

4) EDITO : Afghanistan 2005 : Journée Internationale de la Femme, http://www.afghana.org/html/article.php?sid=1215

5) Le Devoir, Mission afghane: un vote déchirant, Harper a coincé l'opposition en réclamant le feu vert jusqu'en 2009, Hélène Buzzetti, 17 mai 2006, http://www.ledevoir.com/2006/05/17/109394.html?333

6) Téléjournal le Point de Radio-Canada, Reportage du 22 Juin 2006, 6 minutes 41 secondes, http://www.radio-canada.ca/actualite/v2/tj22h/?r=3

7) Le Monde Diplomatique, L’Afghanistan abandonné aux seigneurs de la guerre, Farhad Khosrokhavar, Octobre 2004, http://www.monde-diplomatique.fr/2004/10/KHOSROKHAVAR/11583

8) La Grande époque, Le Canada poursuit son engagement en Afghanistan malgré les attaques récentes, Noé Chartier, 24 Janvier 2006 http://french.epochtimes.com/news/6-1-24/3400.html

* Mot employé dans l’article du Monde Diplomatique (7)

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