Coordinateur du Tribunal
Russell sur la Palestine de 2008 à 2013, Frank Barat rapporte pour
Mediapart les conclusions de la session extraordinaire de ce tribunal
citoyen qui s’est tenue les 24 et 25 septembre derniers à Bruxelles,
pour examiner la récente opération Bordure protectrice conduite par
Israël dans la bande de Gaza.
Presse toi à gauche
Le 8 juillet 2014, le gouvernement israélien, par l’intermédiaire
de son premier ministre Benjamin Netanyahu, donne ordre à son armée de
lancer l’opération « Bordure Protectrice ». Utilisant le meurtre de
trois jeunes colons israéliens commis un mois plus tôt comme prétexte et
annonçant que le but de cette opération était de mettre fin aux tirs de
roquettes du Hamas, Israël s’en va-t-en guerre.
Pour la troisième fois en six ans, une offensive de grande envergure contre la bande de Gaza se met en marche.
Les grands médias internationaux, dans une écrasante majorité, au
moins durant les premiers jours, mettent eux aussi le fusil à l’épaule.
Très peu d’entre eux, pour ne pas dire aucun, rappellent le contexte
politique et historique dans lequel s’inscrit cette offensive. On ne
parle pas de l’occupation israélienne en place depuis 1967 malgré des
dizaines de résolutions des Nations Unies appelant à sa fin. On ne
rappelle pas que les roquettes du Hamas et des factions palestiniennes
étaient quasiment inexistantes depuis des mois avant qu’Israël, suite au
kidnapping des trois colons israéliens, utilise ce prétexte pour
ravager la Cisjordanie pendant plus de 3 semaines, dans leur prétendue
recherche du corps des trois colons. Arrestations en masse de membres du
Hamas, re-arrestations de prisonniers palestiniens venant tout juste
d’être relâchés, répression terrible sur les manifestants palestiniens,
causant la mort de plusieurs mineurs, re-occupation de Ramallah,
démolitions de maisons et siège de la ville de Hebron.
Si le mot « prétexte » est utilisé plus haut, c’est que le
gouvernement israélien savait, depuis le début, que les trois jeunes
colons avaient été assassinés le jour même de leur enlèvement. La
plupart des grands médias, aussi, était au courant. Comme le
gouvernement, ils avaient eu accès à un enregistrement qui ne laissait
place au doute : les trois adolescents israéliens avaient perdu la vie
le 12 juin 2014. Mais eux aussi ont préféré jouer le jeu. Quelques
semaines plus tard, le porte-parole de la police israélienne, Micky
Rosenfeld, déclare même que « le directoire du Hamas n’est pas impliqué
dans l’enlèvement et le meurtre des trois israéliens » (voir ici).
Enfin, le blocus de Gaza, en place depuis l’élection du Hamas en 2006,
n’est jamais mentionné dans les médias. Un blocus qui va pourtant à
l’encontre du droit international et des conventions de Genève. Un
blocus illégal faisant office de punition collective et enfermant les
palestiniens dans une prison à ciel ouvert. Israël, malgré le retrait de
ses soldats et l’évacuation de ses colons de Gaza en 2005, occupe
encore ce petit bout de territoire puisqu’il en contrôle le registre de
la population (les entrées et les sorties), les « frontières » (Rafah
étant contrôlée par l’Egypte), ainsi que l’espace aérien et maritime. En
droit international, la présence physique n’est pas nécessaire pour
qu’il y ait « occupation ».
Le 9 juillet 2014, le président de la république française, Francois
Hollande, exprime lui aussi son soutien inconditionnel à Benjamin
Netanyahu. Il déclare lui avoir assuré par téléphone « la solidarité de
la France face aux tirs de roquettes », que « la France condamne
fermement les agressions contre Israël » et qu’il « appartient au
gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa
population face aux menaces ».
Francois Hollande est au plus bas dans les sondages, il veut donner
l’image d’un président fort, va t’en guerre, même si ce n’est pas la
sienne, et tient un discours plus proche de George W. Bush que d’un
président « socialiste ». Pense-t-il rallier ainsi les Français derrière
lui et Israël ?
S’il le croit, il se trompe. Le président français parle de
« France » dans son message à Netanyahu. Mais quelle France ? La France,
son peuple, est dehors, dans la rue, par milliers, centaines de
milliers, jour après jour. Malgré les interdictions de manifester (les
seules en place au monde à ce moment-là), malgré la répression des
forces de police et malgré les arrestations, des foules de plus en plus
nombreuses prennent les rues pour crier leur dégoût face aux actions de
l’armée israélienne et leur colère devant le soutien complice de l’Etat
français. Et c’est le monde entier qui est secoué par une même vague de
protestation. Pendant les 50 jours de cette opération, les peuples se
soulèvent aux quatre coins du globe pour appeler à la fin de l’agression
israélienne sur Gaza.
Une attaque qui dans les faits tourne au massacre. La bande de Gaza
et son 1,8 million d’habitants n’ont pas subi telle violence depuis
1967.
Cet été, 700 tonnes de munitions se sont abattues sur une population
enfermée, qui ne peut s’enfuir et ne reçoit, malgré ses appels au
secours, aucune aide. Les chiffres sont effrayants (2 188 Palestiniens
ont perdu la vie dont 1 658 civils ; plus de 11 231 Palestiniens furent
gravement blessés ; plus de 18 000 maisons furent détruites entièrement
ou en partie). Mais cela reste des chiffres. La réalité est encore plus
terrible. Aujourd’hui à Gaza, un enfant de 8 ans a déjà connu 4 guerres.
Aujourd’hui à Gaza, ce sont 370 000 enfants qui ont besoin de soutien
psychologique (l’équivalent, proportionnellement à la population, de 12
millions enfants en France).
Que faire ? Comment réagir ? Comment soutenir et accompagner les gens
qui manifestent ? Est-il suffisant d’envoyer des lettres ? Des
pétitions ? De twitter ? Au Royaume-Uni et en Australie, certains
activistes vont plus loin et occupent, pour la mettre hors d’état de
nuire, l’entreprise israélienne de fabrication d’arme Elbit System ; aux
Etats-unis, d’autres empêchent un bateau israélien de débarquer.
Les membres du Tribunal Russell, quant à eux, décident de se réunir
de nouveau et d’organiser une session extraordinaire de ce tribunal des
peuples sur les crimes de guerre israéliens à Gaza. Le tribunal sera le
premier forum public à réunir témoins, experts juridiques, journalistes,
universitaires et activistes pour parler de Gaza. La première enquête
sur ce qui s’est vraiment passé sur place. Pour se souvenir. Pour ne pas
oublier. Et surtout pour empêcher que cela se reproduise. Le tribunal,
comme à son habitude, se veut pionnier. Il parlera, lors de cette
session, du crime de génocide et de celui d’incitation au génocide. Pour
ceux qui disent que le tribunal est un simulacre de procès, ou qu’il
est un exercice symbolique seulement, il est bon de rappeler qu’ Israël
n’a jamais respecté les décisions des Nations Unies ni celles de la cour
internationale de justice en 2004. Celles-ci n’ayant d’ailleurs pas été
respectées non plus par les parties tierces (Etats, institutions,
multinationales). Pour Israël, le droit international ne veut rien dire,
il n’est rien. Devant le manque d’actions concrètes des Etats, il
incombe donc au peuple de se faire « Jury ».
Durant toute une journée les témoins se succèdent pour parler de ce
qu’ils ont vu sur place. Les membres du jury, Ken Loach, Vandana Shiva,
Roger Waters, Michael Mansfield, Paul Laverty, Radhia Nasraoui,
Christiane Hessel, Ronnie Kasrils, John Dugard, Richard Falk et Ahdaf
Soueif écoutent, prennent des notes et questionnent, interrogent. La
salle, remplie de personnes venant du monde entier, reste sans voix
devant les mots et les images. Ceux qui se pensent immunisés à l’horreur
et l’indignation, parce qu’ils en ont trop vu ou en savent trop, se
trompent. L’intensité de la violence de l’opération « Bordure
protectrice » dépasse les limites de l’entendement, de la raison. Eran
Efrati, ex-soldat israélien raconte en détails l’assassinat de Salem
Shamaly par un sniper. Mohammed Omer, journaliste palestinien de Gaza,
relate des exécutions sommaires de civils. Ivan Karakashian, évoque
l’impact psychologique de ce massacre sur les enfants et du fait
qu’Israël à pour habitude d’utiliser certains d’entre eux comme
boucliers humains. Mads Gilbert, chirurgien norvégien et héroïque, nous
explique que 17 des 32 hôpitaux de Gaza furent détruits. David Sheen,
journaliste israélien, dresse un portrait effrayant, preuves à l’appui,
d’une société israélienne, qui, soutenant cette guerre à 95%, va de plus
en plus loin dans la déshumanisation des Palestiniens, appelant, de
manière fréquente et sans fard, à l’extermination de ce peuple.
Le lendemain, après une longue nuit de délibération, le jury délivre
son verdict : lors de l’opération « Bordure protectrice », Israël s’est
rendu coupable de crimes de guerre (homicides intentionnels,
destructions de biens non justifiées, attaques intentionnelles contre la
population civile, les hôpitaux, les lieux de culte les écoles, …), de
crimes contre l’humanité (meurtres, persécutions et exterminations) et
du crime d’incitation au génocide.
Les membres du jury ajoutent même qu’ils ont « sincèrement peur que
dans un contexte d’impunité et d’absence de sanctions pour des crimes
graves et répétés, les leçons du Rwanda et d’autres atrocités de masse
restent lettre morte. »
Que les choses soient claires : c’est à nous, le peuple, les
« sans-dents », d’écrire l’histoire car personne ne le fera pour nous.
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