Avant que le conflit n’éclate, les dirigeants
du Front commun déclarent forfait !
Par Robert Luxley
Le 25 juin 2010, les représentantes et représentants du Front Commun des employées-és du secteur public québécois ont conclu une entente de principe à rabais avec le gouvernement, mettant fin subitement à la négociation et affaiblissant du même coup la riposte de la classe ouvrière aux mesures de sortie de crise du Capital.
L’entente porte sur des questions comme les salaires et la retraite, pour lesquelles les syndicats avaient fait alliance et formuler des revendications communes. Elle faisait suite et concluait une série d’autres ententes survenues les jours précédents sur les conditions de travail spécifiques de chacun des secteurs (santé, éducation, fonction publique, etc.). Les membres des syndicats auront à se prononcer avant la mi-septembre sur l’ensemble des ententes pour que le tout soit entériné.
Rappelons que l’an dernier, afin de négocier les conventions collectives de leurs membres du secteur public et pour être mieux en mesure d’affronter le gouvernement et son programme d’austérité budgétaire, les principales organisations syndicales au Québec s’étaient associées pour constituer le plus grand Front commun de l’histoire du Québec. Au total, il représentait près d’un demi-million de travailleuses et de travailleurs.
Outre le fait que la force du nombre constituait en elle-même une sérieuse menace pour le gouvernement, ce dernier était déjà particulièrement affaibli par une série de scandales et d’allégations de corruption et de patronage. D’autre part, le gouvernement libéral, en se lançant en même temps dans une attaque frontale contre toute la population en lui imposant de nouvelles coupures et tarifications avec son dernier budget (impôt-santé ; ticket modérateur pour des services de santé ; hausse des frais de scolarité ; hausse des factures d’Hydro-Québec ; réduction des prestations d’aide sociale pour les femmes monoparentales ou les personnes âgées ; loi obligeant toutes les administrations publiques de couper au moins 10% du personnel clérical ; gel de la masse salariale des employées-és de l’État, etc.), s’était complètement isolé et se retrouvait au plus bas dans les sondages.
Une coalition regroupant plusieurs syndicats, mouvements populaires et étudiants s’est mise sur pied et se prépare à lutter contre ces mesures d’austérité. Des dizaines de milliers de personnes sont déjà sorties dans les rues pour manifester contre le budget. Le 20 mars 2010, 75 000 membres du Front commun avaient manifesté en appui à leurs revendications. De plus, des sondages révélaient que la majorité de la population considéraient raisonnables et bien fondées ces revendications. Il se discutait de plus en plus la possibilité de joindre toutes les forces afin d’organiser une grève dite « sociale » contre le budget du gouvernement.
Il ne fait nul doute que tout ce contexte a contribué à amener le gouvernement à adoucir soudainement ses positions aux tables de négociation, en particulier dans le secteur de la Santé où les choses allaient au plus mal, et à rechercher un règlement négocié qui, sans lui être trop coûteux, soit rapidement conclu avant l’été pour désamorcer le risque que le mouvement syndical et les couches populaires se joignent contre lui à l’automne. Les directions syndicales ont vu là s’ouvrir une « fenêtre de règlement » et s’y sont précipitées pour bâcler « un règlement négocié ».
Pour rendre possible ce règlement, le gouvernement a dû préalablement retirer la presque totalité des importants reculs qu’il avait exigé au départ dans les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs. Il très probable que ces demandes de reculs aient été une tactique de négociation visant à rendre le statu quo intéressant. Néanmoins, selon ce que le gouvernement a déclaré, il avait prévu ces marges de manœuvre dans cette éventualité, tout en respectant le cadre de son budget. Il a fait quelques concessions mineures, par exemple, pour le régime de retraite. Dans le secteur de l’Éducation, l’entente permettrait la création de plusieurs centaines de postes et l’ajout de personnel. Dans la plupart des secteurs, afin de contrer les pénuries de personnel, il y a création de primes de disponibilité, consacrant du même coup cependant, les statuts précaires à temps partiel et sur la liste de rappel.
Témoignant d’une précipitation certaine à conclure la négociation, plusieurs questions importantes, comme la privatisation et la sous-traitance qu’on n’a pu réglées à temps sont référées à différents comités paritaires nationaux qui poursuivront la négociation, mais sans obligation de résultat, avec des budgets pré-déterminés et reconnaissant au gouvernement le dernier mot.
Dans la Santé, des revendications aussi importantes que le rapatriement au niveau de la négociation nationale de 26 matières ayant à être négociés localement, ont été abandonnées, et ce, en dépit d’un jugement de la Cour supérieure qui déclarait inconstitutionnelle la loi 30 adoptée en 2003 et qui avait arbitrairement imposé cette division.
Mais c’est au chapitre des salaires, principale revendication du Front commun, que le résultat est certainement le plus décevant, en particulier pour les salariées-és les moins nantis qui sont celles et ceux qui se sont le plus appauvris ces dernières années.
L’entente de principe maintient pour les trois premières années l’offre initiale du gouvernement, soit une hausse salariale totale de 2,25%. Cette offre avait pourtant été dénoncée à grand cris comme méprisante et inacceptable par les leaders du Front commun encore quelques jours avant la conclusion de l’entente.
Rappelons que la demande du Front commun était pour la même période de trois ans une hausse de 11,25%, calculée sur le salaire moyen du secteur public (cela signifiait une hausse plus importante pour les salaires en bas de la moyenne), avec en plus, une clause d’indexation si l’inflation venait à dépasser 2% par année. On voulait un rattrapage salarial parce que selon l’Institut de la statistique du Québec, les salaires des employées-és du secteur public, décrétés par des lois spéciales depuis plusieurs années, avaient pris beaucoup de retard et étaient inférieurs de près de 9% à ceux du secteur privé.
On demeure donc bien loin du compte. En considérant les taux d’inflation prévu (6,3%) par les économistes du Front commun eux-mêmes, les travailleuses et les travailleurs non seulement ne rattraperont rien, mais ils devraient voir leur pouvoir d’achat diminuer encore de plus de 4% pour cette période.
D’autre part, le Front commun a aussi finalement plié devant la volonté du gouvernement d’avoir une convention de 5 ans. Le gouvernement a offert une hausse de salaire de 1,75% et de 2% respectivement pour une quatrième et une cinquième année, avec un ajustement possible de 1% de plus en 2015 à la fin de la convention si l’inflation totale dépasse 6% durant les cinq années.
De plus l’entente prévoit que si la somme de la croissance du PIB en 2010 et en 2011 dépassait 8,3%, le gouvernement augmenterait les salaires d’un maximum de 0,5% de plus en 2012. Si la somme de la croissance du PIB de 2010 à 2012 dépassait 12,7%, le gouvernement augmenterait les salaires d’un maximum de 1,5% de plus en 2013 et si la somme de la croissance du PIB de 2010 à 2013 dépassait 17%, les salaires seraient augmentés d’un autre 1,5% au maximum en 2014.
Cette clause « croissance économique », risque peu de s’appliquer puisque cela exigerait une croissance moyenne du PIB de 4,25% par année ce qui est relativement élevé et ne s’est produit que rarement au Québec. En effet, de 2004 à 2008, durant la période de prospérité précédant la crise économique, le taux de croissance moyen n’avait été que de 3,5%. Mais, malgré tout, cela permet aux directions syndicales de prétendre qu’elles ont obtenu un règlement salarial de 10,5%, soit tout près de l’objectif de 11,25%. De toute façon, si d’aventure le PIB (nominal) connaissait une aussi forte croissance, il faut tenir compte que cela implique aussi, en général, un fort taux d’inflation.
Gouvernement, éditorialistes et patronat ont salué l’entente et en particulier la trouvaille des hausses de salaires liées à la croissance économique avec enthousiasme et l’ont déclaré « précédent historique ». Cela fait en sorte que, non seulement les travailleuses et les travailleurs vont faire les frais du redressement des finances publiques mises à mal par le sauvetage des entreprises capitalistes au prise avec leur crise économique, mais il est aussi introduit un principe de collaboration de classe qui consacre que désormais, la protection du pouvoir d’achat des travailleuses et des travailleurs sera conditionnelle à un enrichissement préalable des capitalistes. Le gouvernement prévoyant justement que la croissance économique sera de 17% au cours des quatre prochaines années, l’entente n’autorisera le maintien du pouvoir d’achat des travailleuses et des travailleurs que si la croissance dépasse ses prévisions.
Pourquoi les dirigeants syndicaux ont-ils accepté une entente semblable?
La direction du Front commun avait fait adopter dès le départ un cadre stratégique prévoyant un règlement rapide, arguant que l’expérience démontrait qu’il est très difficile de rétroagir sur une longue période passée (en particulier dans le cas des salaires) lorsqu’une négociation s’éternise. Le Front commun déclarait vouloir obtenir une nouvelle convention « négociée et satisfaisante » avant l’échéance de la précédente, échéance qui coïncidait justement avec le dépôt du nouveau budget du gouvernement.
En pratique, cela aurait voulu dire régler avant que les syndicats n’acquièrent le droit de grève. Connaissant le gouvernement Charest et le contexte économique, il était assez difficile d’imaginer pouvoir obtenir une convention « satisfaisante » sans lutter ou simplement en bluffant. Néanmoins, en autant qu’on ne se berce pas trop d’illusions, ce genre de position pouvait toujours se comprendre comme une tactique pour démontrer la bonne foi des syndicats et pousser la négociation au maximum.
Mais loin d’être intimidé par cette tactique, et malgré la manifestation-monstre de 75 000 personnes, le gouvernement a répliqué 5 jours avant fin de la convention-décret en cours, en déposant à la table de négociation du secteur de la Santé son offre globale comportant 42 reculs majeurs dans les conditions de travail et rejetant toutes les demandes syndicales.
Déçus, les leaders du Front commun ont alors décidé de demander la médiation prévue dans la loi. Dans la Santé, il fut décidé de soumettre aux membres les « offres patronales » et un plan d’action prévoyant la recherche de mandats de grève. Selon l’agenda prévu, la tenue des votes de grève devait se faire au début de l’automne pour la déclencher peu après. Selon les tracts officiels distribués aux membres, le rejet des offres fut massif et le plan d’action fut « adopté sans hésitation ».
Cependant, pour faire accepter l’entente de principe lors de la réunion des déléguées-és du secteur de la Santé à la CSN, on a fait part d’une évaluation différente de l’état de la mobilisation pour la grève, qu’on disait plutôt faible. Les leaders syndicaux craignaient de plus que le gouvernement ne réplique à une grève par une loi spéciale en imposant à nouveau un décret qui écraserait toute résistance.
Mais même en supposant que la mobilisation ne fusse pas encore suffisante, pourquoi alors ne pas avoir continué la négociation et ne pas avoir attendu de réunir les conditions requises pour obtenir une convention vraiment satisfaisante ? Après tout, c’était encore bien tôt puisque l’ancienne convention venait juste de se terminer et les syndicats n’avaient même pas encore acquis le droit de grève, forcés d’attendre la fin du processus obligatoire de médiation.
C’est qu’obtenir satisfaction dans le cadre budgétaire décidé par le gouvernement étant absolument impossible, il fallait nécessairement renverser ce budget, affronter le gouvernement et lui infliger la défaite, ce qui n’était possible qu’en faisant une grève résolue. Une telle grève aurait pris un caractère éminemment politique, l’affrontement aurait été majeur, classe contre classe. Évidemment, cela n’était pas sans risque, le risque étant d’autant plus grand que les objectifs poursuivis et les enjeux sont importants. Il aurait donc fallu beaucoup de volonté et d’audace.
Par contre, il existait des facteurs très favorables. Il aurait probablement été possible de conjuguer les immenses forces du Front commun avec la large Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, avec les étudiantes et les étudiants qui vont sans doute protester contre la hausse des frais de scolarité à l’automne, et possiblement, même avec les 140 000 ouvriers de la construction qui allaient peut-être tomber en grève à la fin d’août. Il y avait là un énorme potentiel de lutte.
Malheureusement, tout au long de la négociation, les leaders syndicaux ont au contraire toujours strictement limité les objectifs du Front commun à l’atteinte d’une convention collective, refusant de lui assigner la tâche de lutter directement contre le budget d’austérité. Ainsi, bien qu’elles n’eussent pas dédaigné profiter de la grogne populaire contre le gouvernement, les hautes directions des centrales syndicales ont toujours refusé de participer à la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. De façon assez caractéristique des conceptions réformistes, certains leaders syndicaux vont jusqu’à prétendre qu’une fois la négociation réglée, il deviendra plus facile de poursuivre la lutte sur le terrain politique et dans les établissements, notamment contre les coupures de personnel clérical.
Quelles perspectives ?
Dans les négociations dans le secteur de la construction, l’association patronale s’appuyait sur le règlement salarial du secteur public pour justifier ses les offres aux travailleurs. Ces derniers les refusaient et menaçaient d’aller en grève. Cela illustre éloquemment la valeur de ce règlement.
Malgré que le règlement du secteur public ait affaibli le mouvement de riposte, celui-ci n’est pas éteint. Les 55 000 infirmières et membres FIQ qui ont rejeté le règlement sectoriel de la Santé pourraient aller en grève à l’automne. La lutte pour la sauvegarde des services publics et contre la privatisation reste entière. Le mouvement étudiant risque toujours d’entrer en action à l’automne. Bref, tout n’est pas perdu.
Bien que cela soit très difficile, plusieurs militantes et militants syndicaux dans le secteur public essaient de s’organiser pour faire rejeter par la base l’entente de principe. Des voix lancent l’idée intéressante qu’il est plus que nécessaire d’organiser au sein des organisations syndicales une gauche syndicale plus cohérente.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire