jeudi 12 juin 2014

Mars 2013 et ses 714 arrestations

Par Marianne Breton Fontaine


Le 22 mars 2013, la LJCQ avait répondu à l'appel de l'ASSÉ pour commémorer la marche historique de 200 000 personnes un an plus tôt au plus fort de la grève étudiante. Le combat continuait alors que Marois, nouvellement élue, implantait l'indexation des frais de scolarité. À peine avions-nous commencé à marcher en tenant notre bannière qu'à un tournant, la panique s’empara de la manifestation. La police, aussi nombreuse que nous, fonçait de tous les côtés
pendant qu’un discours incompréhensible était crié dans un haut-parleur du SPVM. Dans la course pour fuir ce qui était évidemment une tentative de nous prendre en souricière, moi et mon conjoint avions perdu de vue nos autres camarades. Trop tard, voilà que nous étions encerclés par la police avec une centaine d’autres manifestant-e-s, dont Anarchopanda. Après quelques heures dans le froid, on nous refila comme à tout le monde, une belle contravention de 637 $ chacun. Pour notre famille pas très riche, c’était impossible à payer. Pas la peine de dire que nous avons contesté. (Et même si nous pouvions payer, tout le monde est encouragé à contester P-6, donc à contester par principe ces contraventions ignobles.)

Nous avons donc été convoqués à la cour municipale hier, le 11 juin. La foule était nombreuse. L’État avait réussi à réunir dans une même salle une quantité impressionnante de militant-e-se d’horizons politiques très différents. Des gens du milieu anarchiste, des communistes, des sociaux-démocrates, des militant-e-s dans la solidarité avec Cuba, des militantes féministes, des étudiant-e-s, etc.  On me glissa en blague dans l’oreille que ce serait peut-être le temps de faire une assemblée sur la riposte et de passer quelques résolutions. C’est que ce n’était pas que les arrêté-e-s du 22 mars 2013 qui furent conviés, mais ceux des manifestations du 5 mars (environ 70 arrestations lors d’une manifestation nocturne), du 13 mars (2 arrestations lors d’une manifestation étudiante contre l’indexation), du 15 mars (297 arrestations lors de la manifestation annuelle du Collectif opposé à la brutalité policière [COBP], dont le thème était « Contre l’impunité policière ») et du 19 mars (45 arrestations lors d’une « manif nocturne »). Faite le calcule, au mois de mars 2013 seulement, P-6 a permis l’arrestation de 714 personnes. 

Rappelons-nous que les dispositions de P-6 interdisant de manifester masqué et obligeant de fournir un itinéraire à la police furent adoptées comme règlement municipal en 2012 à la suite de la loi 78 largement contestée qui contenait des éléments similaires par rapport au droit de manifester. Ce règlement, ou les dispositions similaires dans 78, ne furent pas utilisés durant la grève étudiante. La mobilisation étant déjà très grande, une insulte supplémentaire aurait pu stimuler une plus grande contestation. Mais depuis 2013, alors que l’effervescence contestataire est retombée et que les militant-e-s pansent leurs blessures de 2012, P-6 est devenu un outil privilégié de répression pour le SPVM. Plus besoin d’attendre qu’une fenêtre se brise et soit captée par les médias pour justifier une arrestation de masse. Nous sommes aujourd’hui arrêtés en souricière avant même d’avoir pu débuter une quelconque marche. Les manifestations sont tuées dans l’œuf, et les contraventions salées de 637 $ s’accumulent sur le dos des militant-e-s les plus actifs. Face à la pression, face à l’issue évidente de tant de manifestations aujourd’hui, plusieurs se découragent, et la mobilisation est plus timide.

Cette issue prédéterminée des manifestations par la police ne se fait pas réellement en fonction de l’itinéraire. C’est la mobilisation et le contenu politique qui déterminent véritablement si une manifestation sera l’objet d’une intense répression et d’arrestations massives. En trop grand nombre, la tactique des souricières ne fonctionne pas pour étouffer la contestation. Pour prouver le profilage politique, le COBP a fait l’inventaire des manifestations sans itinéraires qui ont été étouffées dans l’œuf avec l’aide du règlement P-6 et celles que la police a laissé se dérouler. Le contraste est assez frappant. Le SPVM, avec son analyse politique plus que limitée, semble focaliser sa répression sur les manifestations organisées principalement par des jeunes et au caractère anticapitaliste.  

Ce constat montre à la fois un mépris social de la jeunesse et de ses idées politiques — le traitement des jeunes dans les médias lors du printemps étudiant nous avait tous déjà laissé un goût amer. Car la triste vérité est que la répression de certaine manifestation comme celle contre la brutalité policière tous les 15 mars, sont considérées comme acceptable et même souhaiter. C’est le message que les médias relaient trop souvent. Et cette passivité qu’a collectivement la population face à ces arrestations de masse est ce qui donne l’autorisation d’agir aux forces policières. Le fait que la police se permette de réprimer certaines manifestations ne constitue pas un choix de la police par rapport à ce que le bras armé de l’État considère comme acceptable politiquement ou non — et donc une preuve de la « radicalité » de certaines revendications —, mais au contraire, du niveau politique atteint par cette société qui observe, de la conscience de classe. Les arrestations de masse sont à la fois un moyen de punir les manifestant-e-s et de lancé un message à tous les autres. 

Nous serons conviés à nouveau à la cour municipale. Des camarades de la LJCQ ont aussi été arrêtés lors de la manifestation du 15 mars 2014 qui s’était encore une fois soldé par des arrestations de masse, à quelques mètres à peine du point de rendez-vous. J’y ai personnellement échappé, probablement parce que j’avais sur mes épaules mon petit garçon de 3 ans et que je me tenais un peu en retrait pour sa sécurité. D’autres parents n’ont pas eu cette chance cette journée-là. La police avait déclaré la manifestation illégale deux jours avant le rassemblement. L’arrestation fut donc fulgurante. Pourtant, les médias n’ont pas cru bon souligner la tournure scandaleuse de ces arrestations préférant parler de « maîtrise » de la manifestation — comme s’il s’agissait d’un débordement et d’une réaction « légitime » de la police. Mais réaction à quoi, on se le demande! C’est pourquoi un nouveau recours collectif fut déposé le 5 mai 2014 contre la Ville de Montréal. Comme le souligne le COBP sur son site web, il s’agit du dixième recours de ce genre. Il s’ajoute au à ceux du « 4 avril 2012 (76 arrestations), du 23 mai 2012 (518 arrestations — la plus grosse arrestation de masse de la grève), du 7 juin 2012 (souricière à caractère “préventif” dans le cadre du Grand Prix qui fut éventuellement dispersé après des arrestations ciblées en son sein), du 15 mars 201 (deux recours pour deux souricières lors de la précédente manifestation du COBP — environ 250 arrestations), du 22 mars 2013 (deux recours pour deux souricières lors d’une manifestation contre l’austérité — plus de 200 arrestations), du 5 avril 2013 (manifestation contre P-6 durant laquelle la tête d’Anarchopanda fut fameusement dérobée — 279 arrestations) et du 1er mai 2013 (447 arrestations pour la journée internationale des travailleurs et travailleuses). »

La lutte à p-6 s’inscrit dans le contexte plus large des attaques contre la classe ouvrière et des mesures répressives qui se multiplient. La contestation judiciaire est assurément importante dans la lutte à P-6 et aux autres réglementations similaire qui bafoue nos droits politiques. Mais ça ne peut pas y être limité. D’un autre côté, la simple défiance au règlement (soit organiser des manifestations sans itinéraire) ne semble pas efficace vu le niveau de mobilisation qu’elle suscite et l’impunité avec laquelle les policiers travaillent. En fait, cette tactique semble plutôt avoir permis à la police de compléter ses fiches de renseignement et constitue un lourd fardeau sur certains cercles de militant-e-s de plus en plus restreint. Il y a donc une sérieuse réflexion à entreprendre pour déterminer une stratégie de lutte commune.

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