Ce texte a été produit par le Collectif Échec à la guerre et co-signé par 65 personnes.
Revendiqués par l’organisation dite État islamique (EI), des attentats
horribles ont foudroyé Paris, vendredi le 13 novembre, faisant 130 morts
et 367 blessés. Des milliers de parents et de proches ont été touchés
en plein cœur. Une onde de choc a secoué et secoue encore Paris et toute
la France. Un sentiment de révulsion et de solidarité s’est manifesté
plus largement en Occident et ailleurs dans le monde.
Court-circuitant toute réflexion sérieuse sur des événements aussi
violents et dramatiques, de nombreux dirigeants politiques – notamment
en France, aux États-Unis et ici même au Québec – ont immédiatement
appelé à une riposte de « l’humanité » et de la « civilisation » contre
la « barbarie », bref à enfoncer nos sociétés encore plus profondément
dans la logique de la guerre. Nous sommes convaincus du non-sens d’un
tel discours et particulièrement inquiets de ses conséquences.
Un concept d’humanité limité à l’Occident
Quand des attentats terribles ont lieu en sol occidental, à New York en
2001 ou à Paris en 2015, les mots « attaque contre toute l’humanité »
surgissent. Mais ils ne sont pas prononcés pour le million de victimes
des sanctions internationales contre l’Irak entre 1990 et 2003, ni pour
les centaines de milliers de victimes de la guerre illégale des
États-Unis par la suite. On ne les entend pas non plus quand Israël, à
l’été 2014 à Gaza, prend délibérément pour cible des civils, du
personnel médical et des ambulances et détruit des quartiers entiers.
Pendant des années, ces mots ne sont pas prononcés quand l’EI et al
Qaïda assassinent des milliers et des milliers de civils dans les
marchés publics et les mosquées shiites d’Irak. Ni même, tout récemment,
lors des attentats à Ankara et Beyrouth, et ceux au Nigéria et en
Somalie…
Nos valeurs et nos libertés leur répugnent ?
Allant dans le même sens que le président Obama, le premier ministre du
Québec a déclaré « Nous n’accepterons jamais que des barbares
s’attaquent lâchement à nos valeurs de justice, d’égalité, de
fraternité, de tolérance et d’inclusion ».
Sans que cela ne justifie leur geste en quoi que ce soit, ce qui révulse
plus vraisemblablement les auteurs d’attentats (et probablement une
large partie des opinions publiques dans le monde musulman) ce ne sont
pas les valeurs et les libertés dont nous jouissons dans nos sociétés
mais bien les ravages que nos pays ont fait et continuent de faire dans
plusieurs sociétés musulmanes : l’appui à Israël dans la dépossession
violente du peuple palestinien depuis des décennies, l’appui à de
nombreux régimes dictatoriaux, les guerres qui ont semé la mort, la
destruction et le chaos en Irak, en Afghanistan et en Libye, etc. Au
regard de tout cela, l’hypocrisie des dirigeants qui invoquent des
valeurs « universelles » saute aux yeux, quand des milliers de morts
civiles ailleurs dans le monde ne semblent pas faire le poids d’une
seule en Occident.
C’est notamment sur un tel constat que les recruteurs de djihadistes ont
beau jeu d’enrégimenter et de manipuler bon nombre de jeunes.
La logique guerrière et sécuritaire s’amplifie en France
Le président Hollande déclare à répétition que « la France est en
guerre ». Sur le fond, il n’y a rien de vraiment nouveau en cela,
puisque la France a continuellement été en guerre – avec ou sans mandat
de l’ONU – depuis 2001 : en Afghanistan, en Libye, au Mali, en
Centrafrique, en Irak et en Syrie.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est le ressac terrible qui vient de frapper
le pays et l’accélération de la dérive guerrière et sécuritaire qui en
découle, alors que la mise en application de plusieurs mesures réclamées
depuis longtemps par la droite, la suspension prolongée des libertés
civiles et une posture ouvertement belliciste valent maintenant au
président un large appui auquel il n’avait pas eu droit auparavant.
Le monde démocratique est en guerre ?
Ce sont plutôt les États-Unis et, dans leur sillage, les pays membres de
l’OTAN, qui sont de plus en plus engagés dans une spirale de guerres.
Cette politique n’a pas commencé en 2001, avec la soi-disant guerre
contre le terrorisme, mais dès la fin de la Guerre froide, avec la
guerre du Golfe de 1991, alors que George Bush père proclamait
l’avènement d’un Nouvel ordre mondial (comprendre par là unipolaire, réglé par la seule puissance étasunienne). Quelques années plus tard, les néoconservateurs du Project for the New American Century, pour
qui le leadership étasunien est fondamentalement bon et nécessaire pour
le monde, insistaient sur le maintien de la suprématie militaire
étasunienne comme clé pour l’avènement de ce nouveau siècle étasunien.
Sur le fond, cette politique étrangère de suprématie étasunienne par la
force a été poursuivie par le président Obama, qui en a développé un
tout nouveau pan : la guerre des drones.
Dans un tel contexte, nous avons assisté, au cours des 25 dernières
années, à l’effritement de l’ordre international mis en place au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, un effritement marqué par le
non-respect de la Charte des Nations Unies, le dénigrement des instances
internationales. En témoignent, notamment, l’invasion illégale de
l’Irak en 2003, l’opération Enduring Freedom, strictement sous commandement étasunien en Afghanistan, le détournement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité en carte blanche pour le renversement du régime Gaddafi, etc.
La coalition dirigée par les États-Unis qui bombarde en Irak et en Syrie
pour « contenir et éradiquer l’EI » est toute aussi illégale au regard
du droit international. La Charte des Nations-Unies stipule en effet que
le Conseil de sécurité doit être saisi de toute « menace à la paix et à
la sécurité internationale » et que c’est à cette instance qu’il
revient de prendre les mesures appropriées. Le fait que l’Irak ait
appelé à l’aide ne fournit aucune justification à ce qu’un groupe de
pays se lance en guerre dans la région, en profitant même pour bombarder
un autre pays, la Syrie. La participation de la Russie à la guerre en
Syrie, à l’invitation du régime el-Assad, est toute aussi problématique
au regard du droit international et l’impact de ses bombardements est
tout aussi dévastateur.
Une situation extrêmement dangereuse
L’accentuation de cette spirale guerrière, qui semble être recherchée
par certains pouvoirs politiques occidentaux, est une voie totalement
contre-productive et très dangereuse.
Le bilan des 14 dernières années de la soi-disant guerre contre le
terrorisme est catastrophique. En plus de mettre à feu et à sang des
pays entiers et de créer des millions de réfugié.e.s ou de déplacé.e.s
internes, elle a entraîné l’éclosion de dizaines de nouvelles milices
djihadistes, dont l’EI, souvent armées et financées par des intérêts
proches des États-Unis et de leurs alliés au Moyen-Orient.
La guerre qui fait rage en Syrie est également le théâtre de tous les
antagonismes entre puissances régionales rivales (Israël, Iran, Arabie
saoudite, Turquie) et entre les Kurdes et la Turquie. Plus inquiétant
encore, elle met pour la première fois en présence, directement sur le
terrain, les États-Unis et la Russie, les deux plus grandes puissances
militaires et nucléaires, dont les projets pour l’avenir de la Syrie
sont en opposition et dont le monde ne peut pas se permettre qu’elles
entrent ouvertement en guerre l’une contre l’autre!
La seule issue possible consiste dans la désescalade graduelle du
conflit en respectant la souveraineté du pays et le droit international
et dans le rétablissement d’un cadre multilatéral légitime, reflétant le
contexte multipolaire du monde actuel. Les pays occidentaux doivent
rejeter le projet étasunien d’hégémonie mondiale et le monde entier doit
renoncer à la guerre. Même si la proposition peut sembler irréaliste,
l’humanité a, là-dessus, une obligation de résultats aussi urgente et
incontournable que pour les changements climatiques. Dans les deux cas,
des intérêts énormes s’y opposent. Mais alors que dans le premier cas
l’urgence d’agir est déjà bien comprise, dans le second elle l’est très
peu, spécialement en Occident, fauteur de guerres et principal
trafiquant d’armes dans le monde.
Décrochons des énergies fossiles ET décrochons de la guerre. C’est une question de survie!
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