mardi 3 mai 2011

Élections Canada 2011 - Les Conservateurs ont verrouillé les portes de l’accès à l’égalité Voterez-vous pour des misogynes ?

par Micheline Carrier

Des analystes estiment que le Parti conservateur du Canada pourrait obtenir la majorité des sièges à la Chambre des Communes au scrutin du 2 mai prochain. Pour les femmes, soit la moitié de l’électorat, c’est le pire scénario possible. Minoritaire, le gouvernement conservateur n’a cessé de démontrer son hostilité pour ce qui a trait à l’égalité des femmes. Majoritaire, il aurait alors le champ libre pour terminer son œuvre de démolition et anéantir des décennies de luttes féministes.

Au cours de cette campagne électorale, je n’ai pas vu de grand déploiement pour séduire l’électorat féminin. Aucun parti ne s’est donné la peine même de feindre un réel intérêt à l’égard de l’amélioration des conditions de vie des femmes. Certains programmes politiques comportent bien un chapitre écrit sur la condition féminine, mais la majorité des candidat-es l’ont gardé presque confidentiel, n’y faisant allusion que du bout des lèvres. Prononcer le mot femmes ici et là dans des discours publics ne fait pas foi d’un engagement. La majorité des candidat-es et des chefs de partis ont placé la question des femmes, quand ils en ont parlé, dans le cadre de la famille. Les débats télévisés ont passé outre le véritable saccage par les Conservateurs des programmes d’aide à la promotion des femmes. Cette indifférence dénote que les partis ne croient pas indispensable l’appui des femmes au scrutin du 2 mai. Par contre, ils ont courtisé activement les communautés culturelles dont ils reconnaissent avoir besoin.

L’impasse sur un travail de sape

Si les partis d’opposition avaient voulu embarrasser les Conservateurs en matière de condition féminine, ils auraient eu le choix des exemples. Mais ils s’exposaient, ce faisant, à ce qu’on leur rappelle que les Conservateurs, minoritaires, ont pu faire adopter leurs politiques « idéologiques » en éliminant plusieurs mesures et programmes destinés à la promotion des femmes seulement parce qu’ils ont obtenu l’appui de député-es de l’opposition. Le gouvernement conservateur a entrepris de museler les groupes de femmes en subordonnant l’octroi de subventions à l’obligation de les utiliser uniquement pour des services directs, non plus pour de l’éducation, de la formation, de l’action politique, des activités de sensibilisation, la promotion des droits, activités inutiles aux yeux du gouvernement conservateur. Des groupes oeuvrant depuis des décennies pour les droits des femmes ont dû fermer leurs portes. Par contre, des groupes sans aucune connaissance de la condition féminine, par exemple des organisations à vocation religieuse ou commerciale, peuvent obtenir des subventions pour dispenser des services aux femmes... À même les fonds publics, les Conservateurs s’assurent donc de satisfaire leurs amis, tout en contrôlant les associations qui heurtent leurs valeurs, notamment celles qui militent en faveur de l’accès à l’avortement.

Le gouvernement Harper a réduit de 43% le budget de fonctionnement de Condition féminine Canada et fermé 12 de ses 16 bureaux régionaux. Il a annulé le Programme national d’investissement dans les services de garde. Il a nié le droit des femmes à l’équité salariale dans la Fonction publique en adoptant la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public qui oblige les femmes à présenter leurs plaintes seules, sans le soutien de leurs syndicats. Cette loi impose même une amende de 50 000 $ aux syndicats qui encouragent ou aident leurs membres à déposer une plainte en matière d’équité salariale.

Pour s’assurer que les individus et les groupes peu fortunés ne puissent se défendre efficacement, le gouvernement Harper a verrouillé d’autres portes d’accès à l’égalité. Il a aboli en 2006 le Programme de contestation judiciaire, qui accordait une assistance financière aux personnes ou aux groupes qui voulaient défendre leur droit à l’égalité devant les tribunaux. Du gaspillage, a dit Stephen Harper, comme est du gaspillage à ses yeux le registre des armes à feu. Gaspillage, dites-vous ? Combien les contribuables canadiens ont-ils dépensé, par la volonté de Stephen Harper, pour les trois jours du sommet du G8 et du G20 en Ontario, en juin 2010 ? À combien de milliards en est le Canada dans son engagement en Afghanistan ? Où a-t-il trouvé l’argent pour réduire du tiers les impôts des grandes entreprises ? Sans compter les milliards pour l’achat d’avions militaires et les fonds quasi-illimités destinés à l’armée.

L’avortement, le front le plus vulnérable

Si le parti conservateur est réélu avec une majorité de sièges, lundi prochain, le danger le plus grand pour les femmes canadiennes se fera sentir sur le front de la santé maternelle et du droit à l’avortement, selon la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada. Depuis quatre ans, des députés conservateurs liés à des groupes anti-choix ont présenté plusieurs projets de loi visant à criminaliser à nouveau l’avortement et à en limiter l’accès. Ils ont obtenu l’appui d’une vingtaine de député-es libéraux, un appui dont ils n’auront pas besoin si leur parti est majoritaire le 2 mai. (Voir la liste* des député-es antichoix). L’organisme Match International, qui s’occupe de la formation des femmes dans les pays en voie de développement, a perdu une subvention de 400 000 $ le jour même où il a critiqué la politique du gouvernement Harper en matière de santé maternelle. Des exemples de ce genre se sont ajoutés depuis et risquent de se multiplier, car le programme d’aide à la santé maternelle administré par le Canada exclut les organismes qui offrent des services d’avortement ou font la promotion de l’avortement sécuritaire et gratuit.

Je n’ai pas le moindre doute qu’un gouvernement conservateur majoritaire puisse prendre tous les moyens, y compris modifier les lois en profondeur, afin d’expédier en prison d’autres Morgentaler, des femmes qui ont avorté et même des hommes qui seraient soupçonnés d’avoir encouragé ou contraint leur conjointe à avorter. Les femmes qui ont l’âge de se souvenir des premières et difficiles luttes pour l’accès à l’avortement libre, gratuit et pratiqué dans des conditions sûres ne peuvent qu’éprouver une vive inquiétude à l’idée que l’énergie, le temps et les souffrances passés soient anéantis d’un coup par des individus bornés qui, sous l’emprise d’influences religieuses, cherchent à imposer leurs valeurs à l’ensemble de la société. Par ailleurs, ces chevaliers de la vie à tout prix rêvent de rétablir la peine de mort et sont prêts à juger des adolescent-es selon des critères d’adultes.

Ce n’est pas un homme de cœur et d’équité que nous avons pour premier ministre, c’est un homme qui se conduit comme un général que le goût immodéré du contrôle pousse à mettre tout le monde au pas.

Au chapitre de la justice et des droits civils, le parti conservateur de Stephen Harper est le plus dangereux que le Canada ait connu. Il ne respecte pas les règles parlementaires et démocratiques, il prend des libertés avec les jugements de cour, il modifie les lois selon les influences idéologiques qu’il subies. Alors, les droits de la personne ne sauraient peser lourd pour ce parti. C’est un secret de polichinelle que plusieurs députés conservateurs et leurs suppôts religieux souhaitent modifier les lois contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur le sexe. Ils feront tout pour annuler la loi sur le mariage entre personnes du même sexe et pour lancer une chasse aux sorcières ces personnes. Ils ont déjà coupé les subventions à des groupes d’aide aux gais et aux lesbiennes.

La clé économique

L’autonomie économique des femmes est un autre domaine menacé par un gouvernement conservateur, qu’il soit minoritaire ou majoritaire. Une sécurité financière minimale est une clé de l’autonomie personnelle et, souvent, une condition sine qua non pour se soustraire à la violence en milieu familial, un autre domaine dans lequel le Canada affiche un bilan lamentable. Refus de l’équité salariale dans les services publics, mesures décourageant l’autonomie financière et la présence des femmes sur le marché du travail, par exemple la promesse de fractionner le revenu familial ainsi que l’absence d’un réseau national de services de garde, pauvreté accrue chez les femmes en général et particulièrement quand elles vieillissent, abandon des femmes autochtones pauvres et victimes de la violence, discrimination dans le régime d’assurance-emploi auxquelles toutes les travailleuses contribuent mais dont une minorité seulement tirent avantage en période de chômage, régimes de retraite inadaptés aux besoins, ce ne sont là que quelques exemples de la fragilité de la situation économique des femmes qui pourrait empirer si le gouvernement conservateur obtenait une majorité.

Allons-nous vraiment voter pour cela ?

Il me semble judicieux de suivre le conseil des promoteurs du « vote stratégique » : voter pour qui on veut, sauf un candidat conservateur. Dans chaque circonscription, voter pour le candidat ou la candidate valable qui a le plus de chances de battre un-e candidat-e du Parti conservateur. Ce serait une nuisance de moins à la Chambre des Communes.

* Liste des députés conservateurs et libéraux anti-choix.

Je vous invite à consulter l’ensemble du dossier sur les élections fédérales vues par des femmes dont les articles de sources diverses ont alimenté cette synthèse. Rubrique : Élections Canada 2011

- "Ne faites pas de la politique partisane avec la vie des femmes"

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 avril 2011


- Lire l’article de Marie-Andrée Chouinard, "Mesdames, votre vote !", dans Le Devoir, le 28 avril 2011.

© Sisyphe 2002-2011 : http://sisyphe.org/spip.php?article3862

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