mercredi 15 avril 2020

"Notre victoire tient de notre militantisme au quotidien" : rencontre avec Diana Kdouh, élue communiste

Adrien Welsh 

En France, il existe une longue tradition d’élus communistes locaux. Comme le notait Georges Marchais dans son livre L’espoir au présent, en 1980, “Le Parti communiste français compte vingt-huit mille élus, mille cinq cents maires, près de cinq cents conseillers généraux. Un Français sur cinq vit dans une municipalité à direction communiste.”

1980, ça fait déjà 40 ans, et certes la présence du PCF s’est estompée, en particulier des suites de la contre-révolution en Europe de l’Est et en URSS. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore, on retrouve bon nombre de “villes rouges”, en particulier dans les banlieues ouvrières autour des centres urbains. Une expression consacrée existe pour identifier ces centres de pouvoir qui échappent aux partis bourgeois: les “ceintures rouges”. L’héritage de villes communistes y est si fort qu’on emploie parfois même le terme quoique vulgaire de “communisme municipal” pour les identifier. En effet, certaines mairies sont tenues par le PCF depuis les années 1920 (c’est notamment le cas de Malakoff en banlieue parisienne), mais l’histoire communiste de la plupart de ces villes rouges commence à la Libération, en 1945.

C’est notamment le cas de St-Martin d’Hères, banlieue de la “ceinture rouge” de Grenoble où, dès le premier tour des dernières municipales, le 15 mars dernier, la liste communiste a été votée à plus de 53% des voix. Ainsi, depuis 75 ans, les habitant-es de cette banlieue populaire et ouvrière ont témoigné de leur confiance envers les communistes comme les plus à même de défendre les différentes conquêtes sociales. Cette victoire est d’autant plus savoureuse que les listes opposées au PCF avaient toutes pour objectif principal d’en finir avec 75 ans de communisme municipal à St-Martin d’Hères.

Pour mieux analyser cette victoire locale, j’ai, pour Jeunesse militante, contacté une amie et camarade de longue date, Diana Kdouh, jeune communiste et conseillère municipale de la majorité communiste de St-Martin d’Hères.

D’emblée, elle souligne que la victoire du PCF dans cette commune rouge tient avant tout au travail de terrain effectué par la section communiste locale au quotidien (diffusion de tracts, rassemblements, réunions publiques, banquets, etc.) et non au travail “électoraliste”. “Les porte-à-porte que nous avons menés ont été plus centrés sur du concret qu’en rapport avec la politique municipale”, affirme-t-elle.

Elle ajoute: “Les enjeux principaux et perspectives étaient de militer pour que les Martinérois-es conservent un service public de qualité répondant à leurs attentes et besoins par notre programme [...] à l'échelle communale, parfois même au-delà de nos prérogatives.”

Au cours des municipales, l’un des enjeux à l’échelle nationale consistait, pour le pouvoir en place, de s’implanter localement. En effet, le Parti politique d’Emmanuel Macron n’existait pas il y a trois ans. Ces élections avaient donc une saveur de plébiscite envers la politique du gouvernement qui, selon les résultats préliminaires (le 2e tour ayant été annulé à cause de la pandémie de COVID-19), semble s’être soldé par un échec pour Macron et La République en marche (LREM).

À St-Martin d’Hères, le refus des politiques anti-sociales (notamment la réforme des retraites) de Macron est clair. La liste LREM n’a obtenu que 15% des suffrages. “Même si [son] score n’est pas à être négligé, le pari de Macron à St-Martin d’Hères n’est pour l’instant pas réussi. Notre avant-garde y veille!”

Même son de cloche concernant le Rassemblement national (héritier du Front national des Le Pen) qui a le vent dans les voiles globalement, y compris dans certaines communes de la région dont Échirolles où il récolte 20% des voies. Pourtant, à St-Martin, il n’y a non seulement aucune liste RN, mais leurs militant-es ne sont pas bienvenus et n’ont aucun droit de cité dans la ville rouge. Notre camarade remarque à ce sujet que “là où les communistes défendent des positions de classe au quotidien, il n’y a pas de place pour l’extrême-droite”.

Le premier tour des municipales a été marqué par le taux de participation le plus bas depuis la 5e République: un peu plus de 44%. Évidemment, le scrutin s’est tenu dans le cadre du début de pandémie de COVID-19, ce qui a eu pour effet de décourager plusieurs citoyen-nes d’aller voter. Comme le note notre camarade martinéroise, même des soutiens de longue de date du PCF ne se sont pas mobilisés. Ceci étant, il serait faux de croire que ce taux d’abstention soit dû uniquement à la COVID-19. “L’abstention atteint des records, même avant la pandémie si on regarde les élections présidentielles et législatives. L’idéologie dominante a assis sa politique de résignation et de fatalisme” nous dit Diana.

Elle conclut l’entretien en soulignant que son rôle d’élue communiste n’a rien à voir avec une tâche de gestion ni d’administration municipale. Pour elle et pour les communistes, “l’échelle municipale comme n’importe quelle autre échelle [...] doit être un point d’appui, une tribune de mise en avant de nos luttes et revendications.”

En d’autres termes, les élu-es communistes ont d’abord et avant tout vocation à utiliser leur statut d’élu-es pour être plus à même de renforcer la lutte des masses populaires contre leurs exploiteurs. C’est ainsi que des élu-es communistes n’ont jamais hésité à délaisser leurs bancs soit du Sénat, soit aux Conseils municipaux pour bloquer le passage d’huissiers prêts à déloger des travailleur-euses de leurs logis et c’est ainsi qu’ils n’ont jamais hésité à défiler aux premiers rangs des manifestations avec leur écharpe tricolore en priorité du travail politicien.

Cependant, il serait également erroné de croire qu’une municipalité communiste serait un oasis de socialisme dans une mer de capitalisme, loin s’en faut. Bien sûr, les élus communistes ont pour vocation d’améliorer à la fois les conditions de vie et de travail des citoyen-nes, mais il reste que la conquête du pouvoir par la classe ouvrière ne saurait se résumer à la conquête des différents échelons de gouvernance cà et là, comme on l’entend souvent.

S’il est un point sur lequel notre camarade insiste, c’est bien que les élections doivent être un moyen de renforcer nos luttes quotidiennes, mais surtout pas l’inverse. La lutte des classes vient avant la lutte des places.

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