vendredi 23 septembre 2011

La responsabilité canadienne dans la partition de la Palestine

Article de L'AUT'JOURNAL
23 septembre 2011
Pierre Dubuc

Lester B. Pearson présidait le Premier comité sur la Palestine de l’ONU avec pour mission de développer les propositions pour un règlement politique et qui sera à l’origine du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine créé en mai 1947. Le Canada faisait partie des onze pays « neutres » siégeant sur ce comité boycotté par les pays arabes. Le représentant du Canada sur ce comité était le juge de la Cour suprême Ivan C. Rand – célèbre pour son jugement qui reconnaissait aux syndicats le droit de prélever des cotisations (formule Rand) – lequel était sympathique au sionisme. Dans son livre The Black Book of Canadian Foreign Policy (Red Publishing), le journaliste Yves Engler soutient que le juge Rand a été un des principaux promoteurs de la partition et un opposant à la solution d’un État unitaire juif-arabe.

Après que le Comité eût produit des rapports majoritaire et minoritaire, on mit sur pied un comité ad hoc spécial pour trouver une solution sous la présidence de Lester B. Pearson, alors sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Ce dernier joua un rôle central pour imposer la solution de la partition, si bien que des groupes sionistes le surnommèrent le « Lord Balfour du Canada » ou encore le « rabbin Pearson ». Dans de State in the Making, cité par Yves Engler, David Horowitz, premier gouverneur de la Banque d’Israël, écrit : « Lester B. Pearson a été la force dynamique, celui qui a montré le chemin. Son appui aux forces pro-partition a été un point tournant. Son influence, en tant qu’une des personnalité les plus prestigieuses de l’ONU, a été considérable. On peut affirmer que le Canada plus que tout autre pays a joué un rôle décisif lors des différentes étapes des débats sur la Palestine. »

Le 17 octobre 1947, le Canada fait effectivement partie du groupe de 14 pays qui approuvent le principe de la partition, alors que 13 autres pays s’y opposent. Le Canada appuie un plan qui accorde au nouvel État juif la majeure partie de la Palestine bien que la population juive ne possédait que 6% du territoire et ne représentait que le tiers de la population. Yves Engler explique dans son livre que ce n’est pas une soudaine sympathie pour le peuple juif qui amène le gouvernement canadien à adopter une telle position. Ce n’est pas non plus, comme on l’a affirmé dans certains milieux, la force du lobby juif qui aurait forcé la main du gouvernement canadien. Dans le livre Non Too Many, cité par Yves Engler on relate l’inhabilité de la communauté juive à renverser les politiques d’immigration anti-sémites du Canada avant, durant et immédiatement après la Deuxième guerre mondiale. Entre 1933 et 1945, le Canada a accepté moins de 5 000 réfugiés juifs.

En fait, c’est l’anti-sémitisme de la classe dirigeante canadienne qui explique en partie le soutien à la création d’Israël. À Ottawa, tout comme à Washington et dans d’autres capitales, la création de l’État d’Israël permettait de rediriger vers cette partie du monde le flot de réfugiés qui frappaient à leurs portes. Mais, selon Engler, plus encore que la question de l’immigration, ce sont des considérations géo-politiques qui expliquent le mieux la position canadienne. Le Canada était très préoccupé par la mésentente entre la Grande-Bretagne et les États-Unis à propos de la Palestine, qui risquait de favoriser l’URSS, un des premiers pays à reconnaître l’existence d’Israël, précisément pour profiter de la dissension entre les deux pays anglo-saxons et l’accentuer si possible. Il est important de rappeler que les relations étaient à ce point tendues entre la Grande-Bretagne et les États-Unis au lendemain de la guerre, qu’un courant au sein de la direction soviétique spéculait sur le déclenchement d’un conflit armé entre les deux pays. L’Angleterre voyait son empire lui échapper, alors que les États-Unis essayaient de la remplacer comme puissance impériale dans les anciennes colonies. Au Moyen-Orient, l’Angleterre, bien qu’elle ait approuvé la création d’un État israélien dès 1917 avec la Déclaration Balfour et qu’elle s’était vu confié par la Société des Nations un mandat en ce sens, se faisait maintenant tirer l’oreille de crainte de s’aliéner les pays arabes et de compromettre son approvisionnement en pétrole. Dans cette passation des pouvoirs entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, dans ce changement d’empire, le Canada, et plus particulièrement Lester B. Pearson allaient joué un rôle clef.


(extrait de Michael Ignatieff, au service de l’empire. Une tradition familiale. Éditions Michel-Brûlé)

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