Suzanne Loiselle et Raymond Legault - Membres du Collectif Échec à la guerre
Le devoir, Édition 14 juin 2010
Le 3 juin 2010, les médias faisaient écho aux déclarations de membres du Comité parlementaire sur la mission canadienne en Afghanistan, à leur retour d'une visite éclair dans ce pays. Porte-parole libéral en matière d'Affaires étrangères et membre du comité, Bob Rae ouvrait clairement la porte à la poursuite d'une présence militaire du Canada en Afghanistan après juillet 2011.
En réponse à cette ouverture, le premier ministre Stephen Harper réitérait la position qu'il professe depuis plusieurs mois: «Nous planifions la fin de la mission militaire en Afghanistan à la fin de 2011, selon la résolution parlementaire de 2008, et la transition de cette mission vers une mission civile de développement et d'aide humanitaire.»
Un engagement gouvernemental non crédible
En politique étrangère, Stephen Harper a toujours préconisé un alignement des positions canadiennes sur celles des États-Unis, y compris en ce qui concerne les interventions militaires. Ironiquement, la politique qui concrétise, en 2008, les orientations de son gouvernement en matière de défense se nomme Le Canada d'abord. Cette politique engage le Canada dans un processus de militarisation sans précédent, prévoyant des dépenses militaires de l'ordre de 490 milliards de dollars pour les vingt prochaines années. Elle affirme notamment que le Canada doit «faire preuve de leadership à l'étranger en prenant une place importante dans les opérations outre-mer», ces opérations pouvant se dérouler tout aussi bien sous l'égide des Nations Unies que de l'OTAN ou même tout simplement «avec des États alignés».
Les engagements récents du gouvernement en matière de construction navale — 35 milliards pour les trente prochaines années, dont plus de 80 % pour des navires militaires — et l'accélération du processus d'acquisition de nouveaux avions de chasse confirment cette orientation. Par la taille de son budget de «défense», le Canada est maintenant la 13e puissance militaire du monde.
Un retrait en 2011?
Le virage militariste de la politique étrangère du Canada a été amorcé il y a plusieurs années. En effet, dès la fin de la guerre froide, le Canada s'est engagé, aux côtés des États-Unis, dans des interventions militaires offensives notamment en Irak (1991), au Kosovo (1999) et en Afghanistan (2002). À la suite des attentats du 11 septembre 2001 — et surtout après le refus canadien de participer officiellement à l'invasion de l'Irak et au bouclier antimissile —, les pressions étasuniennes se sont accrues pour exiger du Canada un alignement sans faille de sa politique étrangère et militaire sur celle des États-Unis.
Le virage fut officialisé en 2005 sous le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin par l'annonce d'une augmentation des dépenses militaires de 12,8 milliards de dollars sur cinq ans, la publication d'un nouvel Énoncé de politique internationale, la signature du Partenariat pour la sécurité et la prospérité et l'annonce de l'envoi d'un groupe de combat des Forces canadiennes à Kandahar. Le gouvernement Harper n'a fait que renchérir sur cette orientation.
Tout cela n'annonce donc pas le retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan l'an prochain. Et l'évolution actuelle de la guerre d'occupation étrangère dans ce pays rend un tel retrait encore plus improbable. Car alors que l'opposition armée au régime Karzaï gagne de plus en plus de terrain, l'administration Obama s'est récemment engagée à gagner cette guerre qui est en voie de devenir son front d'intervention militaire principal. Les pressions étasuniennes pour que les troupes canadiennes demeurent en Afghanistan après 2011 s'exercent déjà, même publiquement, comme en témoignent les commentaires de la secrétaire d'État Hillary Clinton à l'émission The Hour de CBC le 30 mars dernier.
Ambiguïté
Plusieurs auront aussi remarqué que les déclarations conservatrices recèlent une ambiguïté quant au retrait envisagé: retrait de l'Afghanistan ou retrait de Kandahar? Le libellé de la motion parlementaire du 13 mars 2008 entretient également un peu cette confusion, mais il statue quand même clairement sur le maintien d'une «présence militaire à Kandahar au-delà de février 2009, jusqu'à juillet 2011», à la condition expresse, notamment, que «le gouvernement du Canada informe l'OTAN que notre pays mettra fin à sa présence à Kandahar dès juillet 2011, date à laquelle le redéploiement des troupes des Forces canadiennes à l'extérieur de Kandahar et leur remplacement par les forces afghanes débutera dès que possible, pour se terminer dès décembre 2011». En somme, la proposition d'un déploiement des troupes canadiennes en Afghanistan, ailleurs qu'à Kandahar, n'entrerait pas en contradiction avec la motion parlementaire de mars 2008!
Gagner du temps
Le gouvernement conservateur n'a pas du tout l'intention de procéder au retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan. Stephen Harper veut simplement gagner du temps. Il évite ainsi un véritable débat public sur cette question, sur laquelle l'opinion publique canadienne ne lui est pas favorable. Et il espère une conjoncture qui lui permettrait de déclencher des élections sans jamais avoir à aborder sérieusement le sujet et sans avoir à justifier le fait que les officiels canadiens ont transféré, en toute connaissance, des centaines de prisonniers afghans à la torture.
Le gouvernement Harper utilise également cet «engagement» au retrait des troupes canadiennes comme levier de marchandage auprès de l'administration Obama pour obtenir le maximum d'avantages économiques et politiques en échange non seulement de la poursuite de l'implication militaire canadienne dans l'occupation de l'Afghanistan, mais en échange aussi d'un appui aux objectifs étasuniens entourant l'adoption d'un nouveau concept stratégique de l'OTAN l'automne prochain.
Et l'opposition?
La majorité de la population canadienne, y compris une très forte majorité de la population québécoise, s'oppose à la guerre en Afghanistan. Or, il est déjà clair qu'elle ne peut pas compter sur le Parti libéral pour traduire son opposition et encore moins pour exiger un véritable débat public sur le rôle du Canada et de l'armée canadienne dans le monde.
Tout en posant un certain nombre de questions, le Bloc québécois ne remet pas non plus fondamentalement en question le virage militariste du Canada. Dans le débat récent sur le renouvellement coûteux des avions de chasse, les interventions des partis d'opposition — même pour le NPD — se sont concentrées sur l'exigence d'un véritable appel d'offres et de bonnes retombées pour le Canada ou le Québec. Alors qu'il aurait été primordial de rappeler qu'il s'agit d'engins de guerre avec lesquels le Canada a déjà participé à détruire les infrastructures civiles d'autres pays (Irak en 1991 et Serbie en 1999) et d'exiger un véritable débat public sur le sens à donner à la sécurité du Canada et du monde et sur la meilleure façon de les assurer.
Pour favoriser cette réflexion et relancer la nécessaire mobilisation de la société civile sur ces enjeux, le Collectif Échec à la guerre tiendra en novembre prochain un Sommet populaire québécois contre la guerre et le militarisme.
En réponse à cette ouverture, le premier ministre Stephen Harper réitérait la position qu'il professe depuis plusieurs mois: «Nous planifions la fin de la mission militaire en Afghanistan à la fin de 2011, selon la résolution parlementaire de 2008, et la transition de cette mission vers une mission civile de développement et d'aide humanitaire.»
Un engagement gouvernemental non crédible
En politique étrangère, Stephen Harper a toujours préconisé un alignement des positions canadiennes sur celles des États-Unis, y compris en ce qui concerne les interventions militaires. Ironiquement, la politique qui concrétise, en 2008, les orientations de son gouvernement en matière de défense se nomme Le Canada d'abord. Cette politique engage le Canada dans un processus de militarisation sans précédent, prévoyant des dépenses militaires de l'ordre de 490 milliards de dollars pour les vingt prochaines années. Elle affirme notamment que le Canada doit «faire preuve de leadership à l'étranger en prenant une place importante dans les opérations outre-mer», ces opérations pouvant se dérouler tout aussi bien sous l'égide des Nations Unies que de l'OTAN ou même tout simplement «avec des États alignés».
Les engagements récents du gouvernement en matière de construction navale — 35 milliards pour les trente prochaines années, dont plus de 80 % pour des navires militaires — et l'accélération du processus d'acquisition de nouveaux avions de chasse confirment cette orientation. Par la taille de son budget de «défense», le Canada est maintenant la 13e puissance militaire du monde.
Un retrait en 2011?
Le virage militariste de la politique étrangère du Canada a été amorcé il y a plusieurs années. En effet, dès la fin de la guerre froide, le Canada s'est engagé, aux côtés des États-Unis, dans des interventions militaires offensives notamment en Irak (1991), au Kosovo (1999) et en Afghanistan (2002). À la suite des attentats du 11 septembre 2001 — et surtout après le refus canadien de participer officiellement à l'invasion de l'Irak et au bouclier antimissile —, les pressions étasuniennes se sont accrues pour exiger du Canada un alignement sans faille de sa politique étrangère et militaire sur celle des États-Unis.
Le virage fut officialisé en 2005 sous le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin par l'annonce d'une augmentation des dépenses militaires de 12,8 milliards de dollars sur cinq ans, la publication d'un nouvel Énoncé de politique internationale, la signature du Partenariat pour la sécurité et la prospérité et l'annonce de l'envoi d'un groupe de combat des Forces canadiennes à Kandahar. Le gouvernement Harper n'a fait que renchérir sur cette orientation.
Tout cela n'annonce donc pas le retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan l'an prochain. Et l'évolution actuelle de la guerre d'occupation étrangère dans ce pays rend un tel retrait encore plus improbable. Car alors que l'opposition armée au régime Karzaï gagne de plus en plus de terrain, l'administration Obama s'est récemment engagée à gagner cette guerre qui est en voie de devenir son front d'intervention militaire principal. Les pressions étasuniennes pour que les troupes canadiennes demeurent en Afghanistan après 2011 s'exercent déjà, même publiquement, comme en témoignent les commentaires de la secrétaire d'État Hillary Clinton à l'émission The Hour de CBC le 30 mars dernier.
Ambiguïté
Plusieurs auront aussi remarqué que les déclarations conservatrices recèlent une ambiguïté quant au retrait envisagé: retrait de l'Afghanistan ou retrait de Kandahar? Le libellé de la motion parlementaire du 13 mars 2008 entretient également un peu cette confusion, mais il statue quand même clairement sur le maintien d'une «présence militaire à Kandahar au-delà de février 2009, jusqu'à juillet 2011», à la condition expresse, notamment, que «le gouvernement du Canada informe l'OTAN que notre pays mettra fin à sa présence à Kandahar dès juillet 2011, date à laquelle le redéploiement des troupes des Forces canadiennes à l'extérieur de Kandahar et leur remplacement par les forces afghanes débutera dès que possible, pour se terminer dès décembre 2011». En somme, la proposition d'un déploiement des troupes canadiennes en Afghanistan, ailleurs qu'à Kandahar, n'entrerait pas en contradiction avec la motion parlementaire de mars 2008!
Gagner du temps
Le gouvernement conservateur n'a pas du tout l'intention de procéder au retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan. Stephen Harper veut simplement gagner du temps. Il évite ainsi un véritable débat public sur cette question, sur laquelle l'opinion publique canadienne ne lui est pas favorable. Et il espère une conjoncture qui lui permettrait de déclencher des élections sans jamais avoir à aborder sérieusement le sujet et sans avoir à justifier le fait que les officiels canadiens ont transféré, en toute connaissance, des centaines de prisonniers afghans à la torture.
Le gouvernement Harper utilise également cet «engagement» au retrait des troupes canadiennes comme levier de marchandage auprès de l'administration Obama pour obtenir le maximum d'avantages économiques et politiques en échange non seulement de la poursuite de l'implication militaire canadienne dans l'occupation de l'Afghanistan, mais en échange aussi d'un appui aux objectifs étasuniens entourant l'adoption d'un nouveau concept stratégique de l'OTAN l'automne prochain.
Et l'opposition?
La majorité de la population canadienne, y compris une très forte majorité de la population québécoise, s'oppose à la guerre en Afghanistan. Or, il est déjà clair qu'elle ne peut pas compter sur le Parti libéral pour traduire son opposition et encore moins pour exiger un véritable débat public sur le rôle du Canada et de l'armée canadienne dans le monde.
Tout en posant un certain nombre de questions, le Bloc québécois ne remet pas non plus fondamentalement en question le virage militariste du Canada. Dans le débat récent sur le renouvellement coûteux des avions de chasse, les interventions des partis d'opposition — même pour le NPD — se sont concentrées sur l'exigence d'un véritable appel d'offres et de bonnes retombées pour le Canada ou le Québec. Alors qu'il aurait été primordial de rappeler qu'il s'agit d'engins de guerre avec lesquels le Canada a déjà participé à détruire les infrastructures civiles d'autres pays (Irak en 1991 et Serbie en 1999) et d'exiger un véritable débat public sur le sens à donner à la sécurité du Canada et du monde et sur la meilleure façon de les assurer.
Pour favoriser cette réflexion et relancer la nécessaire mobilisation de la société civile sur ces enjeux, le Collectif Échec à la guerre tiendra en novembre prochain un Sommet populaire québécois contre la guerre et le militarisme.
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