samedi 25 avril 2020

Álvaro Cunhal en toute transparence



Note: cet article suit un commentaire de texte rédigé en juin dernier au sujet de la Lettre au jeune communiste d'Eduardo Gallegos Mancera.


Par Adrien Welsh

Deuxième étape dans la série de chroniques sur certains ouvrages cardinaux de communistes du monde entier, le Portugal. Le choix de cette “destination” est tout justifié alors qu’aujourd’hui, 25 avril, des millions de Portugais-es célèbrent le 46e anniversaire du renversement de la dictature fasciste.
S’il est vrai que c’est le Mouvement des forces armées (un réseau de militaires antifasciste) qui a sonné le glas du régime de l’Estado Novo, il n’en demeure pas moins que c’est grâce à l’activité du Parti communiste portugais clandestin, seul parti politique organisé durant les 47 ans qu’a durés la dictature que se sont créés différents réseaux auprès des masses, fissurant la forteresse brune de Salazar - Caetano. Si le Parti a su maintenir un lien privilégié avec la classe ouvrière, les intellectuels, les étudiant-es, les ouvriers agricoles et petits paysans, il a également joué un rôle fondamental dans la décolonisation de l’Afrique en appuyant à la fois le MPLA angolais, la FRELIMO au Mozambique, le PAIGC d’Amilcar Cabral en Guinée Bissau et au Cap-Vert. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si après la conquête de la démocratie, ce sont les communistes et eux seuls qui, envers et contre tous, ont réussi à forcer les autres forces politiques portugaises de métropole d’octroyer l’indépendance à ces jeunes républiques africaines, faisant de la Révolution d’Avril non pas seulement un évènement portugais, mais de portée internationale.

Nombreux sont les cadres, militants et militantes qui ont payé le fort prix - souvent la vie - de leur engagement politique, mais la vie d’un homme en particulier se confond avec l’histoire du PCP clandestin, du PCP comme force dirigeante dans les mois qui ont suivi le 25 avril, mais aussi plusieurs années plus tard: Álvaro Cunhal.

Cunhal en quelques mots

Né en 1913 à Coimbra, Cunhal commence son activité militante dès 1931 en adhérant au PCP. En 1934, alors étudiant en droit à l’Université de Lisbonne, il est élu représentant des étudiant-es au sénat de l’université cette même année et adhère à la Fédération de la jeunesse communiste dont il devient Secrétaire général en 1935.

Il est arrêté deux fois en 1937 et 1940, puis est élu au Secrétariat du PCP en 1942. En 1949, il est à nouveau arrêté et s’évade de la prison-forteresse de Péniche en 1960. Un an plus tard, il est élu Secrétaire général du PCP, poste qu’il occupe jusqu’en 1992.

Après la Révolution d’Avril, il est successivement Ministre sans portefeuille des différents gouvernements provisoires, est élu à l’Assemblée constituante puis, à partir de 1976, est député de l’Assemblée de la République jusqu’en 1992 date à laquelle il quitte progressivement la vie publique.

Outre son activité militante, Cunhal s’est avéré être un auteur prolifique. En plus de ses ouvrages politiques, il a écrit plusieurs romans sous le pseudonyme de Manuel Tiago. Parmi ceux-ci, je m’en voudrais de ne pas souligner l’auguste “Até Amanhã Camaradas” (À demain, camarades), livre qui continue de m’émouvoir au point où j’en relis souvent quelques passages. Amoureux des arts, il s’est également adonné à la traduction de certaines pièces de Shakespeare en Portugais et à la peinture. 

Cunhal est un de ces personnages-clés de l’histoire du mouvement communiste international qu’il est impossible de présenter en quelques mots sans trahir un aspect important de sa vie. Un trait remarquable qui transparait de ses différents écrits, c’est son humilité extraordinaire. Pour quelqu’un à l’expérience militante aussi riche et marquée par autant de sacrifice, quel bonheur le lire s’attaquer au culte des vivants et des morts, au culte du sacrifice qu’il décrit comme une façon d’être communiste parfois nécessaire, mais certainement pas la façon la plus complète, ou encore au clivage entre les générations non pas en vieux mandarin mais en un dirigeant qui a confiance en la jeunesse. “Que personne n’ait honte d’être heureux” conclut-il dans un chapitre du Parti en toute transparence à propos de la morale communiste et de l’impératif d’action qui nous caractérise.

Cette humilité lui vient sans doute de sa sensibilité, mais surtout de sa foi en l’avenir de l’humanité comme en témoigne le titre du premier chapitre du Parti en toute transparence “Une époque glorieuse dans l’histoire de l’Humanité”. C’est avec cet optimisme, pendant dialectique de la vraie fermeté révolutionnaire, que Cunhal décède en 2005, 30 ans après avoir été l’un des maitres artisans de l’évènement le plus remarquable du Portugal moderne, un homme dont le nom devrait inspirer un profond respect pour tout communiste, révolutionnaire, progressiste et démocrate.

Le Parti en toute transparence


Il est de ces livres qui, après les avoir lus, on se sent grandi. Ça a été le cas pour moi avec Le Parti en toute transparence de Cunhal. Après avoir refermé le livre, je me suis senti mieux outillé non pas dans mes connaissances théoriques ni dans mes convictions politiques, mais j’ai compris ce qu’était cet “impératif d’action” dont parle ce communiste portugais. J’y ai compris que cet impératif, c’est d’abord de rejoindre le Parti communiste “enfant de la classe ouvrière” comme il l’écrit, et d’en être le plus ardent défenseur, pût-il m’en couter la vie.

Ce livre se veut une réponse devant ceux et celles qui voient en la discipline partisane des communistes, résultat de nos convictions, discussions et débats, une discipline militaire simplement subie, de haut en bas. De là vient le titre “Le Parti en toute transparence” afin de démystifier les statuts du Parti et ses principes organisationnels, de les présenter comme émanants de la conviction politique des communistes.

Cependant, il serait difficile de croire qu’il n’y ait pas, comme second objectif à cet ouvrage, une critique du Manifeste eurocommuniste lorsque Cunhal écrit: “Quand certains disent que, pour vaincre certaines réserves et suspicions, le Parti devrait changer d’image, on peut déduire par là [...] qu’il devrait devenir un parti comme l’anticommunisme aimerait qu’il soit [...], un parti inoffensif pour la bourgeoisie et la réaction [...] en résumé: un parti assimilé à la société bourgeoise, son idéologie et son immoralité.”

Le Parti en toute transparence est un ouvrage qui gagnerait à être étudié par toutes les cellules à la fois du Parti et de la jeunesse. C’est un livre dans lequel Cunhal plaide, au gré de ses expériences et de sa plume indulgemment acerbe, pour l’existence d’un Parti de l’Avant-Garde du prolétariat, pour un Parti communiste de classe.

C’est pour cette raison que je propose cet extrait justement sur le concept d’Avant-Garde tout en recommandant à tous et toutes de lire l’ouvrage en entier.

Le PCP s’affirme comme l’avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.

Qu’est-ce qui caractérise le PCP comme avant-garde?

En premier lieu, la connaissance scientifique profonde de la situation et des problèmes des travailleurs, la défense de leurs intérêts et aspirations, la définition sur une base scientifique des objectifs de lutte dans les différentes situations et étapes de l’évolution sociale dans le cadre de la mission historique de la classe ouvrière.

Au PCP, cette caractéristique inhérente à la condition d’avant-garde a commencé par être et fut, durant de nombreuses années, un objectif et une affirmation de l’intensité révolutionnaire. [...]

En second lieu, le lien étroit et le contact permanent et vital avec la classe et avec les masses sont caractéristiques du Parti comme avant-garde.

L’avant-garde l’est d’autant plus qu’elle parvient à rapprocher de soi la classe et les masses et maintenir un lien organisé avec elles.

Le Parti est un facteur déterminant de la force organisée et consciente des masses. Réciproquement, c’est surtout de la classe ouvrière et des masses que le Parti tire sa force.

Une avant-garde qui prétend s’affirmer en montrant sa distance avec les masses et sa supériorité cesse d’être une avant-garde pour devenir un détachement isolé, sans racines, condamné à la déroute et à la destruction.

Le lien avec la classe et avec les masses exige que l’avant-garde ne s’éloigne ni ne retarde trop. La rupture de ce lien est si dangereuse quand l’avant-garde est en retard par rapport aux masses que lorsqu’elle avance trop en se séparant d’elles.

En troisième lieu, le rôle d’orientation et de direction est caractéristique du Parti comme avant-garde.

Le Parti s’affirme comme avant-garde en montrant correctement les objectifs de lutte, les tâches, les formes d’action, en organisant et en dynamisant la lutte de masses. Le rôle dirigeant du Parti s’affirme dans sa capacité à indiquer des lignes d’orientation et des mots d’ordre qui correspondent aux intérêts profonds et ressentis de la classe ouvrière et des masses populaires [...].

Le mérite d’un parti révolutionnaire n’est pas seulement de transmettre aux masses son expérience révolutionnaire, mais de savoir recevoir et assimiler l’expérience révolutionnaire des masses. Le Parti a son propre savoir, mais le savoir du Parti est, dans une large mesure, l’assimilation du savoir des masses. [...]

Il est normal que la disposition du Parti soit supérieure à la disposition de la classe et des masses. Mais il arrive à certains moments que la disposition de la classe et des masses dépasse l’évaluation du Parti et la disposition des évaluations des organisations du Parti.

Dans ces cas, le Parti court le risque d’être dépassé par les initiatives et mouvements spontanés.

La responsabilité de l’avant-garde comme force dirigeante est immense. Les erreurs d’orientation se payent cher et nuisent à la reconnaissance du Parti comme avant-garde. Il est plus difficile de gagner la confiance des masses que de la perdre. [...]

En quatrième lieu, le niveau le plus élevé de conscience de classe, de détermination, de combativité et de courage révolutionnaires est caractéristique du Parti comme avant-garde.

Pour qu’un parti soit d’avant-garde de fait, il doit montrer sa capacité à accomplir les tâches, quelles que soient les conditions où il agit.

La valeur de l’exemple est l’un des plus importants facteurs de l’influence du Parti, de son prestige, de son lien avec la classe e les masses.

Le PCP a montré cette capacité, tant dans les conditions de répression et de terreur de la dictature fasciste que dans le processus révolutionnaire après le 25 avril.

À l’époque de la dictature, lorsque tous les autres partis politiques renonçaient à la lutte ou succombaient devant la répression, le PCP, en affrontant les plus grandes persécutions, s’est organisé, s’est organisé, s’est développé, est devenu un grand parti national dans les conditions de clandestinité, est devenu la force politique motrice de la résistance antifasciste.”

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