C’est en grande pompe que les vainqueurs de la Coupe du monde ont été accueillis à Paris. Avec un défilé digne des 14 juillets, avions militaires et une foule en liesse, l’euphorie générale gagne l’ensemble de la population. Les titres des journaux sont sans équivoque: la victoire des Bleus, c’est la victoire de toute une nation, dans le même esprit qu’il y a vingt ans, date à la quelle l’équipe « black - blanc - beur » avait décroché sa première victoire en Coupe du monde devant le Brésil.
Cette euphorie est même entretenue par le Président Macron qui, l’espace d’un instant, n’a pas à s’expliquer sur ses politiques de casse sociale ni sur les attaques frontales contre les syndicats qu’il enchaine depuis son accession au pouvoir. Vociférant comme lors de son fameux discours sur « notre projet », il s’est adressé à l’équipe des bleus en faisant l’apologie d’une France où tous ont la chance d’êtres les meilleurs, les gagnants. À écouter le Président-banquier (ou banquier-Président, c’est selon), ces jeunes sportifs nous rendent fiers d’être français.
Pour entretenir le mythe de l’égalité des chances et d’une France multicolore et harmonieuse, étaient présents à la cérémonie plusieurs jeunes des banlieues dont sont issus la majorité des joueurs de l’équipe de France (environ 70% d’entre eux, pour être précis).
Pourtant, la vérité, c’est que même si des jeunes de cités et de banlieues populaires, dont la grande majorité sont fils d’immigrés ont pu revêtir le maillot de l’équipe de France et être considérés sur le terrain comme des « bleus », la discrimination elle, continue. Une seule couleur peut-être sur le terrain, mais dans la rue? Comme en témoignent l’affaire Théo et plusieurs autres, la discrimination dans les cités est un fardeau avec lequel les jeunes français d’origine immigrée doivent composer au quotidien.
Au-delà de la question du double standard au regard des jeunes de banlieue cependant, il y a aussi cette vision élitiste de la réussite, comme si le fait que l’équipe de France gagne la Coupe du monde soit en mesure d’effacer la réalité à un impact beaucoup plus cinglant sur les jeunes des milieux populaires: celle du sous-financement des clubs sportifs et, par conséquent, à un accès des plus élitistes à la pratique régulière du sport.
Dans une entrevue publiée dans le journal progressiste l’Humanité, Marie-Georges Buffet, ancienne ministre des Sports et ancienne Secrétaire générale du PCF affirme que: « avec la victoire, des milliers de petites filles et de petits garçons vont vouloir s’inscrire au foot, mais les clubs amateurs n’ont plus les moyens de les accueillir. Pour l’instant, le ministère des Sports dispose d’une ligne budgétaire de 400 millions d’euros. Ce n’est rien: elle doit être multipliée par deux dans les six ans [à venir]. Les communes doivent aussi avoir les moyens, par une dotation digne de ce nom, de réaliser les équipements sportifs nécessaires avec l’aide de l’État. Quant à l’encadrement, il y a bien sûr les bénévoles, mais on a aussi besoin d’emplois associatifs qualifiés. » Elle poursuit en soulignant qu’il existe une disparité de revenus énorme entre les différents clubs, notamment entre ceux qui bénéficient de rentrées financières grâce aux droits télévisuels dont ils disposent lorsque leurs matchs sont télévisés, une situation à laquelle elle avait tenté de remédier en instaurant une taxe afin de garantir une certaine « mutualisation » des ressources entre différents clubs sportifs. Or, cette taxe a été plafonnée cette année par le gouvernement actuel.
Que la France célèbre sa victoire au mondial, c’est normal en quelque sorte. Mais la vérité, c’est que les vrais gagnants de cette coupe du monde, ce ne sont pas les Françaises ni les Français. Ce n’est pas non plus le système permettant un accès universel et démocratique au sport. Ce ne sont pas non plus les jeunes de banlieue. Le vrai gagnant de la Coupe du monde c’est, et ce l’aurait été dans tous les cas, eu égard au pays vainqueur, le foot business, l’industrie sportive, une industrie moderne, mondialisée et financiarisée, comme toute industrie dans le monde capitaliste d’ailleurs. Les grands gagnants de cette coupe du monde, n’en déplaise à Emmanuel Macron, ce sont les grands clubs de foot dont font partie le Paris St-Germain, aux capitaux qataris ou l’Olympique de Marseille, autrefois propriété du magnat Bernard Tapie.
Une fois la victoire consommée, la vie reprendra son cours. Les Mbappé, Varane et Sidibé de l’Équipe de France seront échangés au plus offrant sur le marché des joueurs tandis que leurs « frères » des cités continueront de subir la discrimination tandis que leurs conditions de vie et de travail iront en se détériorant, conséquence d’une déferlante de politiques de casse sociale décrétées par Macron. Le racisme s’intensifiera alors que l’extrême-droite et ses supplétifs continueront d’avoir quartier libre dans la presse et dans les villes. Les jeunes, désespérés, se soulèveront comme en 2005 et il y a fort à parier qu’à eux, Macron ne déroulera pas le tapis rouge! Au contraire, ils seront de la sale racaille, indigne de la France et de la République. L’armée ne volera pas en formation pour les acclamer: la police redoublera de brutalité, les contrôles au faciès se multiplieront et les escouades anti-émeutes seront appelées en renfort pour régler le problème une bonne fois pour toutes. Jusqu’à la prochaine fois...
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