mardi 6 janvier 2009

Article pour JM vol2 no1

Entrevue avec Zaynab Khadr
Par Richard Williams

Introduction :

Le 24 novembre 2008, le juge fédéral des États-Unis, John D. Bates, a prononcé sa décision, refusant d'intervenir dans le procès militaire d'Omar Khadr, Canadien actuellement prisonnier à Guantanamo, Cuba, accusé du meurtre d'un soldat états-unien en Afghanistan. Du 7 au 25 octobre, Zaynab Khadr, soeur d'Omar, a entrepris une grève de la faim sur la colline parlementaire d'Ottawa.

Rebel Youth : Je vous prie de donner quelques indications à notre revue «Rebel Youth» sur votre grève de la faim sur la colline parlementaire.

Zaynab Khadr : En Octobre, j'ai entrepris une grève de la faim sur la colline parlementaire pour attirer l'attention du public sur le fait que mon frère a été utilisé comme pion dans le cadre d'une manœuvre politique, et que le président sortant des États-Unis allait probablement essayer de s'en servir comme dernière tentative visant à prouver qu'il est "dur contre le terrorisme", en faisant de mon frère un exemple et en le soumettant à encore plus d'injustices, même si les actes d'un garçon terrifié placé dans des circonstances inimaginables sont difficilement assimilables à du terrorisme. Au bout de 18 jours, au cours desquels j'ai rencontré des dirigeants politiques et écrit aux ministres de la Citoyenneté, de la Justice et des Affaires étrangères, les États-Unis ont annoncé qu'ils allaient reporter le procès de mon frère à après les élections des États-Unis pour réduire les possibilités de l'administration actuelle de manipuler le procès afin de laisser dernière elle un fait en héritage. Fatiguée, affamée et soulevée par cette soudaine bonne nouvelle, j'ai mis fin à la grève de la faim, qui a duré 18 jours, et je suis rentrée à la maison à Toronto.

RY : Si j'ai bien compris, Omar est aveugle d'un œil. Quel est son état actuel?

ZK : Au cours du bombardement de la maison où il se logeait en Afghanistan, Omar a été grièvement blessé par des éclats d'obus, dont le plus nocif a détruit la vision de son oeil gauche et a laissé mon frère aux prises avec une détérioration de la vision de son œil droit. Quand il a été transféré en avion à la base aérienne de Bagram, les soldats ont profité de son état pour lui arracher une série de déclarations au contenu très discutable, en le menaçant de lui refuser des traitements médicaux et de lui causer ainsi une cécité permanente s'il continuait de se proclamer innocent. Aujourd'hui, il continue de se battre pour ne pas perdre la vue, et son avocat a exigé avec véhémence qu'Omar soit autorisé à porter des lunettes de soleil pour protéger ce qui lui reste de vision à l'oeil droit, mais l'administration de Guantanamo a toujours refusé de lui en fournir.

RY : Quel traitement Omar a-t-il reçu à Guantanamo? Les médias mentionnent souvent qu'il est torturé.

ZK : Nous avons passé près de huit années à écouter les rapports venant des camps de détention établis par les États-Unis pour le traitement des prisonniers capturés. Les documents et témoignages ont montré que mon jeune frère, qui n'avait que 15 ans, a été parmi ceux qui ont été le plus fréquemment victimes de violence. Ils l'ont menacé de le laisser devenir aveugle s'il ne déclarait pas qu'il avait lancé la grenade mentionnée, de le remettre entre les mains de pédophiles pour qu'il soit violé et lui ont fait endurer le plus de souffrances qu'ils ont pu, le plus longtemps qu'ils ont pu pour transformer sa vie en un véritable enfer.

RY : Que pensez-vous de la couverture des médias canadiens sur votre famille et sur le procès d'Omar?

ZK : Je trouve regrettable que les médias canadiens aient choisi de ne rapporter que des bouts de phrases, que ma mère et moi avons dits il y a quatre ans, en les coupant presque totalement de leur contexte, alors que nous étions dans un profond état de détresse émotionnelle. À la télévision les médias présentent toujours le même vidéo-clip de cinq secondes, encore et encore, et dans les journaux, chaque fois qu'ils mentionnent le nom «Omar Khadr», ils ajoutent «qui a fait des commentaires appuyant les événements du 11 septembre» et «qui a soutenu la mort de soldats états-uniens». Les gens doivent penser que nous n'avons que ce genre de choses aux lèvres. En vérité, nous n'avons jamais dit cela, ni même une fois. Ce que nous avons dit c'est qu'il était injuste de ne compter que le nombre de soldats états-uniens morts au combat, et que les États-Unis auraient dû être capables de prévoir que leur ingérence partout dans le monde les conduirait à être un jour eux-mêmes attaqués. Mais si vous placez nos bouts de phrases dans un certain ordre, si vous y ajoutez, couche après couche, assez d'insinuations, et si vous répétez de telles déclarations chaque fois que vous mentionnez le nom «Khadr», vous pouvez nous attribuer, comme au cinéma, le rôle de super-méchants.

RY : Le président élu Barack Obama sera assermenté le 26 janvier 2009, six jours avant la date prévue pour l'ouverture du procès d'Omar. De quelle façon l'élection d'Obama pourrait influer sur le procès?

ZK : Beaucoup de gens nous ont dit d'attendre et de garder l'espoir que le président Obama annulera les commissions militaires et renverra Omar au Canada. Mais cette solution n'est pas la bonne. Le Canada a mis des siècles à se bâtir en tant que nation souveraine, et nous, en tant que Canadiennes/iens, nous devrions avoir une colonne vertébrale assez solide et suffisamment d'intégrité pour nous lever et dire : «C'est un citoyen de notre pays, nous ne permettrons pas qu'il soit torturé ou traîné devant des tribunaux injustes. Remettez-le-nous et nous l'enverrons dans une salle d'audience si c'est là qu'il devrait se trouver». Ma famille est canadienne, nous sommes tous Canadiens, et nous en avons été fiers toute notre vie. Nous tenons à ce que notre foi dans l'engagement de notre pays à défendre les droits de la personne, dans le respect de la primauté du droit et de l'équité dans les procès, même de personnes impopulaires n'ait pas été en vain, et que ce pays défendra ses valeurs au lieu de dire «attendons pour voir ce que les États-Unis nous diront de faire».

RY : La décision émise dans le procès civil «Omar Khadr contre George W. Bush» le 24 octobre 2004 a refusé de permettre la tenue d'une évaluation médicale indépendante et de produire le dossier médical d'Omar. Cette décision a été rendue par le juge John D. Bates, qui, le 24 octobre, avait émis la déclaration de non-participation à la procédure à Guantanamo. Quelle est votre opinion concernant Omar et le retour obligatoire du même juge fédéral dans l'ensemble des reports?

ZK : Le refus de dévoiler les dossiers médicaux a été, dès le début, comme une épine dans notre pied. Il est illogique d'affirmer que la divulgation de ces documents pourrait constituer un danger pour les États-Unis. En vérité, ce serait une catastrophe sur le plan des relations publiques. On pourrait établir un parallèle avec le cas d'Al-Kahtani, au sujet duquel le FBI a déclaré qu'il ne devait pas être autorisé à subir un procès, même s'il doit passer le reste de sa vie dans une prison états-unienne parce qu'il serait désastreux que tous ses "interrogatoires" soient rendus publics. Tout comme dans ce cas, les États-Unis ont été très sur la défensive en ne voulant pas permettre une évaluation médicale sur la santé de mon frère.

RY : Que pensez-vous des deux documentaires de Terence McKenna produits par la CBC, «Son of Al-Qaeda» (Fils d'Al-Qaeda), de 2004, et «The U.S. v. Omar Khadr» (Les États-Unis contre Omar Khadr), de 2008, et du livre «Guantanamo's Child: The Untold Story Of Omar Khadr» (L'enfant de Guantanamo - l'histoire d'Omar Khadr qui n'a pas été racontée) de Michelle Shephard, de 2008? Est-ce que des faits importants ont été oubliés?

ZK : Lorsque la nouvelle qu'Omar avait été blessé dans une fusillade en Afghanistan a été diffusée, les Canadiens ont exprimé au début beaucoup de sympathie. Ils pouvaient ne pas être d'accord avec ses actes, mais ils étaient d'avis qu'un garçon de 15 ans ne doit pas être envoyé à Guantanamo quelles que soient les circonstances, et que nous disposions, dans notre pays, d'un système judiciaire pouvant le juger à son retour, si cela était nécessaire. Mais en 2004, la CBC a présenté un documentaire qui cachait un certain nombre de faits, qui présentait de nombreux commentaires hors contexte et qui, en général, faisait du sensationnalisme au sujet de l'«Affaire Khadr» pour faire de nous tous des super-méchants. Dès que le venin s'est répandu, les gens ont commencé à nous lancer des insultes racistes. Ils nous traitaient de «citoyens de convenance» et nous disaient de retourner chez nous, à "Talibanland". Notre propre député a commencé à réclamer notre expulsion, et le pays a soudain été rempli d'une fureur et d'une haine aveugle envers notre famille, qu'ils ne connaissaient pas, qu'ils n'avaient vu que quelques minutes, tel que la vidéo avait été grossièrement montée par un cinéaste. Quatre ans plus tard, après qu'il était devenu évident que le documentaire avait causé la haine qui a maintenu mon frère emprisonné à Guantanamo, la CBC a produit un autre documentaire, plus juste et plus honnête. Mais si, demain, le journal devait choisir entre deux phrases, «Zaynab Khadr, qui a dit qu'elle exprimait ses condoléances pour les veuves de militaires états-uniens» ou «Zaynab Khadr, qui a dit qu'Osama bin Laden a assisté à son mariage», quelle phrase pensez-vous qu'ils vont publier? Malheureusement le sensationnalisme vend, mais il a aussi des conséquences sur les êtres humains. Je pense que la CBC a commencé à comprendre cela après avoir vu la foule prête au lynchage, situation que son documentaire avait créé.

RY : En raison des grandes manifestations publiques et de la large couverture médiatique, l'affaire Omar Khadr est véritablement devenue un symbole du rejet par le peuple canadien des politiques états-uniennes. Comment vous sentez-vous, en tant que famille, relativement à cet appui? Pensez-vous que cela puisse aider le cas?

ZK : Le rapatriement de mon frère ne constituerait pas un «rejet des États-Unis» mais bien une «reconnaissance de l'importance des droits de la personne en accord avec le reste du monde». Aucun État n'a le droit de sacrifier des personnes pour atteindre ses objectifs en toute bonne conscience. L'abandon d'Omar à Guantanamo peut avoir entraîné des avantages sur le plan du libre-échange ou avoir évité un coup de téléphone furieux de George W. Bush, mais il a endommagé la réputation du Canada sur la scène mondiale. Lorsque, dans le passé, les Canadiennes/iens voyageaient à l'étranger, ils étaient l'objet de respect et d'admiration, en tant que citoyennes/ens d'un pays qui a mis fin à la crise de Suez, qui a formé la force de maintien de la paix des Nations Unies, qui a accepté les objecteurs de conscience et les personnes qui fuyaient la conscription durant la guerre du Viêt-Nam, qui a été construit par des politiciens tels que Pearson, Diefenbaker et Trudeau. Or aujourd'hui nous sommes un pays qui a été reconnu coupable de torture par sa propre Cour suprême. J'ai étudié la Charte des droits et libertés à l'école, j'ai chanté «que Dieu garde notre pays glorieux et libre», et je sais qu'en tant que Canadiennes/iens, nous sommes capables de faire ce que nous devons faire.

RY : Avez-vous quelques derniers commentaires?

ZK : Je voudrais seulement souligner à nouveau ce que j'ai dit : la Cour suprême a statué que le Canada a été complice de la torture de mon frère. Que chacun de nous est coupable, ne serait-ce que par association, d'avoir menacé de viol un garçon de 15 ans. Que chacun de nous est coupable, ne serait-ce que par association, des formes les plus graves de violation des droits d'un garçon, de dégradation et de torture. Et qu'il n'est pas trop tard pour mon frère de pouvoir recouvrer la vue et sa vie, et qu'il n'est jamais trop tard pour le Canada de recouvrer son intégrité et son engagement en faveur de la justice.

Merci beaucoup pour votre intérêt à agir pour que justice soit faite dans le cas de mon frère.

Zaynab

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