Yves Boisvert La Presse |
On a diminué leur salaire, on a éliminé des emplois, on a vendu des divisions entières de l'entreprise: il fallait sauver Air Canada.
Alors, quand les bagagistes voient passer la ministre fédérale du Travail à l'aéroport de Toronto, trois d'entre eux l'applaudissent par dérision, une manière très douce de crier «bouhouhh!» C'est le dernier moyen de pression qui leur reste. J'aurais fait comme eux, j'imagine.
La ministre Lisa Raitt n'a pas apprécié. Elle s'est plainte à Air Canada. Les bagagistes ont été stupidement suspendus.
On n'a pas le droit de huer une ministre ou d'en rire, apparemment, même si elle a décidé de réécrire à sa manière la liberté d'association. Ce n'est pas poli, n'est-ce pas, huer les ministres? M'est avis qu'il est pas mal plus grossier de tripoter un droit fondamental...
Toujours est-il que les collègues bagagistes ont débrayé spontanément en guise de soutien.
On a vu la suite. Des centaines de vols ont été annulés et, évidemment, des milliers de gens sont enragés contre Air Canada en général et ces grévistes en particulier.
Grève «sauvage» ? Mais que leur reste-t-il quand on leur enlève le droit de négocier? Même pas le droit de huer.
L'ancien patron des relations de travail à Air Canada, George Smith, disait vendredi au Globe and Mail qu'il vaut bien mieux risquer la grève générale que d'être soumis à des arrêts de travail périodiques imprévisibles de ce genre. La semaine dernière, ce sont les pilotes qui ont forcé l'annulation de vols. Certains d'entre eux ont été forcés d'accepter des réductions de salaire de 35%.
Le gouvernement a bouché hermétiquement la voie de la grève. La pression va sortir autrement, c'est couru.
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Pendant ce temps-là, ceux qui ont présidé à la superbe «restructuration» de la compagnie empochent boni par-dessus boni.
Robert Milton, ex-PDG d'Air Canada et président d'une société parente, Ace Aviation, a touché l'indécente somme de 52 millions depuis 2006. Il a bien mérité de ses actionnaires.
Calin Rovinescu, actuel PDG, touchera le 31 mars 5 millions comme prime de rétention annuelle, c'est-à-dire simplement pour ne pas avoir quitté son emploi cette année.
On le félicite, ça n'a pas dû être facile, retenu comme ça toute une année. Allez, M. Rovinescu, encore une petite semaine et c'est dans la poche.
Le gouvernement conservateur, lui, a décrété que l'économie canadienne ne saurait souffrir une grève chez Air Canada et y a tout simplement suspendu le droit de grève.
Comment voulez-vous que les employés d'Air Canada ne soient pas révoltés?
Bien entendu, les temps sont difficiles pour tous les transporteurs aériens. La concurrence est féroce, le prix du carburant toujours à la hausse, etc.
Mais que penser quand, dans La Presse de vendredi, je lis que l'ancienne division d'Air Canada, Gestion Ace Aviation, s'apprête à verser 300 millions en boni à ses actionnaires?
Au moment de sa restructuration, Air Canada s'est départie d'un certain nombre de morceaux, qui ont été placés sous le chapeau de Ace, dont Aeroplan, Jazz et ce qui est devenu Aveos. Ace a même touché 763 millions en 2007 en vendant cette division d'entretien, qui a fermé brutalement lundi, criblée de dettes.
C'est un stratagème qui a permis à Air Canada de survivre. Mais comment pensez-vous que se sentent les employés, qui ne concèdent jamais assez, quand ils voient que des morceaux de l'ancien Air Canada rapportent des sommes coquettes aux actionnaires? Et que d'anciens employés sont carrément sans emploi maintenant?
L'entretien des avions est un domaine en mutation complète. Plusieurs transporteurs nord-américains le font faire en Amérique latine pour une fraction du prix.
Mais observez la séquence des événements. On a démantelé Air Canada pour la sauver. On a sauvé la mise pour les actionnaires. On a obtenu des concessions majeures des employés.
Sauf que... vu l'état du marché... vu l'économie... vu les temps difficiles... on leur demande d'autres concessions.
Tandis que des dirigeants touchent des salaires auxquels il faut trouver toutes sortes de noms pour leur enlever leur caractère pornographique.
Mais surtout, surtout, que personne ne fasse la grève, jamais, qu'on ne dérange rien, et que chacun garde le silence au passage de la ministre...