Paris match     | Mardi 21 Décembre 2010
   Ex combattants de Tsahal, ils refusent maintenant de se taire et parlent
             
                        |      Photo Quique Kierszenbaum    
                    La génération qui dit non...
Micha
 Parmi les reproches de Breaking the Silence faits à l'armée: on ne fait  guère de différence entre les opérations défensives et offensives. 
 Dana
 «Fouiller une maison par curiosité, sous le regard de ses résidents... comment ne pas provoquer la haine?» 
 Noam
 Au sein même de l'armée, ni les soldats ni les officiers n'évoquent  leurs scrupules qui passeraient sans doute pour des états d'âme. 
 Mikhael
 «Nous utilisions des grenades de pierres qui, dans un vacarme effrayant,  étaient censées faire obtempérer plus vite les civils palestiniens.» 
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                                Micha, Dana, Noam, et Mikhael ont combattu pour Tsahal. C'est la  première fois que des officiers israéliens manifestent à visage  découvert leur contestation à propos des exactions infligées dans la  bande de Gaza, entre 2000 et 2009. 
Des grenades pour faire peur
 « On déboule dans un village palestinien à 3 heures du matin et on se  met à lancer des grenades étourdissantes dans les rues. Pour rien, pour  faire peur. On voyait les gens se réveiller affolés... On nous raconte  que cela fait fuir les éventuels terroristes. N’importe quoi... Par  rotation, on faisait ça toutes les nuits. La routine. On nous disait  “Bonne opération”. On ne comprenait pas pourquoi. » 
 Voler un hôpital
 « Une nuit, nous avons l’ordre d’entrer de force dans une clinique  d’Hébron qui appartient au Hamas. On confisque l’équipement :  ordinateurs, téléphones, imprimantes, d’autres choses, il y en a pour  des milliers de shekels. La raison ? Toucher le Hamas au portefeuille,  juste avant les élections du Parlement palestinien, pour qu’il perde. Le  gouvernement israélien avait officiellement annoncé qu’il n’allait pas  tenter d’influencer cette élection... » 
 « On a tué un type par pure ignorance » 
  « On ne savait pas que, pendant le ramadan, les fidèles sortent dans la  rue à 4 heures du matin avec des tambours pour réveiller les gens,  qu’ils mangent avant le lever du soleil. On identifie un type dans une  allée qui tient quelque chose, on lui crie “stop”. Là, si le “suspect”  ne s’arrête pas immédiatement, la procédure exige des sommations.  “Arrêtez ou je tire”, puis on tire en l’air, puis dans les jambes, etc.  En réalité, cette règle n’est jamais appliquée. On l’a tué, point. Et  par pure ignorance des rites locaux. »
 Les paysans en larmes
 « Nos excavateurs dressent une barrière de séparation en plein milieu  d’un champ de figuiers palestinien. Le paysan arrive en larmes : “J’ai  planté ce verger pendant dix ans, j’ai attendu dix ans qu’il donne des  fruits, j’en ai profité pendant un an, et là, ils me le déracinent !” Il  n’y a pas de solution de replantage. Il y a des compensations seulement  à partir de 41 % de terre confisquée. Si c’est 40 %, tu n’as rien. Le  pire c’est que peut-être demain ils vont décider d’arrêter la  construction de la barrière. » 
 Rendre ses galons, redevenir soldat
 « On installe des check points surprises. N’importe où, ça n’est jamais  clair. Et soudain on arrête tout le monde, on contrôle leur permis. Il y  a, là, des femmes, des enfants, des vieux, pendant des heures, parfois  en plein soleil. On arrête des innocents, des gens qui veulent aller  travailler, trouver de la nourriture, pas des terroristes... J’ai dû le  faire pendant cinq mois, huit heures par jour, ça m’a cassé. Alors j’ai  décidé de rendre mes galons de commandant. » 
 « Notre mission : déranger, harceler »
 « On est à Hébron. Comme les terroristes sont des résidents locaux et  que notre mission est d’entraver l’activité terroriste, la voie  opérationnelle c’est de quadriller la ville, entrer dans des maisons  abandonnées, ou des maisons habitées choisies au hasard – il n’y a pas  de service de renseignement qui nous pilote –, les fouiller, les mettre à  sac... et ne rien trouver. Ni armes ni terroristes. Les habitants ont  fini par prendre l’habitude. Ils sont irrités, dépressifs, mais habitués  car ça dure depuis des années. Faire souffrir la population civile, lui  pourrir la vie, et savoir que cela ne sert à rien. Cela engendre un tel  sentiment d’inutilité. » 
 « Les punitions collectives »
 « Mes actes les plus immoraux ? Faire exploser des maisons de suspects  terroristes, arrêter des centaines de gens en masse, yeux bandés, pieds  et mains liés, les emmener par camions ; pénétrer dans des maisons, en  sortir brutalement les familles ; parfois on revenait faire exploser la  maison ; on ne savait jamais pourquoi telle maison, ni quels suspects  arrêter. Parfois, ordre nous était donné de détruire au bulldozer ou aux  explosifs l’entrée du village en guise de punition collective pour  avoir hébergé des terroristes. »  
 « Protéger des colons agressifs »
 « On débarque dans le district de Naplouse pour assurer la sécurité des  colons. On découvre qu’ils ont décidé d’attaquer Huwara, le village  voisin, palestinien. Ils sont armés, jettent des pierres, soutenus en  cela par un groupe de juifs orthodoxes français qui filment, prennent  des photos. Résultat : on se retrouve pris entre des Arabes surpris,  terrorisés, et notre obligation de protection des colons. Un officier  tente de repousser les colons dans leurs terres, il reçoit des coups, il  y a des tirs, il abandonne. On ne sait plus quoi faire : les retenir,  protéger les Palestiniens, nous protéger, une scène absurde et folle. On  a fini par faire retourner les agresseurs chez eux. Une dizaine  d’Arabes ont été blessés. » 
 Assassiner un homme sans armes
 « On est en poste dans une maison qu’on a vidée de ses occupants, on  soupçonne la présence de terroristes, on surveille, il est 2 heures du  matin. Un de nos tireurs d’élite identifie un mec sur un toit en train  de marcher. Je le regarde aux jumelles, il a dans les 25-26 ans, n’est  pas armé. On en informe par radio le commandant qui nous intime : “C’est  un guetteur. Descendez-le.” Le tireur obéit. J’appelle cela un  assassinat. On avait les moyens de l’arrêter. Et ça n’est pas un cas  unique, il y en a des dizaines. » 
  Noam, Micha, Mikhael, et Dana. (Photos DR). 