L’idée d’université mise en péril
Le projet de loi élaboré par la
direction de l’Université de Montréal afin de reconfigurer radicalement
sa loi constitutive et de redéfinir la vocation même de cette
institution a été unanimement dénoncé par l’assemblée de la faculté de
droit de l’UdeM*. Puisque la pilule qu’on destine à notre université
sera fort probablement administrée aux autres institutions
universitaires du Québec dans un avenir plus ou moins rapproché, il
paraît essentiel de dénoncer ce qui se dissimule derrière le jargon
juridique du projet de loi.
Au cœur de cette réforme loge
l’idée que c’est en dépossédant la communauté universitaire du pouvoir
qu’elle a de se penser elle-même qu’on ramènera l’efficacité au sein de
l’institution.
Les décisions les plus fondamentales sur ce qu’est
une université et sur sa fonction relèveront dorénavant en majorité de
personnes pour qui les professeurs d’université et les doyens de faculté
sont de simples employés. C’est oublier que les professeurs, les
étudiants et autres membres de la communauté sont l’université, qu’ils
sont au service non pas des entreprises ou d’autres corporatismes
cherchant un bénéfice immédiat, mais au service de la communauté du
Québec d’aujourd’hui et de demain.Si l’on bride la communauté universitaire entendue dans son sens large, on mettra à mal une autonomie qui, à l’échelle occidentale, a mis quelque 900 ans à se construire et à s’imposer pour le plus grand bénéfice de tous. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, on se serait attendu à plus de transparence de la part des promoteurs du projet de loi au sujet de l’étendue des impacts de cette réforme sur la vocation même de l’institution universitaire.
Cette réforme, comme celles qu’elle inspirera certainement, se fonde sur la prémisse que des personnes « externes » à l’université sauront, mieux que la communauté universitaire, distinguer la pensée « utile » de celle qui ne l’est pas. En somme, on pense que les chefs d’entreprise et autres membres « externes » réussiront là où les puissances ecclésiastiques d’autrefois ont échoué, et sauront identifier les « vérités » qui méritent qu’on s’y attarde.
C’est oublier que le bagage d’« inutile » est souvent ce qui fait l’originalité de pensée de ceux qui font œuvre « utile ».
L’idée d’université doit se confondre avec celle d’un espace où l’être humain se révèle à lui-même. La fonction d’une université publique est bien sûr de former des experts de premier plan, mais elle doit surtout refléter la nécessité de doter les générations montantes de la capacité de comprendre le monde dans toute sa complexité. Notre humanité ne se limite pas à ce qui peut être comptabilisé. Elle doit s’ouvrir sur le monde.
Envisagée dans une telle perspective, une université n’est pas une institution facile à gouverner ; il n’est jamais aisé, en particulier, de décider ce qu’il faut garder et ce qui doit plutôt être réformé ou abandonné. Mais le projet de loi – mis de l’avant sans explications, en dehors de tout processus de concertation – maquille, sous des dehors liés à la gouvernance, une volonté de brider l’autonomie des professeurs, de leurs doyens, des étudiants et du personnel.
Les promoteurs de ce projet de loi pensent manifestement que ceux qui effectuent depuis toujours ces choix difficiles n’ont pas ou n’ont plus la compétence pour ce faire. Déposséder la communauté universitaire de son pouvoir de gouvernance est devenue leur idée fixe. Soit. Mais s’accrocher à une idée fixe est le meilleur moyen de n’aller nulle part.
* Pierre Trudel, Pierre Noreau, Anne-Marie Boisvert, Gilles Trudeau, Karim Benyekhlef, Daniel Turp, Marie Annik Grégoire, Matthew P. Harrington, Danielle Pinard, Patrice Deslauriers, Isabelle Duplessis, Noura Karazivan, Renée-Claude Drouin, Jeffrey Talpis, Julie Biron, Violaine Lemay, Helène Trudeau, Catherine Piché, Michel Morin, Martine Valois, Konstantia Koutouki, Sophie Morin, Stéphane Beaulac, Gérald Goldstein, Nicolas Vermeys, Catherine Régis, Élise Charpentier, Hugo Tremblay, Annick Provencher, Luc B. Tremblay, Emmanuel Darankoum, Amissi M. Manirabona, professeurs, faculté de droit, Université de Montréal
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