Publié le vendredi 11 mai 2012 à 09H44 -
Une étudiante face à la police devant le lieu où le
parti libéral du Québec tient son congrès annuel, le 5 mai 2012 à
Victoriaville
Le mouvement de contestation étudiant sans précédent au Québec déborde le seul cadre scolaire et permet à une génération d'apparaître à l'avant-scène de la vie politique pour tenter de sauvegarder les acquis sociaux-démocrates minés par le tout-économique.
Qui a dit que les jeunes étaient des créatures nombrilistes, égocentriques, peu intéressés par la politique? Certainement pas les quelque 170.000 étudiants en grève depuis 13 semaines contre la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement du Premier ministre québécois Jean Charest.
Le conflit étudiant s'est métamorphosé en crise sociale, surnommée "printemps érable", un clin d'oeil reliant le printemps arabe au symbole national canadien.
"En ce moment au Québec, et dans le monde, il y a une crise économique, une crise écologique, une crise politique - la désaffection et le cynisme n'ont jamais été aussi grands en Occident - une crise de sens, et nous comme génération on se retrouve avec toutes ces crises-là à gérer", explique à l'AFP Gabriel Nadeau-Dubois, 21 ans, porte-parole de la CLASSE, le plus important mouvement étudiant sur le terrain.
"Vous nous donnez un monde qui n'est pas si beau que ça, laissez-nous au moins l'améliorer en allant aux études", ajoute l'étudiant en histoire au regard perçant, presque devenu l'ennemi public numéro un du gouvernement au fil du conflit.
Les mouvements étudiants et le gouvernement ont signé samedi dernier un accord de principe prévoyant une hausse de 82% sur sept ans des droits de scolarité pour les porter à près de 4.000 dollars par année, plus près de la moyenne canadienne (5.200 dollars).
En contrepartie, les frais annexes imposés par les universités devaient être réduits en fonction d'économies qui pourraient être identifiées par un comité qui examinera la gestion des établissements. Mais le gouvernement a laissé planer un doute sur la faisabilité de ces réductions. Et les étudiants en grève ont rejeté le plan de sortie de crise.
Résultat, une relance de la mobilisation. Les étudiants organisent rapidement, spontanément, des manifestations, grâce aux médias sociaux. Mais il y a plus, leur mouvement a fait sien les principes de démocratie participative avec des assemblées locales où les étudiants peuvent participer aux décisions. "Le niveau d'engagement, de motivation, est donc beaucoup plus élevé", constate Marcos Ancelovici, spécialiste des mouvements sociaux à l'Université McGill.
Au Québec, les grands moments de mobilisation sociale ont été associés par le passé à la cause de l'indépendance de la province francophone de huit millions d'habitants. Or, le conflit étudiant, dit-il, "consolide" un mouvement de mobilisation "qui n'est plus subordonné à la question nationale".
La mobilisation étudiante s'inscrit davantage dans la lignée de la fronde en 2001 contre le Sommet des Amériques à Québec, de la grève étudiante de 2005 pour le maintien des bourses d'étude et du mouvement "Occupons" à l'automne, insiste-t-il.
"Il y a une sorte de ras-le-bol par rapport à une vision, un discours, celui du néo-libéralisme où on veut transformer la vie sociale en marché", renchérit Jacques Hamel, sociologue à l'Université de Montréal.
"Bourdieu serait ravi", lance ce proche du célèbre intellectuel français mort il y a dix ans. "Il manifesterait son appui aux étudiants et dirait: votre lutte est une lutte de civilisation pour essayer de sauvegarder les services publics qui sont les acquis de la société industrielle et qu'on cherche aujourd'hui à ruiner", dit-il à l'AFP.
Si les taux d'insatisfaction demeurent très élevés contre le gouvernement libéral de Jean Charest, une majorité de Québécois restent favorables à la hausse des droits de scolarité, selon les sondages.
Peu importe l'issue du conflit, c'est une "socialisation politique accélérée pour beaucoup de jeunes qui auront acquis des compétences, un savoir-faire militant, une certaine prise de conscience de l'action collective", souligne M. Ancelovici. "C'est bon pour la démocratie, c'est bon pour le Québec".
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