jeudi 10 juillet 2014

2041

Israël élue à la vice-présidence de la commission de l'ONU sur la décolonisation


 Par Adrien Welsh 

Que disait Big Brother dans 1984 déjà? «La guerre c’est la paix», non? Et bien, aujourd’hui, on peut dire «la décolonisation, c’est la colonisation»... 

C’est passé en catimini, sans grand remous, mais le 18 juin dernier, alors que les six commissions de l’Assemblée générale de l’ONU étaient formées, un oxymore au-delà même des idées les plus loufoques est apparu: «Israël, une puissance occupante élue à la vice-présidence d’une commission chargée des droits du peuple palestinien et des territoires occupés», comme l’affirmait le Qatar, Président du Groupe des États arabes, dans un communiqué des Nations unies. Ce même document précise que «malgré la forte opposition du Groupe des États Arabes, M. Mordehai Amohai, d’Israël, a été élu aujourd’hui Vice-Président de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation.» 

Ironiquement, à peine dix jours avant ce vote, une marche contre l’occupation organisée par le Parti communiste d’Israël, la Ligue de la jeunesse communiste d’Israël et Hadash (le Front démocratique pour la paix et l’égalité) à l’occasion du 47e anniversaire de la Guerre des six jours a été déclarée illégale par les autorités. De surcroit, depuis le 12 juin, date à laquelle trois étudiants israéliens ont été retrouvés assassinés, la tension ne cesse de monter, les affrontements entre la police israélienne et les Palestiniens de Jérusalem-Est reprenant de plus belle après le meurtre d’un jeune Palestinien de 16 ans.

La position d’Israël contestée: une pratique sans précédent

Les critiques virulentes à l’égard d’Israël ont fusé en particulier du groupe des États arabes qui ont fait valoir l’illégitimité de cet état à faire partie de cette commission. Pour plusieurs, sa participation à la Quatrième commission est motivée par une volonté d’obstruer les travaux de la Commission. Comme le délégué du Liban l’a souligné, «Israël est l’État Membre qui a été le plus condamné par cette organisation», tandis que le Qatar a réaffirmé le «rejet catégorique» d’Israël tout en rappelant que cet État viole sans cesse le droit international, la Charte de l’ONU et bon nombre de ses résolutions. 

En conséquence, quelques jours avant la formation des Commissions, le groupe des États arabes a adressé deux lettres au Président de la Quatrième commission lui signalant son rejet de la candidature d’Israël dans laquelle il était demandé de recourir à un vote à bulletin secret. À l’issue du vote, la candidature d’Israël a été approuvée par 74 voies contre 68 abstentions. Il s’en est fallu de peu, au grand dam des pays soutenant l’État sioniste. 

Il convient de rappeler que cette procédure est inhabituelle aux Nations unies, ce que n’a pas manqué de décrier le délégué du Royaume-Uni qui a pris la parole au nom du groupe d’Europe occidentale et autres États en affirmant: «Contester une candidature soutenue par un Groupe régional est contraire aux normes et aux pratiques établies, et crée un précédent dangereux pour les prochaines élections.» Notons ici que c’est ce Groupe régional même qui a soutenu la candidature d’Israël, un fait plutôt banal compte tenu du fait que l’Union européenne constitue son premier partenaire économique. 

Le Canada, de son côté, ne s’est pas privé d’en ajouter une couche en exprimant «sa profonde déception face à cette initiative inhabituelle, sans précédent». Il ne s’est toutefois pas empêché de s’opposer à la nomination de M. Hossein Gharibi, de l’Iran comme Vice-Président de la Sixième commission chargée des questions juridiques sous prétexte que la République islamique violerait de façon éhontée le droit international, commettrait des exactions à l’égard des minorités religieuses et ne respecterait pas ses obligations nucléaires! De tous les États présents, seul Israël s’est joint au Canada dans la dénonciation de la nomination de M. Gharibi. Cet exemple illustre encore que les visées impérialistes du Canada priment sur toute autre considération. 

En effet, chaque grief adressé à l’Iran sont risibles, surtout lorsque l’on soutient inconditionnellement l’État d’Israël et son entreprise sioniste maintes fois décriées par les Nations unies. 

Comment peut-on reprocher à l’Iran de violer le droit international quand Israël se refuse obstinément à reconnaitre le droit à l’autodétermination des Palestiniens au point de violer plusieurs résolutions de l’ONU? Et pour ce qui est des exactions contre les minorités religieuses, faut-il rappeler que l’Iran leur reconnait plusieurs droits culturels tandis qu’Israël distingue les citoyens juifs des autres pour qui certains droits sont limités voire interdits? Enfin, concernant les soi-disant obligations nucléaires de l’Iran, dont on ne peut affirmer avec certitude s’il s’est doté de l’arme nucléaire, il est communément accepté qu’Israël constitue la seule puissance nucléaire du Proche-Orient. De plus, en 2012, alors que l’Iran avait accepté d’y prendre part, Israël a refusé de participer à la Conférence de Helsinki sur la dénucléarisation du Proche-Orient. Enfin, faut-il ajouter qu’Israël n’est pas signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires et que ce pays alloue 5,6% de son PIB aux dépenses militaires (contre 3,8% pour les États-Unis). 

Bien sûr, l’idée ici n’est pas de vanter la candidature de la République islamique d’Iran qui continue de détenir bon nombre de prisonniers politiques, de réprimer tous mouvements populaires démocratiques comme tel a été le cas ce printemps avec les mouvements étudiants dirigés notamment par la jeunesse du parti Tudeh (Parti communiste) clandestin. Il s’agit simplement de mettre en valeur la position honteuse et inconséquente du Canada qui se borne à soutenir un des deux seuls États au monde sans Constitution et qui peut détenir des prisonniers sans aucune charge contre eux pour ensuite décréter que l’Iran n’est pas digne de faire partie d’une commission de l’ONU chargée de la justice. 

Israël: une entreprise coloniale

Dans un communiqué de soutien aux prisonniers palestiniens en grève de la faim (mais nourris de force par les autorités israéliennes) en date du 10 juin dernier, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) résume bien le rôle impérialiste d’Israël au Moyen-Orient: « On ne peut trouver de meilleure description de l’impérialisme qu’à travers les actions de l’entité sioniste. Occupation, déplacement, attaques, colonies, guerres et sanctions économiques contre les Palestiniens. Interventions dans toute la région du Moyen-Orient, principalement au Liban et en Syrie en plus du contrôle de la région.» 

Depuis le début, l’entreprise sioniste se développe au dépens du droit à l’autodétermination des Palestiniens. Bien loin de tenter de régler le problème, les Accords d’Oslo de 1993 ont en fait permis de «normaliser» la situation au profit de l’État sioniste. Il faut se remettre dans le contexte du début des années 1990: Arafat et l’Autorité palestinienne sont plus faibles que jamais après avoir porté leur soutien à Saddam Hussein lors de la Guerre Iran - Irak de 1991 et, avec la victoire temporaire de la contre-révolution en URSS et en Europe de l’Est, la Palestine se retrouve dramatiquement isolée sur la scène internationale; sans compter que tous les États Arabes alliés en 1967 ont fait la paix avec Israël à l’exception notable du Liban (qui doit se reconstruire après une guerre civile sanglante) et de la Syrie. On comprend alors pourquoi les questions les plus cruciales comme celle des réfugiés, celle du territoire, de la sécurité, du statut de Jérusalem, etc.)

Ainsi, lors des négociations, la Palestine ne peut jouer qu’un rôle limité et, ironiquement, n’intervient que très peu directement, ce qui permet à Israël de bénéficier d’un accord taillé sur mesure et repousser sans cesse la création d’un État palestinien sous prétexte que sa sécurité n’est pas garantie (et ce, bien que les forces de l’ordre dépendant de l’Autorité palestinienne figurent probablement par les mieux entrainées au monde). Israël a donc pu consolider sa mainmise sur les territoires occupés notamment en intervenant économiquement de façon encore plus directe tout en déléguant certaines fonctions couteuses à l’Autorité palestinienne comme la sécurité, ce qui lui permet de ne plus avoir à assumer le poids de l’occupation. De plus, Israël a pu, après la signature des accords, établir des relations diplomatiques avec bon nombre de pays dont la Chine et l’Inde, donc s’insérer dans l’économie mondiale (les investissements étrangers sont passés de 17 millions $ en 1993 à 584 millions trois ans plus tard). 

Ajoutons aussi que dans le cadre des Accords d’Oslo, il était prévu qu’au bout de cinq ans, soit en 1999, le statut définitif de la Cisjordanie serait réglé. Dès le début, l’agenda n’a pas été suivi. Puis, après l’assassinat de Rabin en 1996, tous les gouvernements israéliens se sont contentés d’entreprendre de nouvelles négociations. D’ailleurs, rappelons à juste titre que lorsque Nétanyahou, l’actuel Premier ministre, arrive au pouvoir après les élections de 1996, il exprime publiquement son refus de voir un État palestinien se constituer, de rétrocéder le Golan à la Syrie ni de négocier le statut de Jérusalem. 

Les colonies ne cessant de proliférer, les conditions de vie ne cessant de se dégrader, avec un taux de chômage de 40% sur la Bande de Gaza (notons aussi qu’il passe de 11% en 1993 à 23% en 1995 pour l’ensemble de la Palestine), devant l’impossibilité de l’Autorité palestinienne de régler ces problèmes, il n’est que peu étonnant qu’une partie de la population ne soit désillusionnée et n’estime que seule la lutte paye et se soit tournée vers un groupe politique islamiste (initialement financé par l’Arabie Saoudite et sous le regard bienveillant d’Israël), le Hamas (à l’origine, le Centre islamique de Gaza). La tension sur le terrain est à son paroxysme en 2000, ce qui mène à la deuxième intifada, puis à la construction du mur de séparation en 2002. 

Ce mur de 3 mètres de hauteur, destiné à couper les populations israélienne des Palestiniens en Cisjordanie, suit plus ou moins le tracé de la ligne verte tout en incluant les colonies. Il gruge ainsi entre 10 et 15% du territoire de Cisjordanie. La colonisation peut donc se poursuivre voire s’accentuer (on comptait, en 2013 375 000 colons, soit une augmentation de 2534 contre 1133 pour 2012). On estime que ce mur affecte environ 875 000 personnes notamment en empêchant certains déplacements à l’intérieur du territoire, en isolant certaines communes (par exemple, Qalqiliya) sans compter que pour les Palestiniens résidant dans les zones annexées, la situation est encore plus délicate. Tout en étant coupés physiquement de la Cisjordanie, ils n’ont pas officiellement le droit de résidence en Israël, donc ne peuvent bénéficier des services sociaux et n’ont pas la possibilité de voyager. 

En bref, alors que la situation des Palestiniens ne cesse de se dégrader, Israël a tout avantage à maintenir le statu quo. Dans la situation actuelle, avec une Autorité palestinienne complètement discréditée et très isolée, il serait illusoire de croire que les tentatives de négociations comme celles exigées par les États-Unis en 2013 - actuellement en pause - puissent mener à une fin du conflit. Ainsi, de nommer cet État à la vice-présidence d’une commission chargée des questions de la décolonisation est honteux de la part des Nations unies, une organisation créée, rappelons-le, pour garantir la paix dans le monde. 

Comment peut-on prétendre garantir la paix dans le monde en confiant une commission à un État aux politiques bellicistes qui, dans les dix dernières années a mené trois opérations militaires: l’opération Plomb durci en 2008, l’opération Pilier de défense en 2010 contre la Palestine et la guerre contre le Liban en 2006, et ce, sans compter les raids aériens et autres opérations qui sont, malheureusement monnaie courante? 

Pour les communistes, la réponse est claire: Israël participe de la dynamique impérialiste mondiale en déstabilisant la région en attisant des conflits tous azimuts. La constitution d’États forts susceptibles de freiner les plans des puissances occidentales dans la région est rendue impossible, comme le prévoit le redécoupage total du «Nouveau Moyen-Orient» si cher à la diplomatie de l’OTAN. 

Ainsi, ce n’est pas tant par appui d’Israël que les États européens ont soutenu sa candidature, mais bien pour garantir les intérêts d’un système qui s’enlise de plus en plus avec l’approfondissement de la crise économique, faisant fi des répercussions potentielles sur le terrain.









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