mardi 6 décembre 2011

Un recul tragique, 22 ans après le massacre à la Polytechnique



Sur cette photographie, la Fédération des femmes du Québec avait manifesté devant la Polytechnique pour dénoncer la violence et rappeler le 21e anniversaire de la tuerie, le 6 décembre 1989. Quatorze étudiantes ont perdu la vie. La fusillade a déclenché un mouvement pancanadien afin d'améliorer nos lois sur le contrôle des armes à feu. Cette année, le gouvernement conservateur veut abolir le registre des armes d'épaule. Il y aura un rassemblement aujourd'hui à 12h00 devant le palais de Justice.

Article de la Presse
Nathalie Provost

Le 6 décembre 1989 demeurera à jamais le jour le plus sombre de ma vie. Ce fut celui lors duquel j'ai été atteinte par quatre balles tirées d'une carabine semi-automatique, alors que six de mes camarades de classe plus gravement blessées sont décédées à mes côtés. En tout, 14 jeunes femmes ont été tuées et 13 autres étudiants ont été blessés par un homme en colère avec une arme non-restreinte acquise légalement.
La fusillade à l'École Polytechnique a déclenché un mouvement pancanadien afin d'améliorer nos lois sur le contrôle des armes. Au sixième anniversaire de l'événement, en décembre 1995, nous avons au moins été en mesure de célébrer l'introduction d'un système de permis pour tous les propriétaires d'armes ainsi que l'enregistrement de toutes les armes à feu. Et lors de chaque anniversaire depuis, nous avons puisé un peu de réconfort dans la réduction progressive du nombre de décès causés par des armes à feu.

Mais pas cette année.

Ce 22e anniversaire du massacre sera la pire journée depuis la tragédie pour de nombreux témoins et survivants tels que moi. Un des résultats les plus positifs et mesurables de la tragédie celui qui a pu rassurer les familles que leurs filles ne sont pas mortes en vain est en train d'être éviscérée par un gouvernement insensible, borné et idéologique.

Sabotage

À l'encontre de toutes les principales organisations de police, de santé publique et de victimes, les conservateurs se hâtent à faire adopter le projet de loi C-19.

Abolir le registre des armes longues et détruire toutes les données sur les 7,1 millions de carabines et de fusils de chasse ne seront pas les seules conséquences de cette loi. Elle va également supprimer l'obligation pour les vendeurs de vérifier si un acheteur détient un permis valide à cette fin, sabotant du coup les dispositions relatives aux permis qui visent justement à s'assurer que les armes d'épaule ne sont vendues qu'aux individus autorisés.

Il y a moins de deux semaines, alors que je témoignais devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale à Ottawa avec Heidi Rathjen, j'ai demandé aux députés conservateurs de s'abstenir, au moins durant le court instant où je paraissais devant eux, de s'abstenir de ressasser leur rengaine hautement méprisante comme quoi les armes d'épaule ne constituaient pas un enjeu de criminalité.

Je leur ai rappelé que la police utilise le registre tous les jours afin de confisquer les armes d'épaule de propriétaires dont le permis a été révoqué pour des raisons de sécurité publique et ce, plus de 2000 fois par année. Et que ces interventions ont coïncidé avec une réduction de 64 % au niveau des femmes abattues généralement par un partenaire intime.

Après notre témoignage, les députés conservateurs nous ont complètement ignorées, de même que nos propos.

Les femmes, victimes ?

Le premier à interroger les témoins a été le député conservateur Ryan Leef. Voici la question qu'il a adressée au chasseur à côté de nous : « Les femmes qui sont propriétaires d'armes et qui ont décidé qu'elles n'allaient pas se soumettre à ce registre et ne les ont pas enregistrées transformant ces Canadiens respectueux des lois en criminels et victimisant du coup les femmes en milieu rural, Conviendriez-vous que nous ne voulons pas courir le risque de victimiser ces femmes davantage ? »

Vraiment ? ! Des femmes victimes du registre ?

Je n'en croyais pas mes oreilles.

Les députés conservateurs ont également ignoré toute la question de l'affaiblissement du système des permis pour possession d'armes. Avec le projet de loi C-19, plus besoin de montrer de permis pour acheter une arme d'épaule. Il y aura moins de contrôle pour l'achat d'armes à feu que pour l'emprunt d'un livre : au moins à la bibliothèque, il faut montrer sa carte de membre !

À l'américaine

Face à ce constat, la députée Candice Hoeppner a ridiculement réitéré l'appui supposément indéfectible des conservateurs pour les permis de possession, allant même jusqu'à dire qu'elle croit « fermement que nous devons renforcer le processus des permis ». Ceci, alors que le projet de loi qu'elle défend rend ces mêmes dispositions inopérantes.

Voilà toute l'approche des conservateurs pendant le débat sur C-19 : ignorer les faits, mépriser la science, discréditer les experts, se baser sur des arguments imbéciles, détourner l'attention.

Avec le projet de loi C-19, le gouvernement nous dirige de façon irréversible vers une culture à l'américaine où la possession d'armes l'emporte de toutes parts sur la sécurité publique.

Mais tout n'est pas terminé. Si, lors de ce 22e anniversaire de la tragédie à l'École Polytechnique, les citoyens s'en offusquent assez bruyamment et si les leaders d'opinion soulignent les failles et les dangers de la position du gouvernement, alors peut-être qu'un nombre suffisant de sénateurs conservateurs opteront pour la bonne décision en votant contre le projet de loi C-19.

La sécurité des générations futures au Canada en dépend.

L'auteure était une victime de la tuerie de Polytechnique, à l'Université de Montréal.

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