vendredi 12 novembre 2010

Ce que les révélations de Wikileaks ne révèlent pas

Kamil Mahdi

Les révélations de Wikileaks fournissent un aperçu supplémentaire de la destruction mise en oeuvre en Irak par la guerre et l'occupation. Ces fuites montrent également comment d’une part, les pertes de vies irakiennes ont été sérieusement minimisées et comment d’autre part, la cruauté américaine et britannique ont été très peu couverte par les médias. Mais, selon Kamil Mahdi, les documents ne donnent toujours pas une image complète de la dévastation qui a été infligée à l'Irak et à sa population.

Pour les Irakiens, le nouveau lot de carnets de route militaires US révélés confirme seulement leurs expériences vécues de la brutalité de l'occupation américano-britannique dans leur pays.


Les violences et les abus, pour la plupart gratuits, commis par les troupes US étaient et restent, dans une moindre mesure, une expérience quotidienne pour les Irakiens.


Cette culture de la violence et de l'abus va de pair avec une pratique militaire qui n'accorde pratiquement aucune valeur à la vie des Irakiens, y compris celle des civils.


Les documents révélés et rapportés montrent le faible intérêt bureaucratique pour la violence de l'occupation au quotidien. Sans aucun doute, les révélations montrent à quel point les forces d’occupation sont responsables d’une bonne partie (voir plus) des violences en Irak. En tant qu'auteurs de ces violences ou en tant que spectateurs des violences commises par les unités locales que l'occupation a entretenue et qu'elle continue à protéger, soutenir, entraîner et guider.


Les atrocités nouvellement rapportées soulignent encore plus la responsabilité générale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi que celle de leurs alliés politiques locaux, dans le climat de chaos et de violence résultant de l'invasion et de l'occupation de l’Irak. En témoignent la myriade d'échecs dans l'approvisionnement de sécurité de base, de services indispensables, de régénération économique, et d'un cadre constitutionnel et administratif permettant d'en finir avec la crise de la société irakienne.


Les abus rapportés dans ces révélations, en plus de tous les crimes US et britanniques déjà connus, doivent servir de rappel : les éléments de violence communautaire (par opposition au régime de répression et de terreur) expérimentés en Irak ces dernières années résultent de l'occupation elle-même.


L'occupation et la destruction de l'Etat a poussé les Irakiens à chercher la protection au sein de leurs communautés. Et les nouvelles institutions établies ont été essentiellement construites sur base d'identités sectaires et ethniques. Les carnets de bords montrent que les forces d'occupation, au lieu d'enquêter sur les abus, de chercher à en punir les auteurs et de protéger les citoyens, ont terrorisé la population irakienne et donné du pouvoir aux intégristes. L'occupation a acquiescé aux déplacements massifs de population, et procédé à la construction de murs de béton pour séparer les communautés, même sans approbation préalable du gouvernement irakien. L’occupation a de ce fait créé un environnement hostile à des forces politiques démocratiques et nationalistes. Ce sont là les racines du processus sectaire politique hésitant ainsi que le fond de la répression grandissante et du comportement violent des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui opèrent aux côtés des troupes américaines.

Les escadrons de la mort

Ce que ces révélations n'ont pas encore dévoilé cependant, ce sont les détails des opérations des escadrons de la mort qui ont été responsables du meurtre de dizaines de milliers d'Irakiens. Des meurtres perpétrés simplement sur base d'identités communautaires et qui pèsent lourd dans l'issue politique et sociale actuelle du pays.


Ces révélations ne montrent pas non plus l'identité de ces escadrons de la mort organisés. Wikileaks ne révèle pas non plus les liens avec les Forces spéciales US qui continuent d'opérer en Irak et qui, par le passé, ont été impliquées avec des escadrons de la mort ailleurs dans le monde.


Les activités des mercenaires, les soi-disant « contractuels de sécurité », ne figurent pas non plus jusqu'ici dans les rapports de ces révélations.


En d'autres termes, ces documents révélés ne peuvent pas montrer une image complète de la violence et de la manière avec laquelle elle a été utilisée à des fins politiques et économiques.


Cependant ils fournissent un plus grand aperçu de la destruction mise en œuvre en Irak par l'occupation. Ils révèlent que les statistiques officielles et les comptes basés sur les données des médias concernant le nombre de victimes irakiennes, tels que l’Irak Body Count, ont sérieusement minimisés la véritable étendue des pertes humaines, et que les médias étrangers ont sérieusement sous-exposé l'étendue et la cruauté de la violence US et britannique à l'encontre des Irakiens.


Les révélations montrent la faible valeur accordée aux vies irakiennes dans cette soi-disant Operation Iraqi Freedom. Et beaucoup d'Irakiens feront la comparaison entre la destruction militaire injustifiée de vies irakiennes d’une part, et la récente décision du gouvernement irakien, dépendant des Etats-Unis, de dédommager pour un total de 400 millions de dollars une petite douzaine de citoyens américains qui ont souffert d'atteintes relativement mineures à leurs libertés sous l'ancien régime Saddam en 90 et 91.


Le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki a protesté : les révélations de Wikileaks sont politiquement motivées et servent à embarrasser l'actuel premier ministre intérimaire lui-même, ainsi qu’à détruire ses chances de rester au poste. Si c'était le cas, l'opportunité aurait dû être saisie il y a quelques mois, avant que Maliki ait acquis de la force pour rester en place au moment où il a procédé à la mise en œuvre de contrats pétroliers qui sapent la souveraineté irakienne sur ses ressources, et au moment où il a développé un soutien régional et international pour sa candidature en accordant plus de concessions aux Etats-Unis et à leurs alliés locaux les plus proches.


Les révélations montrent très clairement qu'il y a très peu de surveillance judiciaire des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui s'adonnent à la torture, aux mauvais traitements et aux meurtres. Bien que ceci ne soit pas vraiment une révélation pour les Irakiens qui subissent ces abus, cela met la lumière sur la question de l'indépendance, par opposition au contrôle politique des forces internes de sécurité. Cette question est une de celles qui perturbent la formation d'un nouveau gouvernement, alors que les élections ont eu lieu il y a plus de 7 mois.


Cependant, le problème principal en Irak reste que les Etats-Unis continuent de s'insinuer eux-mêmes dans les affaires irakiennes internes au travers d'accords iniques et par d'autres moyens. Personne ne peut faire confiance à l'indépendance politique des forces de sécurité alors même qu'il reste des milliers de troupes US dans ce pays qu'ils ont occupé et abusé.

Traduit de l'anglais par Elise Broyard pour Investig'Action
Source originale : stopwar

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