Suite au terrible attentat à Ouagadougou, qui a fait 30 morts, les médias ont unanimement fait écho aux propos de Madame Camille Carrier, mère de l’une des six victimes québécoises. Elle décriait en ces termes la promesse électorale de Justin Trudeau (non encore appliquée) de mettre fin à la participation canadienne aux bombardements aériens coordonnés par les États-Unis en Irak et en Syrie : « Heille, il y a six Québécois de touchés. Pis de savoir qu’il ne participe pas aux combats (…) Il veut envoyer des couvertes… qu’il aille donc les abattre, ces gens-là ». Des éditorialistes et autres commentateurs politiques ont renchéri en qualifiant de faible, d’idéaliste ou de dépassée toute position autre que celle de faire la guerre à « cet ennemi [qui] veut tuer des Occidentaux. Même lorsque nous ne sommes que de dévoués travailleurs humanitaires venus pour aider à construire des écoles et des puits » (Antoine Robitaille, Le Devoir, 20 janvier 2016).
Si on peut facilement comprendre la douleur, la révolte et la colère d’une mère ayant perdu sa fille aussi tragiquement, on ne peut s’empêcher de voir dans ses paroles et dans leurs échos médiatiques un dangereux appel à une riposte de l’Occident qui ferait totalement fi de ses responsabilités et de celles de ses proches alliés au Moyen-Orient dans la genèse de ce type de terrorisme, et de l’échec lamentable de la soi-disant « guerre contre le terrorisme ».
Des victimes par dizaines, voire par centaines de milliers
« Heille », serait-on tenté de répondre, à côté des quelques milliers de victimes occidentales d’attentats djihadistes depuis 2001, pourquoi ne pas voir aussi les CENTAINES de milliers de victimes – très majoritairement civiles – engendrées par les guerres d’occupation qu’ont menées les États-Unis et leurs alliés en Irak et en Afghanistan, par la guerre civile et ses commanditaires extérieurs en Syrie, par les bombardements occidentaux en Libye? Pourquoi ne pas essayer de saisir le portrait global qui s’en dégage et d’en comprendre les sources?
La douleur extrême ressentie par Madame Carrier et les proches des victimes occidentales a été ressentie par un nombre bien plus grand de personnes sur d’autres continents. Mais elles sont demeurées anonymes et sans visages pour nous. Des proches d’enfants et d’enseignant.e.s bombardés dans leurs écoles… Des proches de malades et de personnel soignant bombardés dans leurs hôpitaux ou leurs cliniques… Des proches de familles bombardées lors de cérémonies ou de réceptions de mariage… Des proches de milliers de jeunes gens torturés… etc.
« Bavures » et « dommages collatéraux » sont les termes aseptisés dont on enrobe ces drames-là pour l’opinion occidentale, à la fois pour les déshumaniser et pour occulter leur illégalité au regard du droit international. Mais leur impact là-bas, est toujours le même : à chacun de ces drames, de nouveaux djihadistes sont recrutés, motivés par la douleur, la révolte, la colère et prêts à « aller abattre ces gens-là ». Et « ces gens-là » faut-il le rappeler, ce sont d’abord des Musulmans chiites – de loin les plus nombreuses victimes du djihadisme d’inspiration wahhabite – ensuite des membres des minorités religieuses (chrétiennes et autres) de ces pays ravagés par la guerre et, seulement en bout de ligne, des victimes occidentales.
Un fléau en grande partie créé et alimenté par l’Occident et ses alliés
La responsabilité des États-Unis et de leurs alliés occidentaux de l’OTAN ne se limite pas à celle, indirecte, de créer de nouveaux djihadistes par les innombrables drames humains qu’entraînent leurs guerres dans des pays lointains. Et ceux qui critiquent le caractère malhabile et creux des déclarations récentes du Premier ministre Trudeau concernant la guerre en Syrie et en Irak sont dans la position de ceux qui ne voient qu’un arbre qui leur cache la forêt. Car depuis des années, la phrase creuse et mensongère suprême est justement celle de la « guerre contre le terrorisme ».
Bien loin de mener une guerre conséquente contre le terrorisme djihadiste, de nombreuses enquêtes ont révélé que les États-Unis ont, secrètement et constamment, instrumentalisé ce terrorisme pour l’avancement de leurs intérêts stratégiques, souvent en le finançant, en l’armant et en l’entraînant ou en laissant leurs alliés moyen-orientaux le faire. Évidemment, cette instrumentalisation s’est régulièrement retournée contre eux, mais ils n’y ont pas renoncé pour autant lorsqu’ils passaient à de nouveaux « théâtres d’opération ».
On n’a qu’à penser d’abord à l’appui étasunien à Oussama Ben Laden et à ses moudjahidines dans leur guerre contre l’URSS et le régime communiste local en Afghanistan dans les années 1980. Plus récemment, en Libye, par leurs bombardements mais aussi par les tractations de leurs forces spéciales et de leurs services de renseignement, ils ont non seulement entraîné la chute du régime de Mouammar Gaddafi mais favorisé l’armement et la montée en force des djihadistes dans ce pays, maintenant devenu totalement chaotique. De même, dans la poursuite de leur objectif de renverser le régime de Bachar el-Assad en Syrie, les États-Unis ont favorisé le transfert d’armes et de combattants de la Libye vers la Syrie et laissé leurs très proches alliés – en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar – financer l’État islamique (EI), Jabhat al-Nusra et d’autres groupes djihadistes ou, dans le cas de la Turquie, laisser passer librement leurs combattants à travers leurs frontières ou même acheter et revendre le pétrole produit par l’EI. De façon plus générale, les États-Unis ont aussi maintenu une très étroite alliance stratégique avec l’Arabie saoudite, alors que ce pays dépense des milliards de dollars chaque année pour disséminer partout dans le monde le wahhâbisme, ce courant particulièrement rétrograde et sectaire de l’Islam sunnite dont se revendiquent les groupes djihadistes. Avec le résultat, comme l’écrit le journaliste britannique Patrick Cockburn dans son livre « The Rise of Islamic State », que l’on se retrouve maintenant face à « un mouvement cent fois plus gros et bien mieux organisé qu’Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden » (notre traduction).
Quoi faire ?
La seule véritable façon d’en finir avec les attentats dont sont victimes les Occidentaux dans leurs pays ou à l’étranger est d’abord et avant tout de mettre un terme aux politiques hégémoniques et guerrières de l’Occident qui sont menées sous le couvert fallacieux de la « guerre contre le terrorisme ». Dans le cas du Canada, il faudrait non seulement retirer les CF-18, mais aussi les forces spéciales canadiennes, et cesser toute participation à la guerre en Irak et en Syrie. Il faudrait également rompre nos contrats militaires avec l’Arabie saoudite et dénoncer le rôle particulièrement pernicieux que joue ce pays dans le monde et la protection que lui accordent les États-Unis. Voilà tout un programme à réaliser ! D’autant plus qu’en matière d’affaires étrangères et de guerre, probablement plus que dans tout autre domaine, c’est le 1 %, les puissants, qui déterminent les politiques et les 99 % de la population qui en gobent la propagande, en paient les coûts et en subissent les conséquences.
[1] Les auteurs sont des porte-paroles du Collectif Échec à la guerre, mais ils s’expriment ici à titre personnel.
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